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Mali, comment sortir de l’impasse stratégique

Serge
Michailof
 Serge
Michailof
, The Conversation, 12 avril 2018

L’attaque
terroriste à Ouagadougou, le 2 mars dernier, ne doit pas nous faire
oublier que la source du problème se situe en premier lieu au Mali. Et le
succès apparent de la conférence de
Bruxelles de fin février
sur le financement de la force
multilatérale du G5 Sahel ne doit pas non plus masquer la situation très
préoccupante dans laquelle se trouve la France dans ce pays.
Des
soldats de l’opération Barkhane en patrouille dans le nord du Mali, en novembre
2017. Daphné Benoit/AFP
L’insécurité
s’étend au centre du Mali

En dépit
de quatre ans de soutien apportés à l’armée malienne par Paris, les États-Unis
et l’Union européenne, celle-ci est en effet manifestement toujours incapable
de contenir la propagation de l’insécurité. Ce qui est particulièrement grave
est que cette insécurité s’étend non seulement dans un Nord devenu
ingouvernable, mais aussi dans le Centre très peuplé du pays où les touristes
allaient autre fois admirer les falaises du pays Dogon. Dans toute cette
région, dès que l’on sort des grandes villes de Mopti et de Ségou,
l’administration malienne – de la gendarmerie aux écoles et aux services de
santé – a tout bonnement disparu. L’insécurité du Mali commence désormais à
gangréner le nord du Burkina Faso et le nord-ouest du Niger.
Tout
aussi inquiétant est le constat analogue qu’il faut faire pour les
13 000 hommes de la Minusma, la force de maintien de la paix des
Nations unies qui ont perdu plus de 150 hommes depuis leur installation,
il y a trois ans, et qui vivent barricadés dans leurs bases. L’inefficacité de
la Minusma n’est pas une surprise. Thierry
Vircoulon, un ancien de International Crisis group
, a récemment
publié, ici même, une analyse dévastatrice des raisons de l’inefficacité des
opérations de maintien de la paix qui « s’enlisent et perdent leur
sens » et qui « incapables de régler les conflits se contentent
dorénavant de les accompagner dans la durée. »
Des
membres du MSA, à Menaka (Nord-Mali), en mars 2018, un groupe armé qui combats
les djihadistes. Stringer/AFP

L’inefficacité
de l’armée malienne est plus inquiétante encore. Pourquoi cette armée qui a
reçu formation, assistance technique et équipement ne parvient-elle pas à
constituer une force crédible, alors que l’armée mauritanienne a repris le
contrôle de son territoire, au point que les touristes y
reprennent leurs excursions dans le désert
 ? Mais n’avons-nous
pas un autre exemple d’échec analogue avec l’effondrement, en 2014, devant
Daech d’une armée irakienne pourtant financée pendant 10 ans à grands
frais par les États-Unis ?

Des
programmes d’appui européen aux services de sécurité inappropriés
En
réalité, les appuis financés à grands frais par l’Union européenne, dont
bénéficient tant l’armée malienne (EUTM) que la gendarmerie et les autres
services de sécurité (EUCAP), ne peuvent avoir qu’une efficacité très limitée
tant qu’ils hésitent à aborder les aspects politiques qu’implique toute réforme
profonde d’une institution publique dans ces pays – qu’il s’agisse de l’armée,
d’une banque de développement ou d’un ministère des finances.
Dans les
pays dits fragiles comme le Mali, la plupart de ces institutions sont en effet
la proie de réseaux clientélistes qui sont une grave source d’inefficacité.
Toute réforme institutionnelle qui se limite à apporter de la formation, de
l’assistance technique, des véhicules et des ordinateurs, sans « renverser
la table » et remettre radicalement en cause ce modèle classique passe
ainsi à côté du problème.
Il y a
déjà un quart de siècle, l’économiste américain Elliott Berg dénonçait cette
erreur classique dans Rethinking
Technical Cooperation
. Rappelons qu’Elliot Berg fut aussi l’auteur
du fameux « Rapport
sur le développement accéléré en Afrique au sud du Sahara »

qui, en 1981, conduisit à une réévaluation générale des politiques économiques
africaines.
Le
G5 Sahel, la solution miracle ?
La
reconstruction non seulement de l’armée malienne mais de tout le système de
sécurité du pays exige ainsi en tout premier une forte volonté politique pour
sacrifier le clientélisme au souci de l’efficacité, remettre en cause les
nominations de complaisance, sélectionner des cadres sur la base du mérite,
assurer leur promotion en fonction de leurs performances, recruter des
officiers et des soldats aptes au combat et non uniquement motivés par leur
salaire, et revoir la chaîne de commandement dans un souci de clarté et
d’efficacité.
 
