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Israël accusé d’avoir frappé une base militaire en Syrie

Par Cyrille
Louis, Le Figaro, 09/04/2018
 
Au
surlendemain de l’attaque chimique présumée qui a fait des dizaines de morts
dans la dernière zone rebelle aux abords de Damas, plusieurs missiles ont
frappé une importante base syrienne lundi matin. La Russie et la Syrie accusent
l’État hébreu.

Plusieurs
missiles vraisemblablement tirés par des avions de chasse israéliens ont frappé
une importante base de l’armée de l’air syrienne située entre Homs et Palmyre
tôt lundi matin, au surlendemain de l’attaque
chimique présumée
qui a fait des dizaines de morts dans la dernière
zone contrôlée par les rebelles aux abords de Damas. Selon le ministère russe
de la Défense, cité par l’agence Interfax, ces frappes ont été conduites entre
3h25 et 3h53 par deux F-15 israéliens opérant depuis l’espace aérien libanais.
La même source affirme que cinq des huit missiles téléguidés auraient été
interceptés par la défense antiaérienne du régime syrien. Selon l’Observatoire
syrien des droits de l’homme, quatorze personnes, dont plusieurs «combattants
étrangers», ont été tuées sur ce site qu’Israël accuse d’héberger un important
contingent militaire iranien.
L’État
hébreu, bien qu’il ait dans un premier temps choisi de garder le silence, a d’emblée
fait figure de principal suspect. Les États-Unis et la France, qui avaient
menacé la veille d’engager des représailles après l’attaque chimique imputée à
l’armée de Bachar el-Assad, ont en effet démenti être
impliquées dans les frappes menées contre la base T-4
. Emmanuel
Macron et Donald Trump se sont parlé dimanche soir au téléphone, précise un communiqué
de l’Élysée, et «ont décidé de coordonner leurs actions et leurs initiatives au
sein du Conseil de sécurité de l’ONU qui doit se tenir ce lundi 9 avril à New
York, afin de condamner l’emploi répété d’armes chimiques». «Toutes les
responsabilités en la matière, poursuit la présidence française, devront être
clairement établies.»
Un lien
avec l’utilisation d’armes chimiques dans la Ghouta?
Malgré
l’indéniable concomitance des deux événements, rien ne permet à ce stade
d’affirmer que les frappes imputées à l’État hébreu sont directement liées aux
fortes présomptions d’utilisation d’armes chimiques dans la Ghouta orientale.
L’armée israélienne, qui frappé la base T-4 à deux reprises au cours des
derniers mois, soupçonne certes le régime syrien d’y abriter un centre de
recherche et de production d’armes chimiques. Mais elle a d’autres raisons pour
en viser les infrastructures et pourrait bien avoir mis à profit la fenêtre
d’opportunité créée par la tuerie de Douma. Selon les experts militaires israéliens,
ce site héberge une usine où sont fabriqués des missiles de précision. Le 10
février, l’État hébreu y a aussi détruit un poste de commandement d’où des
militaires iraniens sont accusés d’avoir piloté un drone entré dans son espace
aérien. L’interception de cet appareil et les frappes qui ont suivi ont
provoqué un rare coup de chaud à la frontière nord d’Israël. Un F-16 de Tsahal
a été abattu par la défense antiaérienne de Bachar el-Assad et son équipage a
été contraint de s’éjecter – ce qui n’était pas arrivé depuis 1982.
 

