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Loi immigration et asile. Droits des étrangers, vers un recul historique ?

Émilien Urbach,
L’Humanité, 16 Avril, 2018

Les
débats sur le projet de loi Collomb se dérouleront toute la semaine à
l’Assemblée nationale. Le texte, critiqué par les associations et les députés
de gauche, est ressorti quasi inchangé de la commission des Lois. Décryptage.
Le 24
mars dernier, lors de la manifestation organisée par l’association Baam 
contre
la loi Collomb. Arthur Herve/Rea
«AC.C.E.U.I.L.D.E.
M.E.R.D.E.
» Quatorze
lettres inscrites, samedi matin, par autant de citoyens solidaires sur les murs
de l’entrée monumentale du Palais Bourbon, pour dire leur indignation face au
contenu du projet de loi «
pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile
effectif
». Le texte
arrive aujourd’hui dans l’Hémicycle, après l’étude, achevée vendredi, de
850 amendements par la commission des Lois. Une première manifestation
s’est déroulée, hier, à proximité de l’Assemblée, à l’appel du Bureau d’accueil
et d’accompagnement des migrants (Baam) pour contester la logique répressive qui
prédomine dans cette nouvelle réforme du Code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Un deuxième rassemblement doit se tenir
ce lundi à l’appel d’une dizaine d’organisations solidaires des étrangers.
 
