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Enseignants titulaires de doctorat : le Sénégal mieux loti que les pays anglo-saxons ?

Par
Birame Faye, Africa Check, 12 avril 2018

Le
pourcentage de titulaire de doctorat dans le corps enseignant est plus élevé
dans les universités sénégalaises que dans celles anglo-saxonnes. C’est le
constat du ministre de l’Enseignement, de la Recherche et de l’Innovation.
Est-ce fondé ?

Des
étudiants du département de géographie de l’UCAD, dans un amphithéâtre qui a
fait le plein. Capture d’écran YouTube.
«Si vous
comparez nos universités, du point de vue enseignants, le pourcentage de
docteurs que nous avons à l’UCAD
[université Cheikh Anta Diop], à l’UGB
[université Gaston Berger] et autres, on est au-delà de 80%, alors que la
moyenne dans les pays anglo-saxons est autour de 60%, parfois même moins que
cela», a dit
Mary Teuw Niane, pour  déplorer le manque de visibilité des universités
sénégalaises.
Il s’adressait à
la presse
à l’occasion de la présentation  des rapports
d’activités de l’Autorité nationale d’assurance
qualité de l’enseignement supérieur
(ANAQ–Sup)
Africa
Check a cherché à savoir sur quoi est basée cette comparaison.
Le
ministère ne donne pas de source
Africa
Check a adressé un courrier électronique à la Cellule de communication du
ministre en charge de l’enseignement supérieur qui a indiqué qu’elle n’est pas
en mesure d’indiquer une source qu’on pourrait consulter. (Note : nous
allons actualiser notre article dès qu’une preuve nous parviendra.)
Combien
d’enseignants comptent l’UCAD et l’UGB ?
Considérée
comme la plus grande au Sénégal, l’UCAD informe, sur son site web, qu’elle
comptait plus de 1 309
personnels
enseignants-chercheurs (PER) permanents titulaires au
moins de doctorat pour plus de 80 000 étudiants, en 2016.
Dans une interview
reprise par le journal universitaire, le recteur de l’UCAD, le Pr Ibrahima
Thioub, déclarait que « le ratio d’encadrement était d’un enseignant pour
53 étudiants alors que la norme internationale est de 26 étudiants pour un
enseignant ».
Selon sa
Direction de la scolarité avec les services pédagogiques des Unités de
formation et de recherche (UFR), l’UGB de Saint-Louis, comptait, en 2015, 338
enseignants-chercheurs permanents
, soit un ratio d’encadrement d’un
enseignant pour 36 étudiants, alors que celui-ci était de 1/16 en 1990, année
de son ouverture.
Et les
universités anglo-saxonnes ?
Africa
Check a contacté le responsable du classement de
Shanghai
, Dr Xuejun Wang.
Ce
dernier a confié que son institution ne dispose pas de données sur les
enseignants et leurs titres. « Si vous avez besoin de données sur le
personnel enseignant sur les universités supérieures, vous pouvez  les
rechercher sur leurs sites web officiels. Elles fournissent de telles données
dans les rubriques « A propos de l’Université » ou « Faits et
chiffres ».
Africa
Check a consulté le site web de l’université de Harvard. Il y est mentionné que
celle-ci compte 2 400 enseignants dans ses différents facultés et écoles
spécialisées pour  22 000 étudiants, soit un ratio d’un enseignant
pour neuf étudiants.
Ratio
enseignant-étudiants dans quelques universités anglo-saxonnes et anglophones

“Ce qui
est important, c’est le nombre d’enseignants par rapport aux étudiants»
Africa
Check a contacté Phil Baty, directeur de Times Higher Education (THE), une
structure britannique qui réalise le seul classement international des
universités qui prend en compte le ratio enseignant-étudiant.
«Aborder
une université sous l’angle du nombre de docteurs manque de pertinence. Une
université peut compter des milliers d’enseignants mais si elle a 100 000
étudiants, elle aura du mal à faire de la qualité. Une université crédible
n’utilise pas forcément des docteurs pour faire de la qualité et former des
gens très compétents », a-t-il expliqué.
«Donc,
selon lui, ce qui est important, c’est  le nombre d’enseignants par
rapport aux apprenants qui renseigne mieux sur la qualité des apprentissages et
des encadrements».
« Pas
de données qui permettent une comparaison »
Phil Baty
est co-auteur de l’étude
de l’Unesco intitulée  « Classements
et responsabilisation  dans l’enseignement supérieur : bons et
mauvais usages».
Celle-ci
relève des limites des  méthodologies utilisées par les différentes
organisations qui s’activent dans le classement des universités  dans le
monde.
Là-dessus,
le responsable en charge de l’enseignement supérieur au Bureau régional de
l’Unesco à Dakar a confié à Africa Check que son organisation ne fait pas de
ranking des universités.
Toutefois,
à travers cette étude,
elle « a voulu engager le débat sur cette problématique », a répondu Youssouf
Ouattara
.
Africa
Check s’est rapprochée du Conseil
africain et malgache pour l’enseignement supérieur
(CAMES). Le
responsable du Centre d’information et de documentation, Zakari Lire,
a confié à Africa Check que «l’institution ne dispose pas de données qui lui
permettent de faire une comparaison entre enseignants de pays anglophones 
et francophones».
« Le
CAMES ne prend en compte que les établissements d’enseignement supérieur des
pays africains francophones membres. Les universités peuvent engager des
assistants docteurs qui ne sont pas encore enregistrés au CAMES. Et puis, on
n’a pas beaucoup de connaissances sur les universités anglophones», a-t-il
souligné.
Conclusion :
la déclaration n’est pas prouvée
Le
ministre en charge de l’Enseignement supérieur au Sénégal a dit que les
universités de son pays comptent plus d’enseignants titulaires de doctorat que
celles anglo-saxonnes.
Les
services du ministère ont déclaré ne pas être en mesure de donner les preuves
de cette affirmation. Selon les données disponibles en ligne, le ratio
enseignant-étudiants des universités anglo-saxonnes est largement meilleur que
celui des universités Cheikh Anta Diop et de Gaston Berger qu’il a citées
en exemple.
Par
ailleurs, le nombre d’enseignants titulaires de doctorat n’est pas un
indicateur partagé au niveau international, selon l’Unesco. C’est le ratio
enseignant-étudiant qui est jugé plus pertinent et plus utilisé comme
indicateur de qualité.
En
conséquence, l’affirmation n’est pas prouvée et la comparaison n’est pas
pertinente, selon les experts.