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Les eurodéputés réclament une meilleure protection des journalistes

Par Marion
Candau, EURACTIV, 20 apr 2018

Les
eurodéputés veulent une véritable enquête sur le meurtre du journaliste
slovaque Jan Kuciak et de sa compagne, ainsi qu’une meilleure protection du
journalisme d’investigation.
Les
manifestations du 16 mars ayant fait suite au meurtre de Jan Kuciak et de sa
compagne ont été les plus importantes depuis la révolution de velours en
Slovaquie en 1989. [@EPA-EFE/CHRISTIAN BRUNA]
 
Le 25
février dernier, les corps de Ján Kuciak et de sa compagne, Martina Kušnírová,
ont été retrouvés à leur domicile, une balle dans la poitrine. Ce jeune
journaliste de 27 ans enquêtait sur le lien entre des hommes politiques
italiens et slovaques avec la mafia calabraise.
Ce
meurtre a déclenché les plus importantes manifestations pacifiques en Slovaquie
depuis la révolution de velours en 1989, et provoqué une crise politique
débouchant sur la démission du Premier ministre, Robert Fico.
Dans leur
résolution, adoptée le 19 avril par 573 voix pour, 27 contre et 47
abstentions, les eurodéputés demandent une véritable enquête sur le double
meurtre, menée conjointement avec Europol, des mesures nationales et
européennes pour mieux protéger les journalistes et les lanceurs d’alerte,
ainsi que la mise en place d’un dispositif permanent pour soutenir le
journalisme d’investigation indépendant.
Le
Parlement européen « a tiré la sonnette d’alarme sur la potentielle
infiltration du crime organisé à tous les niveaux de l’économie et de la
politique slovaque », indique un communiqué.
« Comme
l’a dit Jean-Claude Juncker, l’assassinat ou l’intimidation de journalistes n’a
pas sa place en Europe ni dans aucune démocratie », a déclaré
Julian King, commissaire à la sécurité, à l’ouverture du débat.
« Afin de déterminer si l’enquête implique des fonds européens et des
échanges transfrontaliers, il faudra la pleine coopération de l’OLAF [Office
européen de lutte contre la fraude]. Si les faits de fraude sont avérés, il
faudra rappeler pourquoi nous avons plus que jamais besoin d’un parquet
européen. »
Les
eurodéputés se sont par ailleurs indignés du fait que ce double meurtre soit le
deuxième visant un journaliste d’investigation en six mois sur le sol européen.
Le 16 octobre dernier, la Maltaise Daphne Caruana Galizia avait été tuée
dans l’explosion de sa voiture près de son domicile.
« Deux
journalistes d’investigation respectés ont été assassinés en Europe ces six
derniers mois. Cela montre jusqu’où sont prêts à aller les membres du crime
organisé pour dissimuler leurs activités financières et pourquoi le travail des
journalistes d’investigation est vital », a quant à lui déclaré
l’eurodéputé britannique Claude Moraes (S&D).
Projet
Daphné
Le blog de Daphne Caruana
Galizia était le plus lu de l’île. Elle y dénonçait la corruption du
gouvernement et travaillait sur un réseau de corruption de haut niveau, impliquant
des hommes politiques maltais. Le Premier ministre en fonction depuis 2013,
Joseph Muscat, était la principale cible des articles de la journaliste.
Dix-huit
médias internationaux, réunis sous le nom de « Forbidden stories »
(« Histoires interdites »), ont alors décidé d’enquêter sur son
meurtre et de poursuivre les travaux d’investigation de la journaliste. Un
projet qu’ils ont rebaptisé « Projet Daphne ».
Pour
Laurent Richard, rédacteur en chef de la société de production Premières lignes
et initiateur de Forbidden Stories, il s’agit « d’adresser un message fort
aux ennemis de la presse, en disant que ça ne servira à rien de s’en prendre [à
un journaliste] parce que, derrière, il y a 10, 20, 30 journalistes qui sont
prêts à prendre le relais. »
L’équipe
a commencé à dévoiler le 17 avril les résultats de leur enquête conjointe.
Le Monde, qui fait partie du consortium, relate notamment que la piste de
commanditaires politiques pour ce meurtre a été écartée par la police.
Pourtant, le ministre de l’Économie, Chris Cardona, a été vu dans un bar
du centre de l’île avec l’un des assassins supposés quelques semaines après le
meurtre. Niant en bloc le rendez-vous, le ministre a ensuite ajouté « ne
pas se souvenir » s’il avait pu les rencontrer de manière fortuite. Par
ailleurs, les trois assassins supposés n’avaient aucun lien avec la victime.
« Forbidden
Stories » continuera dans les prochains jours à publier plusieurs volets
de l’enquête de la journaliste, qui voulait lever le voile sur des affaires de
blanchiment d’argent et de corruption. Ces révélations ont secoué le parlement
maltais, l’opposition demandant au gouvernement de « faire la vérité et
d’arrêter de nuire à la réputation du pays », cite Le Monde.
Situation
alarmante
Le
meurtre de ces trois personnes, en l’espace de six mois seulement, a choqué
tout le continent et rappelle que la situation des journalistes est alarmante
dans de nombreux pays.
Dans son rapport annuel, publié en
décembre dernier, Reporters sans frontières (RSF) affirme que
65 journalistes ont été tués dans le monde en 2017. Une tendance à la
baisse, qui s’explique en partie par « la prise de conscience croissante
de la nécessité de mieux protéger les journalistes et la multiplication des
campagnes menées en ce sens par les organisations internationales et les médias
eux-mêmes ».
Cette
tendance s’explique aussi par le fait que les pays trop dangereux se vident de
leurs journalistes. Les pays les plus meurtriers pour cette profession sont la
Syrie, le Mexique et l’Afghanistan. Les pays peu respectueux de la liberté de
la presse n’hésitent pas non plus à emprisonner les journalistes. Ainsi, en
2017, 365 journalistes se sont retrouvés derrière les barreaux, dont 52
seulement en Chine.
« Les
journalistes sont les vigies de nos sociétés démocratiques, ils ont le droit de
poser des questions qui dérangent, de mener l’enquête, de réaliser des reportages.
C’est ce que faisait Ján Kuciak et c’est pourquoi il a été assassiné […] chaque
État a le devoir de s’assurer que la protection du journalisme est une
réalité », a conclu Julian King.