«Toutes les associations sont
contre ce texte, résume Éric Coquerel, député FI. Les magistrats sont contre.
Il y a un véritable front commun de tous ceux qui travaillent, d’une manière ou
d’une autre, sur la question de l’accueil des exilés. Mais le gouvernement
campe sur une position extrémiste.
» Décryptage d’un projet de loi chahuté de toutes
parts, qui pourrait signer un recul historique pour les droits des étrangers.
1 De trop
maigres Avancées en commission des lois
Entre
mardi et vendredi dernier, il aura fallu 28 heures de débats au sein de la
commission des Lois pour faire bouger le gouvernement sur quelques mesurettes,
sans changer le fond de ce texte extrêmement hostile aux étrangers. Un des
amendements retenus indique, par exemple, que les mineurs devront bénéficier
d’une «
attention
particulière
», en tant
que «
personnes
vulnérables
», mais rien
n’est prévu dans le projet de Ceseda réformé. Rien, par exemple, pour que soit
enfin respecté l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de
l’enfant, qui rappelle la prévalence de l’intérêt supérieur d’un mineur dans
toutes les décisions le concernant. Les députés ont choisi de ne pas interdire
la rétention administrative des familles et enfants, en rejetant les
amendements allant dans ce sens, déposés par les groupes communistes et FI.
Seule avancée dans la lutte contre les discriminations, les États dans lesquels
les homosexuels sont persécutés ont été rayés de la liste des pays d’origine
sûre.
En
matière d’accès à la justice, les demandeurs déboutés convoqués par la Cour
nationale du droit d’asile pourront finalement bénéficier d’un interprète si
leur audience se déroule par visioconférence. Mais le choix de ce type de
rencontre hors-sol avec la justice leur reste imposé, sans garantie, non plus,
d’avoir accès à une permanence d’avocats gratuite dans le lieu où ils seront
privés de liberté.
Les
députés sont également revenus sur la loi, adoptée en mars, légalisant
l’enfermement des «
dublinés», ces demandeurs d’asile dont les empreintes digitales ont été, de
gré ou de force, enregistrées dans un autre pays membre de l’Union européenne.
Ils auront 15 jours, au lieu de 7, pour présenter un recours contre leur
expulsion et leur placement en rétention ne pourra plus être la conséquence du
refus de donner ses empreintes ou de la dissimulation d’informations
personnelles.
La durée
maximale de la rétention, une des pires régressions du texte gouvernemental,
est finalement limitée à 90 jours au lieu des 135 voulus par Gérard
Collomb pour pouvoir mieux expulser. L’efficacité de la mesure n’est pourtant
aucunement garantie. Au contraire, en 2016, par exemple, l’Allemagne et le
Royaume-Uni, où l’on peut enfermer les étrangers en situation irrégulière
jusqu’à 18 mois, ont respectivement expulsé 26.
654 et 10.971 personnes, contre 37.362 en France, où la durée
actuelle de privation de liberté se limite à 45 jours. Son doublement
s’avérerait donc parfaitement inutile, comme le soulignent les associations
depuis plusieurs mois.
2 Le
texte reste porteur de mesures honteuses
Les
députés de gauche auront encore à mener bataille dans l’Hémicycle contre une
série de mesures qui s’apparentent à une régression des droits des immigrés.
L’article 5
du texte gouvernemental prévoit, par exemple, de réduire de 120 à 90 jours
la période durant laquelle un étranger peut déposer son dossier à l’Office
français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), après son entrée sur
le territoire. Une disposition qui «
affaiblit les droits fondamentaux des demandeurs
d’asile
», affirme
le député communiste Stéphane Peu. Mais Gérard Collomb, qui a mobilisé une
rhétorique propre à l’extrême droite en évoquant des régions «
submergées par les flux de
demandeurs d’asile
», entend aller plus loin encore.
Une autre
mesure phare de son projet, restée inchangée par son passage en commission, est
de rendre «
non
suspensif
» le recours
devant la Cour nationale du droit d’asile, après un refus de l’Ofpra. Une
personne menacée dans son pays pourrait y être renvoyée, alors même qu’elle
sollicite la justice française pour lui venir en aide. Le texte gouvernemental
prévoit, de plus, que le requérant ne dispose plus que de 15 jours, au
lieu de 30 aujourd’hui, pour formuler ce recours. Un délai jugé «
beaucoup trop court» au sein même de la majorité, par
la députée LREM Martine Wonner, qui dit n’avoir «
jamais été maltraitée comme ça», suite aux remontrances qu’elle
a subi pour s’être exprimée de la sorte.
En
revanche, un délai est jugé trop court par les défenseurs du projet
gouvernemental
: celui de la retenue administrative. Ils voudraient que cette période
de privation de liberté destinée au contrôle du statut administratif d’un
étranger s’aligne sur le régime de la garde à vue, en le faisant passer de 16 à
24 heures.
Enfin, il
est une autre mesure inquiétante que combattront, cette semaine, les députés de
gauche, dans l’Hémicycle, et les associations, dans la rue
: la systématisation de
l’interdiction de territoire, pour trois ans dès qu’on signifie à un étranger
expulsable une «
obligation de quitter le territoire». «Cette interdiction sera automatiquement inscrite
dans le fichier des visas Schengen, explique la Cimade. Cela équivaut pour ceux
qui seront expulsés en dehors de l’UE à une interdiction de tout le territoire
européen.
»
3 Les
mesures humanistes absentes du projet de loi
Une
réforme du Ceseda humaniste aurait, par exemple, prévu d’abroger le fameux
article L622-1 définissant le «
délit de solidarité». Mais Gérard Collomb a d’ores et
déjà retoqué cette possibilité. «
On a incité des migrants à franchir un certain
nombre de cols pour venir en France
: s’il n’y avait pas eu la gendarmerie de haute
montagne, on aurait eu des morts
», a-t-il répondu à ceux qui la défendaient en
commission des Lois. Absente aussi, l’idée d’un accès plus rapide des demandeurs
d’asile au travail. Une mesure pourtant préconisée par le député LREM Aurélien
Taché dans le rapport commandé par Gérard Collomb pour la rédaction de son
projet de loi.
Enfin,
malgré l’appel lancé mercredi par plusieurs responsables d’importantes associations
de solidarité, le texte ne prévoit pas que les déboutés du droit d’asile non
expulsables puissent bénéficier d’un quelconque statut administratif. Le
Défenseur des droits, Jacques Toubon, a été bien inspiré en répondant, mercredi
dernier, aux députés désinvoltes face à ses critiques. Les droits fondamentaux
des exilés resteront «
sur les trottoirs du boulevard de la Villette», avait-il lancé.