Iran: bas les voiles!
Homa
Hoodfar, The Conversation, 13 mars
2018
Récemment,
le monde entier a été surpris par l’émergence d’un nouveau mouvement féministe
en Iran. Des
Iraniennes non voilées se tiennent debout sur des plateformes et des
bancs dans les lieux publics en brandissant des foulards blancs au bout d’un
bâton pour protester contre le port obligatoire du hijab.
Une jeune iranienne soutient le mouvement spontané « My stealthy freedom » (ma liberté furtive) aussi appelé « mercredi blanc ». |
Seules et
silencieuses, ces femmes peuvent difficilement être accusées de se mobiliser
contre le régime ou de troubler la paix, qui sont les motifs habituellement
invoqués pour arrêter les manifestantes. Certaines femmes ont été arrêtées pour
avoir ôté leur hijab en public, mais les autorités détournent en général le
regard pour éviter d’exacerber les tensions, d’attirer l’attention sur les
militantes et de donner prise au mouvement.
Néanmoins,
des vidéos et des images de ces gestes
sont largement relayées sur les réseaux sociaux, ce qui engendre un
nouveau désir d’émancipation chez les Iraniennes et attire l’attention des
médias internationaux.
Les
filles de la Révolution
Les
jeunes militantes sont appelées « les
filles de la Révolution ». Ce mouvement inattendu n’a entraîné
aucune réponse cohérente du régime, et le nombre de femmes brandissant leurs
foulards en guise de protestation dans les lieux publics ne cesse d’augmenter.
Bien qu’il n’existe encore aucune organisation militante centralisée, ces
gestes isolés ont attiré de nombreux sympathisants.
Nous
assistons à la naissance
d’un mouvement citoyen spontané qui exprime l’insatisfaction d’un
large pan de la population masculine et féminine, y compris les femmes qui
continueraient de porter le hijab, mais qui s’opposent au port obligatoire.
Nous
connaissons au moins un cas de femme vêtue d’un tchador ayant brandi un foulard
dans une rue fréquentée pour protester contre l’oppression de sa liberté.
L’enjeu n’est pas le voile à proprement parler, mais bien les inégalités
politiques qu’il représente, et de son utilisation comme symbole silencieux
d’opposition envers le contrôle de l’état sur la liberté des femmes.
L’aspect
politique qui entoure le port du voile soulève parfois l’incompréhension. Par
exemple, en Turquie et dans certaines régions d’Europe, les musulmanes luttent
pour le droit de porter le hijab alors qu’en Iran, les femmes s’opposent depuis
près de 40 ans au port obligatoire du voile. Dans un cas comme dans
l’autre, les femmes
revendiquent la liberté de choisir, une étape essentielle vers la
reconnaissance de leur identité et de leurs droits en tant que citoyennes.
Les femmes s’opposent à l’oppression physique chaque jour en Iran. Le nombre de femmes qui brandissent leurs foulards en guise de drapeau dans les lieux publics ne cesse d’augmenter. Facebook/mystealthyfreedom |
Quand le
8 mars m’a conduit en prison
Il y a
deux ans, j’ai célébré le 8 mars à Téhéran en marchant dans les rues, en
empruntant le métro pour me rendre à un groupe de discussion et en lisant des
messages d’encouragement sur les réseaux sociaux. Je garde gravée dans mon cœur
et dans mon esprit cette journée passée dans des compartiments réservés aux
femmes, à célébrer ces Iraniennes vêtues de leurs tenues colorées et de leur
voile dénoué, s’opposant à un régime voulant contrôler leur corps et opprimer
leur liberté.
Grâce à
l’esprit d’entreprise extraordinaire de ces femmes, les wagons du métro de
Téhéran sont devenus des plateformes publiques pour discuter des sujets qui les
touchent, mais aussi des lieux de magasinage clandestins. Les femmes de tous
les horizons peuvent s’y procurer une incroyable diversité de biens, malgré les
efforts déployés par les autorités pour mettre fin à ce commerce parallèle et
empêcher les femmes d’entrer et de sortir du train avec des articles de
cuisine, des vêtements, du maquillage, des articles de sport et bien d’autres
marchandises.
Le soir
du 9 mars, je suis rentrée le cœur rempli d’optimisme et j’ai commencé à
faire mes valises en prévision de mon départ le jour suivant. C’est à ce moment
que mon appartement a été perquisitionné par les Gardiens de la révolution.
J’ai été arrêtée et envoyée à la prison d’Evin, inculpée pour avoir
« participé à des activités féministes et dangereuses », un crime
qui, juridiquement, n’existe pas.
