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Les raisons pour les scientifiques de boycotter Israël

Ricardo
Vaz*, The Palestine Chronique, 10 février 2018

La Rencontre internationale pour la
science en Palestine
, organisée récemment à Cambridge, au
Royaume-Uni, par l’organisation Scientists
for Palestine
, était consacrée à exposer la réalité en Palestine en
matière d’enseignement supérieur et de recherche, et à intensifier les efforts
pour y développer la science.

Funérailles
le 7 janvier 2009 de plus de 40 victimes d’une frappe israélienne près d’une
école des Nations Unies dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord de Gaza –
Photo: Archives
 
La
réunion a su réfuter l’idée que l’on puisse parler de science (ou de quoi que
ce soit) en Palestine sans mentionner l’occupation.
Les
témoignages des participants palestiniens, en personne et à distance, brossent
un tableau clair de l’impact de l’occupation sur l’éducation et la recherche
scientifique. Des barrage militaires étouffant les déplacements, aux raids la
nuit dans les dortoirs des étudiants, en passant par les fermetures arbitraires
des universités, il est clair que l’occupation est le principal obstacle au
développement de la science dans les institutions palestiniennes.
La
situation est encore pire dans la bande de Gaza
assiégée
, où il n’y a que quelques
heures d’électricité
par jour et où il est presque impossible
d’importer quoi que ce soit, et encore moins de s’équiper pour la recherche
scientifique
.
Des
étudiants de Gaza ont également raconté leur agonie pendant les mois d’attente
pour une ouverture du terminal de
Rafah
, afin de poursuivre leurs études à l’étranger et risquant de
perdre ces opportunités.
Inévitablement,
l’une des questions discutées lors de cette réunion était le boycott académique
d’Israël et la (non) neutralité de la science.
Les
scientifiques pour la Palestine n’ont pas pris de position officielle sur le boycott universitaire. En raison de la
récente répression du
gouvernement israélien
contre des individus affiliés à des groupes
soutenant la campagne de Boycott, de
Désinvestissement et de Sanctions
(BDS) pour les droits des
Palestiniens, une position publique pourrait miner leurs efforts pour organiser
des activités en Palestine.
(Note: la
campagne de boycott et les arguments qui la défendent sont brillamment
expliqués dans ce
document
.)
Rejet de
la normalisation
La
communauté scientifique, en particulier dans les sciences dites
« dures », se targue de ne pas prendre de raccourcis dans la quête
pour dévoiler les mystères les plus profonds de l’univers.
Interrogez
n’importe quel physicien théorique sur la désintégration de particules
chargées, et il sera heureux d’expliquer comment une anomalie quantique est ce
qui permet un processus de désintégration en deux photons.
Mais
posez-leur des questions sur la Palestine et il y a de fortes chances que vous
entendiez que la question est « trop compliquée », avec une
inclinaison peut-être un peu trop
orientaliste
à propos des Arabes, de l’Islam ou des deux.
Mais même
ceux qui sont informés au-delà des généralités peuvent être réticents à prendre
position ou à approuver la campagne de boycott. Le monde de la recherche
scientifique est caractérisé par une concurrence et une exploitation
impitoyables, en particulier aux niveaux des chercheurs et laboratoires, et
très peu d’entre eux sont prêts à mettre en péril leur carrière et leurs
possibilités de financement en prenant position sur la Palestine. L’exemple
doit venir d’un niveau institutionnel ou de ceux qui disposent d’une sécurité
d’emploi.
On nous
dit que la communauté scientifique, au lieu de promouvoir les boycotts, devrait
construire
des ponts
et que le reste suivra.
Mais cela
suppose que des décennies d’occupation coloniale, de nettoyage ethnique et
d’abus des droits de l’homme peuvent se
résumer
à un problème de peuples différents qui ne se parlent pas.
Bien sûr, ce qui est en train d’être construit ce ne sont pas des ponts, mais
de petites bulles où tout semble harmonieux tant qu’on ne regarde pas à
l’extérieur de la bulle.
Le mot
clé ici est « normalisation« .
L’existence actuelle d’Israël en tant qu’État colonial et colonisateur, auquel
le droit international n’est pas appliqué, repose largement sur sa projection
de lui-même comme une démocratie libérale moderne, de haute technologie et de
type occidental.
Des conférences
prestigieuses
et des projets scientifiques
conjoints
, que ce soit au nom de l’avancement de la science ou de la
construction de ponts, contribuent à cimenter ce récit.
Les
boycotts peuvent être extrêmement efficaces,
et la réaction israélienne en panique,
face au mouvement BDS, en témoigne.
Une
campagne de boycott bouleverse les fondements mêmes de l’image policée qu’Israël
veut projeter, et force des gens qui autrement ne seraient pas enclins à
regarder derrière le rideau, à découvrir la réalité macabre du nettoyage
ethnique, des bombardements réguliers et des violations
sans fin des droits de l’homme
.

Une
version renforcée de l’apartheid
Il n’y a
pas si longtemps qu’existait le boycott académique contre l’apartheid en
Afrique du Sud (qui a coïncidé avec des boycotts culturels et sportifs).
Les
Nations Unies ont même adopté des résolutions
pour l’appuyer. Je ne doute pas que beaucoup de personnes qui aujourd’hui
contestent ou s’opposent à un boycott académique d’Israël auraient avec plaisir
embrassé le boycott de l’Afrique du Sud.
Pourtant,
la version
israélienne
de l’apartheid n’est pas du tout mise en retrait par son
prédécesseur sud-africain.
Israël
bénéficie du soutien inconditionnel de la première superpuissance ondiale – qui
a fini par abandonner même son soutien à l’Afrique du Sud – et d’un puissant lobby
qui domine les congrès, les parlements et les comités de rédaction.
Il aurait
été absurde de suggérer que ce qui était alors nécessaire en Afrique du Sud,
c’était une collaboration scientifique entre les institutions de l’apartheid et
les bantoustans. Remplacez l’Afrique du Sud par Israël, et les bantoustans –
les « homelands » indépendants et gouvernés par les noirs, établis
par le régime d’apartheid – avec les territoires occupés (semblables aux
bantoustans), et cela reste une absurdité.
Le fait
est que la science, comme toute autre activité humaine, n’est pas
neutre
, que l’on en soit conscient ou non. Et si les scientifiques
souhaitent être
solidaires
avec leurs homologues palestiniens, ils devraient alors
entendre leur opinion à ce sujet, qui est massivement en faveur du
boycott universitaire et contre toute collaboration impliquant des institutions
israéliennes. Sinon, toute idée d’aide à la science en Palestine n’est qu’un
exercice charitable, enraciné dans une mentalité de sauveur occidental.
En fin de
compte, les campagnes de boycott, que celui-ci soit purement académique ou à
plus large échelle – comme la campagne BDS – ne seront pas seules à apporter
justice et liberté aux Palestiniens. Le rôle clé sera joué par le peuple
palestinien lui-même.
Mais la
communauté scientifique doit comprendre qu’elle a un rôle à jouer et les
boycotts se sont révélés efficaces dans la lutte contre l’apartheid, tant dans
ses incarnations sud-africaines qu’israéliennes, et contre la normalisation de
son existence.

* Ricardo
Vaz est écrivain et éditeur à Investig’Action.