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Agoa: Kigali contre Washington pour doper son industrie textile

Le PointAfrique, 30/03/2018

L’administration
Trump veut que les pays d’Afrique de l’Est continuent de recevoir ses fripes et
le Rwanda n’entend pas céder en augmentant les barrières douanières sur ces
vêtements usés. La sanction vient de tomber.
Le
président Paul Kagame n’a jamais caché ses ambitions de faire rayonner
l’industrie textile locale, face aux pressions américaines pour toujours plus
de fripes, il ne cède rien. 
© Christian Kober / Robert Harding Heritage /
robertharding

Pas de
fripes, pas d’Agoa (African Growth and Opportunity Act – loi sur la
croissance et les opportunités de développement en Afrique), c’est en substance
les menaces à peine voilées de l’Amérique de Donald Trump envers les pays
d’Afrique de l’Est, et le Rwanda en particulier.

L’administration
Trump plus menaçante envers les pays d’Afrique de l’Est
Donald
Trump a régulièrement dénoncé les politiques protectionnistes adoptées par ses
partenaires commerciaux et menace régulièrement d’utiliser l’Agoa pour
décourager toute mesure dans ce sens. En 2015, le Kenya, le Rwanda, l’Ouganda
et la Tanzanie se sont mis d’accord sur un plan triennal visant à éliminer
progressivement l’importation de vêtements et de vêtements d’occasion en
provenance des États-Unis. Les taxes ont été augmentées de manière
exponentielle sur les vêtements d’occasion pour décourager davantage les
importations et une interdiction complète devait entrer en vigueur en 2019.
Mais,
selon Washington, une telle interdiction est contraire aux conditions fixées
par l’Agoa. «Les critères sont très clairs sur la restriction
d’importation des produits américains», a expliqué Constance Hamilton,
représentante économique pour la Maison-Blanche, en amont du Forum de Lomé en
août 2017. Une telle restriction mettrait 40 000 emplois américains en
danger, avait-elle prévenu.
Sentant
le danger, l’administration Trump a agi rapidement et a lancé un ultimatum pour
le 23 février 2018 pour que ces dirigeants annulent leur
plan ou en affrontent les conséquences. Les États-Unis ont fait cela pour
protéger leur secteur d’exportation de seconde main à la demande de
l’association américaine de textiles d’occasion et recyclés (Smart) qui
dénonçait l’imposition de droits de douane sur les exportations américaines par
ces trois pays.
L’Afrique
de l’Est en désordre de bataille
Avant
l’expiration de l’ultimatum, les dirigeants de la région de l’Afrique de l’Est,
à l’exception du Rwanda de Paul Kagame, se sont rencontrés à Kampala pour
discuter des répercussions. À la fin, ils ont cédé aux demandes américaines.
« Les membres de la Communauté de l’Afrique de l’Est devraient promouvoir
leur industrie textile en utilisant des mesures qui ne compromettent pas les
avantages de l’adhésion à l’Agoa », peut-on lire dans le communiqué final
publié le 26 février dernier.
Le Rwanda
s’est donc retrouvé dans la ligne de mire de l’administration Trump qui a
décidé jeudi 29 mars de suspendre les avantages commerciaux dont
bénéficiaient les vêtements importés depuis le pays, accordés dans le cadre de
l’Agoa, en rétorsion aux barrières douanières sur les vêtements et chaussures
recyclés américains.
« Le
président estime qu’une suspension de ces avantages plutôt qu’une sortie du
Rwanda de l’Agoa pourrait permettre de poursuivre les discussions dans le but
de restaurer l’accès au marché [aux produits américains] et permettre au Rwanda
de respecter les exigences de l’Agoa », indique un communiqué du
représentant américain du Commerce (USTR). « Le président ne suspend pas
les avantages sur les produits importés de Tanzanie et d’Ouganda parce que
chacun d’eux a pris des mesures pour éliminer les droits de douane prohibitifs
sur les importations de vêtements et chaussures d’occasion » américains,
commente également l’USTR.
Un cadre
de l’Agoa pas si avantageux
Pourtant
les chiffres du déficit commercial de ces trois pays africains traduisent bien
un déséquilibre dans ces accords. Les importations du Rwanda, de la Tanzanie et
de l’Ouganda aux États-Unis ont totalisé 43 millions de dollars (34
millions d’euros) en 2016, tandis que les exportations américaines vers ces
mêmes pays atteignaient 281 millions de dollars, selon les chiffres
du USTR.
Au
Rwanda, le gouvernement a estimé qu’une interdiction des vêtements d’occasion
créerait au moins 25 000 emplois. Selon des experts, ce chiffre devrait en
réalité être bien inférieur au nombre de personnes qui vivent et nourrissent
leur famille de la vente des vêtements d’occasion. Et ce n’est pas tout, car,
même si la logique qui sous-tend le plan semble au moins logique : à
mesure que les vêtements d’occasion disparaîtront progressivement du marché, la
demande de nouveaux vêtements augmentera, il se trouve que la capacité de
production est pour le moment assez limitée, que les infrastructures adéquates
font défaut, ainsi que l’alimentation électrique. Il faut donc encore créer les
conditions adéquates avec du soutien au secteur et beaucoup de mesures
complémentaires. Les pays d’Afrique de l’Est pourraient regarder du côté du
Zimbabwe, de l’Afrique du Sud ou encore du Nigeria qui expérimentent
actuellement l’interdiction totale de fripes.
Mais leur
« industrie textile locale n’étant pas encore prête à faire face à la
demande croissante, ils ont dû faire face à la question d’un marché noir, à
cause du commerce informel. Il existe un pays sur le continent qui semble tirer
son épingle du jeu. C’est l’Éthiopie, qui emploie maintenant plusieurs milliers
de personnes dans sa propre industrie textile et attire de plus en plus de
géants de l’habillement qui produisent des vêtements sur place.