Je me
consolais en pensant que mon incarcération était bien insignifiante
comparativement à certaines luttes menées par les femmes dans l’histoire.
J’essayais aussi de garder le moral en me remémorant l’hymne féministe de mon
enfance, « Bread
and Roses » de Joan Baez ainsi que la chanson iranienne
« Zan » (femme) par Ziba Shirazi, qui adresse ce message à
l’Ayatollah Khomeini : les femmes sont plus douces que des pétales et plus
solides que le fer, il ne faut pas les voiler, car tous les hommes, lui
compris, leur doivent la vie.
« Zan »,
par Ziba Shirazi.
1979,
hijab pour toute
En 1979,
j’ai constaté avec quelle facilité les progrès et les gains modestes réalisés
par les femmes en Iran au fil des ans ont été renversés à peine deux semaines
après la Révolution. Ces événements ont appris aux générations de femmes qui
ont suivi la Révolution que les droits ne sont pas garantis, il faut les protéger.
Peu après
la création de la République islamique d’Iran, les dirigeants du pays ont
décidé que les femmes symboliseraient, collectivement, l’islamisation de la
nation en Iran et à l’étranger. Le 7 mars 1979, le port obligatoire du
hijab était décrété.
Le
lendemain matin, soit le 8 mars (une journée qui n’est habituellement pas
célébrée en Iran) des milliers de
femmes ont envahi les rues pour manifester contre la nouvelle
mesure.
Surpris
par cette violente et soudaine opposition, les dirigeants ont temporairement
suspendu leur décision. Au cours des deux années suivantes, le régime a utilisé
le discours nationaliste pour réinstaurer le port obligatoire du voile, d’abord
pour les employées de l’état, puis dans les bureaux du gouvernement, et ensuite
pour les étudiantes.
Enfin, le
port obligatoire du voile en public fut imposé à toutes les femmes de plus de
neuf ans, qu’elles soient musulmanes ou non. Le gouvernement a décrété que les
femmes non voilées faisaient naître des désirs impurs chez les hommes, un
argument fallacieux utilisé pour rabaisser la femme et permettre aux hommes
d’agir en toute impunité.
Les femmes sont descendues dans la rue pour s’opposer aux nouvelles mesures les obligeant à abandonner un style vestimentaire occidental, ici le 9 mars 1979, Téhéran. UPI/AFP |
Ces
femmes ont également remis en cause la légitimité des couleurs permises par
l’État (brun, blanc, bleu marine et gris), soulignant que même dans les
interprétations les plus conservatrices, il n’existe aucune prescription à ce
sujet dans les textes islamiques, et que la couleur préférée du Prophète était
le rose.
À cette
époque, plusieurs Iraniennes, dont moi lorsque je visitais le pays, portions
des vêtements d’un vert très vif appelé « vert saoudien », ce qui
irritait particulièrement les dirigeants du régime, et contre laquelle la
police des mœurs était impuissante, puisque le vert est généralement reconnu
comme la couleur de l’islam. Quelques années plus tard, les femmes ont commencé
à porter d’autres couleurs vives en public.
Le régime
entendait faire du hijab un symbole de fierté nationale s’opposant à la mode
occidentale « hédoniste » popularisée par l’ancien gouvernement.
Les Iraniennes ont continué de déjouer les intentions du régime en modernisant
la tenue traditionnelle, par exemple en portant des motifs ethniques aux
couleurs vives, mais parfaitement conformes aux codes islamiques de modestie.
La police
des mœurs et autres agents de l’État n’avaient donc aucune raison légitime
d’arrêter ces femmes pour violation du code vestimentaire, permettant ainsi à
la première génération de femmes vivant sous la République islamique d’Iran de
continuer d’exprimer leur opposition.
Vers une
nouvelle révolution ?
Avec le
temps, des générations de filles de tous les horizons ayant grandi sous le
régime de la République islamique d’Iran ont commencé à porter des tuniques
plus courtes et plus moulantes sur leurs leggings. Leurs voiles aussi sont
devenus plus courts plus lâches. Les femmes plus âgées, sous prétexte d’avoir
dépassé l’âge d’être désirables, ont commencé à laisser tomber les foulards sur
leurs épaules en public dans les villes et les villages.
Malgré
des investissements massifs pour l’embauche de centaines de milliers d’employés
et de bénévoles de la police des
mœurs, et près de 40 ans à tenter d’inculquer aux étudiants les
valeurs « islamiques » du pays, le régime n’a toujours pas atteint
son objectif.