General

Les enfants d’origine étrangère se trouvent sans cesse “entre-deux”

Recueilli
Jean-Paul Musangania, La Croix, le 20/02/2018

Entretien avec Cécile Goï, enseignante-chercheure au département de
sciences de l’éducation et du langage au sein de l’université de Tours, à
l’occasion de la Journée internationale de la langue maternelle, mercredi
21 février, sous le signe de la préservation de la diversité linguistique
dans le monde
.
 

La Croix:
Pourquoi s’investir dans l’éveil à la langue maternelle, surtout pour les
enfants migrants ou d’adoption internationale
?
Cécile Goï:
Deux raisons président à l’éveil de la langue maternelle dite aussi « langue
première ». D’une part, la langue maternelle est un moyen de mettre pour
les enfants de mettre des mots sur leur parcours. Elle constitue un continuum
biographique qui leur permet d’assumer le présent sans frustration et
d’explorer l’avenir. De l’autre, la langue maternelle leur permet de se faire
une identité propre dans le rapport de filiation. En d’autres termes,
reconnaître, valoriser la langue maternelle de migrants, c’est leur permettre
de trouver leur place et de s’engager résolument dans l’apprentissage d’une
langue étrangère ou « langue seconde » au pays d’accueil. Cette
conciliation linguistique aide les enfants à se construire un répertoire
plurilingue où habiletés sociales et linguistiques se nourrissent.
Se raconter
dans sa langue maternelle permet-il de mieux communiquer dans la langue
étrangère du pays d’accueil
?
C. G.:
Le récit de l’histoire familiale de migration élaboré en classe, par exemple,
devient en effet un vecteur de motivation pour accompagner les enfants
allophones dans leur apprentissage de l’écriture de la seconde langue. Cette
démarche d’accueil, d’échanges et d’accompagnement, concourt à désamorcer les
malentendus, les expressions différentes dans leur éducation. La mise en
lumière des décalages, si elle ne permet pas forcément une compréhension
réciproque pleine et entière, ne peut qu’aider les enfants à construire leur
propre parcours.
Existe-t-il
un hiatus entre la langue maternelle de migrants et la langue étrangère de
scolarisation
?
C. G.:
Dans un contexte de migration, la confrontation à des modèles et des codes
culturels différents peut devenir source de conflits d’identité, liés à la
perte du sens et de ses fondements culturels. Les enfants d’origine étrangère
se trouvent sans cesse « entre-deux »
:
entre-deux cultures, entre-deux langues, entre-deux pays… C’est à l’enseignant
d’en tirer des leçons pour ses pratiques pédagogiques. Dans la classe, par
exemple, on peut inscrire sur un panneau les langues parlées par les enfants et
par l’enseignant. Cette place faite à la langue maternelle donne droit de cité,
espace et valeur à ce qui a construit l’enfant avant son arrivée dans un pays
d’accueil.
Peut-on
assister à un conflit entre la langue maternelle et l’appropriation d’une
nouvelle langue de scolarisation au sein d’une famille de migrants
?
C. G.:
Certains parents d’origine étrangère ressentent leur langue comme menacée
lorsque les enfants s’approprient assez rapidement la langue de la culture
nouvelle. Il peut alors arriver que l’élève soit tiraillé entre l’envie de
nouer des relations sociales avec son nouvel environnement et ce qu’il perçoit
de la crainte chez ses parents qui redoutent son éloignement, vis-à-vis d’eux
et de leur culture. Dans cette perspective, progresser, apprendre, réussir à
l’école dans cette langue étrangère peut s’assimiler, pour les parents, à une
appréhension de la perte de la langue première. Au regard de ce sentiment de
déloyauté, c’est à l’enseignant de décoder ces situations et d’ouvrir le
dialogue avec les parents pour libérer l’enfant de tensions dont il n’est pas
responsable.
Recueilli Jean-Paul Musangania