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L’occupant israélien systématise

Chronique de
Palestine
(Traduction), 27 février 2018

Tala
Kaddoura – Les arrestations de Fawzi Al-Junaidi et Ahed Tamimi ont mis en
lumière la conduite d’Israël envers les mineurs palestiniens.
Ahed
Tamimi, le 17 janvier 2018 lors d’une comparaison devant un tribunal de l’armée
d’occupation – Photo : Oren Ziv/Activestills
À la fin
de l’année 2017, lors de manifestations massives contre la reconnaissance par
le président américain Donald Trump
de Jérusalem comme capitale d’Israël, deux adolescents palestiniens ont eu des
démêlés – dont les vidéos ont été largement diffusées – avec des soldats
israéliens.
Fawzi
al-Junaidi a été photographié les yeux bandés et entouré de plus de 20 soldats
israéliens, ses bras attachés dans son dos tandis qu’il était entraîné de
force.
L’adolescent
de 16 ans a passé trois semaines en détention et a été libéré sous caution,
meurtri et avec une épaule disloquée.
Ahed
Tamimi avait également 16 ans quand elle a été arrêtée chez elle au milieu de
la nuit par les troupes israéliennes en tenue anti-émeute. Elle a eu 17 ans
dans un centre de détention israélien, où elle est incarcérée depuis le 19
décembre.
Alors que
Fawzi et Ahed sont devenus des symboles de la résistance palestinienne, ce sont
également des mineurs entraînés dans un système de détention militaire qui a
été accusé à plusieurs reprises d’abus systématiques.
Ces deux
adolescents ne sont de loin pas les seuls.
L’armée
israélienne a arrêté 1467 mineurs palestiniens en 2017, selon les organisations
locales de soutien aux prisonniers et le groupe de défense des droits humains Addameer.
Selon Defense for Children International-Palestine
(DCIP), entre 500 et 700 enfants palestiniens sont poursuivis devant les
tribunaux militaires israéliens chaque année.
Alors,
comment fonctionne ce système ?
Arrestations
La
Cisjordanie, à l’exception de Jérusalem-Est, est soumise à la loi militaire
israélienne depuis 1967. Les Palestiniens vivant en Cisjordanie sont soumis à
cette loi, tandis que les citoyens israéliens vivant dans des colonies
illégales en Cisjordanie occupée relèvent de la loi civile israélienne.
Selon la
loi militaire, les mineurs de 12 ans peuvent être arrêtés, la plupart pour des
jets de pierres, ce que l’armée israélienne considère comme une «infraction de
sécurité». La dite infraction peut coûter jusqu’à 20 ans de prison, en fonction
de l’âge du mineur.
De
nombreux accusés sont arrêtés lors de raids de nuit par des soldats israéliens
armés, et ils sont ensuite détenus en attendant d’être poursuivis devant les
tribunaux militaires.
« Il
peut être 3 heures du matin ou 2 heures du matin … Soudainement et sans alerte
préalable, ils entrent dans la maison et mettent tous les membres de la famille
dans une pièce, puis demandent l’enfant qu’ils veulent » explique Farah
Bayadsi, un avocat auprès de Defense for
Children International-Palestine
DCIP.
Le Bureau de la
coordination des affaires humanitaires des Nations Unies
a documenté
environ 336 raids nocturnes par l’armée israélienne uniquement en janvier 2018.
«C’est
une méthode pour terroriser les jeunes et pour s’assurer que ce système de
contrôle est exercé sur les gens dès leur jeune âge», explique Dawoud Yusef d’Addameer.
Dans les
témoignages recueillis par Defense for
Children International-Palestine
DCIP, les mineurs ont signalé
l’utilisation de menottes et de bandeaux, ainsi que des abus physiques et
verbaux lors de leur arrestation et de leur transport.
« Cela
commence dès la première minute de l’arrestation, et cela peut durer de quatre
à cinq heures, et parfois six heures », poursuit Bayadsi à Al Jazeera, en
continuant: « Jusqu’à ce qu’ils arrivent aux centres
d’interrogatoire. »
Interrogatoires
Les
mineurs arrêtés pendant les raids la nuit arrivent fatigués et désorientés dans
les centres d’interrogatoire. Ils subissent alors des abus, rapportés par des
groupes de défense ces droits, notamment en se retrouvant privés de nourriture,
d’eau et d’accès aux toilettes pendant toute la durée des interrogatoires.