«Assad
est un ange de la mort pour des centaines de milliers de Syriens innocents, et
il ne fait aucun doute que le monde, sans lui, serait un meilleur endroit.»
Yoav
Galant
, le ministre du Logement et de la Construction.
Dimanche,
à mesure que le monde découvrait les images glaçantes des victimes de Douma,
plusieurs responsables israéliens ont appelé à frapper le régime de Damas.
«Assad est un ange de la mort pour des centaines de milliers de Syriens
innocents, a déclaré Yoav Galant, le ministre du Logement et de la
Construction, et il ne fait aucun doute que le monde, sans lui, serait un
meilleur endroit.» Gilad Erdan, le ministre de la Sécurité intérieure, a
dénoncé «une attaque choquante que le monde entier doit condamner dans l’espoir
que les Américains et la communauté internationale vont intensifier leur action
– car sinon le génocide ne fera que s’intensifier.»
Le
général de réserve Amos Yadlin, qui dirige l’Institut israélien d’études pour
la sécurité nationale, a pour sa part appelé à «mettre hors d’état de nuire une
bonne fois pour toutes les escadrons d’hélicoptères qui lâchent des barils
d’explosifs contre la population». Cette voix influente, qui commanda jadis les
renseignements militaires, plaide depuis plusieurs années pour une intervention
plus vigoureuse d’Israël au secours des civils syriens. «À l’approche des
cérémonies qui marquent le souvenir de l’Holocauste, a-t-il déclaré dimanche,
Israël devrait clarifier son positionnement moral contre les meurtriers qui
utilisent des armes de destruction massive contre les civils. Nos valeurs et
nos intérêts stratégiques convergent vers ce but.»
Un
«développement très dangereux» pour Moscou
Le
gouvernement de Benyamin Nétanyahou, qui campe sur une ligne prudente, a
jusqu’à présent calibré avec minutie son engagement militaire en Syrie.
Refusant de se laisser aspirer dans un conflit dont elle entrevoyait le
caractère inextricable, l’armée s’est longtemps bornée à faire respecter ce
qu’elle appelle des lignes rouges. Selon un ancien chef de l’aviation
militaire, une centaine de frappes ont été conduites depuis janvier 2013,
principalement sur le territoire syrien, afin d’empêcher le transfert d’armes
sophistiquées à la milice libanaise chiite Hezbollah. Au cours des derniers mois,
l’État hébreu a par ailleurs attaqué plusieurs sites où il soupçonne l’Iran de
chercher à créer une implantation militaire durable. Les frappes ordonnées
lundi matin contre la base T-4 pourraient s’inscrire dans ce contexte.
« Pour
Moscou, la position d’arbitre au-dessus de la mêlée devient de plus en plus
inconfortable à mesure que se renforcent les tensions entre Israël et l’axe
Iran-Syrie-Hezbollah. »

Ofer
Zalzberg,
auteur d’un récent rapport sur l’attitude de l’État hébreu vis-à-vis
du conflit syrien.

La mise
en cause directe d’Israël par Moscou constitue, à cet égard, un développement
nouveau. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a jugé lundi
que cette frappe constituait un «développement très dangereux». Les dirigeants
russes, qui interviennent depuis septembre 2015 au secours du régime syrien
mais sont en contact étroit avec l’État hébreu, choisissaient jusqu’à présent
de détourner le regard chaque fois que celui-ci a jugé nécessaire d’agir
militairement. «Le fait que la Russie ait cette fois choisi d’appuyer les
accusations du régime syrien alors qu’Israël voulait maintenir une certaine
ambiguïté sur ses frappes confirme qu’elle ne pourra pas éternellement éviter
de prendre parti», observe l’analyste Ofer Zalzberg. Auteur d’un récent rapport
sur l’attitude de l’État hébreu vis-à-vis du conflit syrien, il ajoute: «Pour
Moscou, la position d’arbitre au-dessus de la mêlée devient de plus en plus
inconfortable à mesure que se renforcent les tensions entre Israël et l’axe
Iran-Syrie-Hezbollah.»
Les
stratèges israéliens jugent cette évolution d’autant plus préoccupante qu’ils
redoutent un retrait prochain des forces spéciales américaines en Syrie. Selon
la dixième chaîne de télévision israélienne, Benyamin Nétanyahou aurait relayé
ces craintes mardi dernier lors d’un entretien téléphonique avec Donald Trump.
Mais il aurait échoué à le faire changer d’avis. Pour Ofer Zalzberg, «agir
militairement au lendemain de l’attaque chimique imputée au régime syrien est
peut-être une façon de mettre en garde l’Administration américaine contre les
conséquences d’un éventuel désengagement».