Le logo
de la Mission européenne
de formation au Mali,
EUTM Mali. Council of the 
European Union/Wikimedia
La même
volonté politique doit également favoriser la constitution d’une gendarmerie
pluriethnique, représentant la diversité de la nation, respectueuse des droits
de l’homme et au service des populations. Au Mali, nous en sommes bien loin.
Sur les bases actuelles, les programmes européens EUTM et EUCAP peuvent ainsi
se poursuivre encore 15 ans. Il est à craindre que les résultats restent
marginaux.

Alors, la
force régionale du G5 est-elle la solution ? Il faut ici raison
garder. Les pays du G5 ne disposent nullement de forces inemployées. Leurs
bataillons sont soit sur les divers fronts à combattre les djihadistes, soit
dans les contingents régionaux des forces de maintien de la paix des Nations
unies dont la Minusma au Mali et la Minusca en Centrafrique.
Il est
permis de penser que leurs capacités de combat seront renforcées par Barkhane.
Mais même si leur présence permettra de mieux sécuriser les frontières,
5000 hommes de plus ne vont pas radicalement changer la donne sur le
terrain. Le point le plus inquiétant reste l’effondrement progressif de
l’appareil sécuritaire et administratif malien. Si EUCAP échoue à faire en
particulier de la gendarmerie une force de maintien de la sécurité efficace,
multiethnique et au service de la population, où va la Mali ?
Une
stratégie gagnante inaccessible dans les conditions
politiques actuelles
La
stratégie bien connue des officiers français qui permettrait de vaincre les
groupes armés et qui contribua à triompher en particulier des FARC en Colombie
ne pourra pas, dans les conditions politiques actuelles, être mise en œuvre au
Mali. Elle implique, en effet, qu’après une intervention militaire chassant les
djihadistes d’une zone donnée, l’ensemble des services de l’État puisse
rapidement se déployer, permettant à l’armée de sécuriser une autre zone selon
la technique dite
de la « tache d’huile »
.
Mais
faute de volonté politique du pouvoir central qui oscille entre incompétence et
déni, le Mali ne s’est pas mis en ordre de marche pour conduire cette
stratégie. Celle-ci exige non seulement des forces armées efficaces, mais aussi
une gendarmerie disciplinée, une justice non corrompue, une administration
territoriale compétente et dévouée au bien public et des services sociaux
engagés et mobilisés. En ce domaine, ni les forces françaises, ni la Minusma,
ni les forces du G5 ne peuvent se substituer à un appareil sécuritaire et
administratif malien défaillant.
Dans ces
conditions, les soldats de l’opération Barkhane sont- ils condamnés à rester
des décennies pour éradiquer ou au moins contenir le péril djihadiste ? Il
est clair que l’armée française ne peut à la fois pourchasser les djihadistes
et assurer des tâches de gendarmerie et d’administration dans un pays grand
comme deux fois la France. Et si elle s’y essayait, elle serait à juste titre
accusée de néocolonialisme.
Face à la
défaillance du pouvoir malien récemment rappelée par
l’ambassadeur Bruno Joubert
, ne sommes-nous pas dans une impasse
stratégique au Sahel ? Car stabiliser le Mali n’est pas seulement
reconstruire l’armée malienne, mais reconstruire tout l’appareil d’État et
restaurer l’autorité de ce dernier, en commençant par une gendarmerie
respectueuse des droits de l’homme et une justice intègre. Espérons que la
prochaine élection présidentielle au Mali, à l’été 2018, permette d’apporter
les bonnes réponses.