Les
violences physiques et verbales, la privation de sommeil, l’humiliation, les
menaces d’agression sexuelle et les menaces contre la famille de l’enfant ont
également été documentées.
Ces
interrogatoires peuvent durer plusieurs heures et, bien que les mineurs en
détention militaire aient légalement droit à certaines protections, ils ne sont
jamais défendus.
Selon
l’ordre militaire israélien numéro 1745, des enregistrements audiovisuels des
interrogatoires de mineurs doivent être faits, sauf lorsque le mineur est
accusé d’avoir commis un «délit de sécurité», comme lancer des pierres,
accusation la plus commune portée contre des mineurs palestiniens.
Le droit
des parents de connaître l’endroit où se trouve leur enfant, introduit en 2011
par l’ordre militaire 1676, est très souvent inappliqué. Les parents sont
censés recevoir un formulaire écrit en arabe, expliquant pourquoi leur enfant
est arrêté et où il est emmené.
Mais les
témoignages recueillis par DCIP ont montré que les parents n’étaient pas
prévenus dans la plupart des cas relevés. Les rares fois où le document a été
envoyé, il était en hébreu.
Alors que
les enfants ont droit à un avocat dans devant la juridiction militaire, peu en
dispose. Quatre-vingt-dix-sept pour cent des mineurs interrogés par DCIP se
sont vu refuser l’accès à un avocat avant et pendant leur interrogatoire.
Les
enfants de 12 à 16 ans doivent être traduits devant un juge dans les deux jours
suivant leur arrestation et, chez les 16 et 17 ans, le délai est de quatre
jours.
« Nous
ne voyons les enfants que lors de leur comparution devant la cour [militaire]
après qu’ils aient fait le ‘voyage sans fin en enfer’ », dit Bayadsi.
« C’est devant le tribunal que nous prenons connaissance des violations
commises contre eux. »
Pendant
qu’ils attendent leur audience, ce qui peut prendre des mois, les enfants sont
maintenus en détention.
Selon le
DCIP, 19% des enfants interrogés en 2017 ont déclaré avoir été maintenus en
isolement cellulaire pendant 12 jours en moyenne. La plus longue période
d’isolement documentée a été de 23 jours.
Beaucoup
de mineurs finissent par signer des confessions, qui sont souvent écrites en
hébreu, une langue que la plupart des enfants palestiniens ne comprennent pas.
Malgré cela, les aveux peuvent encore être utilisés comme preuve devant un
tribunal.
  

Procès
militaires
Les
mineurs en Cisjordanie occupée sont jugés par des tribunaux militaires pour
mineurs, qui ont été créés en 2009 en réponse aux larges critiques des mauvais
traitements infligés par Israël aux mineurs.
Les
tribunaux ont certaines exigences, comme des juges spécialement formés et des
audiences à huis clos, mais les exigences ne concernent que le procès. En
effet, la plupart des abus documentés contre les enfants se produisent lors de
leur arrestation et interrogatoire, avant le début du procès.
L’emprisonnement
de mineurs après la condamnation n’est pas utilisé en dernier recours, comme
cela devrait être selon la Convention relative aux droits de l’enfant,
qu’Israël a signée.
Le
dernier taux de condamnation publié par les tribunaux militaires était de 99,74%.
Dans un
système où le juge, le procureur et même les témoins – dans les cas où un
soldat est appelé à témoigner – sont tous membres de l’armée israélienne, la
plupart des enfants finissent par négocier des aménagements.
« Disons
que vous cherchez à aller contre les accusations, vous cherchez à avoir un procès
complet et équitable. Le procureur militaire dira, ‘Ok, eh bien, cherchons la
sentence maximum,’ » explique Yusef.
Une
condamnation pour des lancers de pierres peut être des mois, voir des années,
selon l’âge du mineur.
« Donc,
quand vous fixez une sentence maximum, avec un taux de 99,74% de condamnations,
le procureur militaire dira: ‘Que diriez-vous de vous donner quelques mois, si
vous reconnaissez simplement les faits ?’ »
Et une
fois qu’un accord est fixé, les enfants sont ramenés en prison our la durée de
leur peine.
