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Les Marocaines bientôt égales devant l’héritage ?

Moha
Ennaji, The Conversation, 9 avril 2018

Une centaine
d’intellectuels marocains
, dont l’écrivain Leila Slimani ou
l’islamologue Rachid Benzine ont signé le 21 mars une pétition
pour mettre fin à la discrimination dont sont victimes les Marocaines face aux
droits de succession, demandant l’abrogation de la règle successorale du ta’sib
inscrite dans le Code marocain de la famille. Je fais moi-même partie des
signataires.
Marocains
et Marocaines marchent pour les droits de la femme, ici le 8 mars 2015 à Rabat.
Fadel Senna/AFP

Comme
nous le dénonçons, cette règle prive les femmes de tout accès à la succession.
Ainsi, « les orphelines qui n’ont pas de frère doivent obligatoirement
partager l’héritage avec les parents mâles les plus proches du défunt […] même
inconnus et n’ayant jamais eu de liens avec la famille ».

Pourtant
la réforme de la Moudawana (Code de la famille), engagée par Mohammed VI le
10 octobre 2004, semblait s’annonçait comme « la
plus marquante de son règne »
[…], visant à revaloriser le
statut de la femme. Comme je l’ai montré dans des recherches
antérieures
, l’héritage a cependant toujours constitué une
lacune : alors que l’égalité est inscrite dans l’esprit et la lettre de ce
code, l’égalité dans l’héritage est restée un tabou.
Sur le
terrain, les associations de femmes n’ont cessé de réclamer des changements
dans les lois sur l’héritage au cours des
dernières décennies
et particulièrement depuis 2015, après que le
Conseil national des droits de l’homme (CNDH) ait préconisé
l’égalité successorale
, faisant suite à la modification de la
Constitution marocaine qui, dans sa
mouture de 2011
a elle aussi mis l’emphase sur l’égalité entre
hommes et femmes.
L’écrivaine
Leila Slimani prend régulièrement position pour défendre le droit des femmes
notamment au Maroc. Heike
Huslage-Koch/Wikimedia
, CC BY-ND

Mais à
chaque fois, les défenseurs de cette égalité se sont heurtés à la résistance
des segments conservateurs de la société.

La loi
sur l’héritage reste inchangée car elle repose sur une lecture patriarcale du
Coran qui affirme que les femmes
héritent moitié moins que les hommes. Cette loi, qui remonte à des centaines
d’années, a été rédigée lorsque les hommes étaient chefs de famille. Or,
aujourd’hui, au Maroc, plus d’un tiers des ménages sont dirigés par des femmes,
qui, de façon général, contribuent
largement aux revenus du foyer.
Les
débats sont pourtant vifs au Maroc. Déjà en 2013, Driss Lachgar, chef du Parti
socialiste, avait ainsi
créé la polémique
en affirmant publiquement la nécessité de réformer
les lois de l’héritage et de criminaliser la polygamie. Pour la première fois,
la société civile appelait à des réformes juridiques tangibles dans ce domaine.
Si la
plupart des défenseurs des droits des femmes et des partis politiques avaient
salué cette initiative, le Parti pour la justice et le développement islamique
au pouvoir avait réagi en qualifiant la
proposition
de « manœuvre irresponsable) et de « violation
flagrante » de la constitution marocaine.
Un débat
entre religieux et activistes
Car, en
effet, le débat se situe là : entre religieux – y compris libéraux- et
activistes, entre érudits et politiciens. Ainsi, le prédicateur Mohamed
Abdelouahab Rafiki – un ancien salafiste – avait soutenu
à l’AFP en 2017
que la question
devait être ouverte
à l’ijtihad – le processus d’interprétation par
les érudits religieux : « La question de l’héritage doit être
cohérente avec les évolutions de la société ». Mais ces prises de position
de clergés/intellectuels religieux sont hélas
peu nombreuses
. Nouzha Skalli, ancienne ministre des droits des
femmes, avait, elle, déclaré à la même agence que : « Dès qu’on
prononçait le mot héritage, on était accusé de blasphème ».
Aujourd’hui,
si le débat peut être ouvert, 87 % de Marocains (hommes et femmes)
continuent de s’opposer à l’égalité des sexes en matière d’héritage, selon les
résultats d’une enquête nationale
menée par le Haut Commissariat au
Plan.
La
récente démission de l’éminente féministe islamique
marocaine Asma Lamrabet
de son poste de directrice du Centre de
recherche sur les femmes de la Ligue Mohammadia des Oulémas témoigne d’ailleurs
de l’influence politique tenace des islamistes conservateurs dans la société
marocaine.
Conférence
d’Asma Larabet, qui a récemment démissionné
en raison de ses positions sur
l’héritage.
Ces
derniers s’appuient également sur des soutiens intellectuels notamment des
islamistes conservateurs tels que le dirigeant du Parti de Justice et
Développement Abdelilah Benkirane, le secrétaire général de l’association Al
Attawhid Wal Islah (Unicité et Réforme) Ahmed Raissouni et le dirigeant de
l’association Justice et Bienveillance (Al Adl wa Al Ihsane) Mohammed Abbadi.
Ils ont une grande
influence
sur le pouvoir et la société en général.
L’historien
marocain Abdallah Laroui
en revanche a récemment indiqué que
l’héritage ne peut pas être discuté d’un point de vue religieux :
« L’État doit aborder cette question d’un point de vue objectif, et sous
l’angle des droits humains ».
Pourtant,
« tout ce qui concerne les droits des femmes est lié à la religion »
indiquait Khadija Ryadi (ancienne présidente de l’Association marocaine des
droits de l’homme), dans une
déclaration
au Washington Post le 5 novembre 2017.
Une
violence économique
Comme le
soulignent de nombreuses organisations telles que l’Association démocratique
des femmes du Maroc, la question de l’héritage est fondamentalement économique
et contribue à maintenir les femmes dans une situation de dépendance et de
fragilité.
Les
hommes sont économiquement privilégiés et ont accès aux propriétés, terrains,
industries et commerces tandis que, à l’opposé, les femmes subissent ces lois
comme des violences économiques et psychologiques. Ces dernières viennent
s’ajouter à d’autres
formes de violences
, particulièrement en milieu rural, où les femmes
sont très vulnérables.
En zones
rurales, les femmes sont les plus exposées à la violence économique et sont
souvent contraintes à quitter leur foyer pour trouver d’autres ressources.
USAID/Flickr,
CC BY-SA

Selon les
récentes statistiques
du Haut Commissariat au Plan (HCP), 46 %
des femmes ne sont pas à l’école, ne travaillent pas et ne suivent aucune
formation.
Parmi les
couches sociales les plus défavorisées, certaines sont obligées de quitter leur
maison, d’arrêter leurs études pour travailler, voire se prostituer ou mendier
pour aider leur famille. Sans ressources, ni d’endroit où aller si elles sont
répudiées, de nombreuses femmes pauvres deviennent sans domicile fixe.
La société
doit changer de mentalité
, cesser de considérer une femme comme
faisant partie des propriétés et accepter qu’elle soit propriétaire,
administratrice et décisionnaire à part entière. Comment le Maroc pourrait-il
atteindre son plein potentiel si la moitié de la population est
systématiquement empêchée d’y contribuer ?