La prison
Alors
qu’ils sont jugés par des tribunaux militaires pour mineurs, les jeunes de 16
et 17 ans comme Ahed et Fawzi sont considérés comme des adultes en vertu de la
loi militaire israélienne, ce qui signifie qu’ils sont condamnés comme s’ils
étaient adultes.
Ahed
Tamimi a été inculpée de 12 chefs d’accusation, ce qui pourrait lui imposer la
prison israélienne pendant 10 ans.
Alors que
son procès est en cours, Ahed est détenue à la prison de HaSharon, l’une des
trois prisons où sont détenus des mineurs palestiniens, avec Megiddo et Ofer.
Mais deux
des trois prisons sont en territoire israélien, ce qui constitue une violation
de l’article 76 de la quatrième Convention de Genève. De plus, garder les
mineurs hors des territoires occupés signifie que les visites familiales sont
difficiles et rares.
Les
membres de la famille ayant des papiers d’identité en Cisjordanie doivent faire
une demande de permis d’entrée en Israël, ce qui peut prendre des mois, tandis
que d’autres sont refoulés pour des «raisons de sécurité» non communiquées.
Si un
permis est reçu, une brève rencontre avec le mineur, séparé par une barrière de
verre, peut prendre une journée entière parce que les visiteurs doivent passer
par plusieurs points de contrôle et contrôles de sécurité.
Les
mineurs ne passent pas seulement des semaines ou des mois loin de leur famille,
mais ils manquent aussi d’une bonne éducation.
L’enseignement
dans les prisons fait défaut, avec seulement deux classes proposées : les
mathématiques et l’arabe. Le Service pénitentiaire israélien interdit
l’enseignement d’autres matières
, telles que la géographie ou les
études islamiques, en invoquant des «problèmes de sécurité».
Les cours
dans les prisons où les adultes et les mineurs sont détenus ensemble sont en
général dispensés par des détenus plus âgés.
Une fois
les mineurs libérés, leurs études montrent une baisse de 40% du rendement
scolaire, certains des anciens détenus abandonnant alors leurs études. Mais le
manque d’infrastructures éducatives n’est pas l’unique raison.
Après la
détention
Un
rapport de 2012 a montré que près de la moitié des enfants interrogés étaient très
perturbés mentalement
après leur arrestation, environ 80% souffrant
d’insomnie et 90% développaient de l’anxiété.
«Quand
ces enfants sont libérés, ils se sentent en retrait dans leur propre société …
étant incapables de se concentrer sur leurs études, leur sommeil et leur
appétit, ils éprouvent des symptômes dépressifs, sont sur les nerfs et détachés
de la réalité», explique Khader Rasras , directeur du Centre de traitement et
de réadaptation pour les victimes de la torture à Ramallah.
Les
ex-détenus présentent différents signes de traumatisme, tels que des troubles
de l’alimentation, de l’énurésie nocturne, des cauchemars, une agressivité
accrue et une perte de motivation.
Dawoud
Yusef, d’Addameer, se souvient avoir travaillé avec un enfant appelé Shadi,
originaire de Jérusalem-Est, dont l’expérience d’arrestation, bien qu’elle ait
été traitée par des tribunaux civils israéliens, a perturbé la croissance.
« Le
temps où il a été privé d’éducation l’avait profondément affecté : cette notion
qu’il devait maintenant être fort, il devait maintenant être tout cela et faire
face à l’occupation parce que l’occupation avait été si dure. Cela avait
vraiment détruit tout semblant d’enfance », raconte Yusef.
« Et
en parlant à Shadi, nous ne pouvions pas lui parler du lendemain, en lui
demandant ce qu’il voulait faire de sa vie, en lui demandant ce qu’il voulait
être, en lui demandant de réaliser un certain avenir pour lui-même, il ne
pouvait pas. Pour Shadi, ne subsistait que la lutte au jour le jour. »
Shadi a
finalement été expulsé de l’école car trop bagarreur.
« Ces
expériences n’aident vraiment pas les enfants à se concentrer sur leurs
études », explique Rasras. «Au contraire, ils se concentrent sur d’autres
problèmes, comme le fait de se remémorer leur propre expérience traumatisante
et de resentir que le monde n’est pas aussi sûr qu’ils l’imaginaient. »