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Exportations d’armes: hypocrite, le Canada?

Alexandre Sirois, La Presse, 19 février 2018

Le
président des Philippines a récemment dit qu’il donnait l’ordre aux soldats de
son pays de «tirer dans le vagin» des femmes qui font partie de la guérilla.
 
Justin
Trudeau a rencontré le président des Philippines Rodrigo Duterte à
Manille en novembre dernier. PHOTO PC
 
La
déclaration est immonde. Par contre, elle n’a surpris personne. Ce président,
Rodrigo Duterte, est un leader brutal et sans scrupule. La Cour pénale
internationale vient même d’annoncer qu’elle se penche sur des allégations de
crimes contre l’humanité commis dans le cadre de sa «guerre contre la drogue».
À peu
près au même moment, on a appris que le Canada était en train de se préparer à
livrer 16 hélicoptères à ce despote. C’est à la fois absurde et grotesque.
Le
ministre du Commerce international, François-Philippe Champagne, a pris la
bonne décision en affirmant rapidement qu’Ottawa allait réévaluer cette
entente. Dans la foulée, les Philippines ont annoncé qu’elles ne voulaient plus
de ces hélicoptères. Tant mieux.
Mais
cette nouvelle controverse s’ajoute à celle provoquée par la vente de blindés à
l’Arabie Saoudite. Deux exemples qui nous rappellent à quel point l’encadrement
des exportations de matériel militaire par Ottawa est déficient. Un ménage
s’impose.
Ce sont
des lignes directrices qui guident actuellement les décisions d’Ottawa en la
matière. Sur papier, les objectifs sont exemplaires. On souligne d’abord que la
politique étrangère du Canada place «le maintien de la paix et de la sécurité»
au coeur de ses objectifs. On dit ensuite vouloir «veiller à ce que les
exportations» d’armes «ne nuisent pas à la paix, à la sécurité ou à la
stabilité» ailleurs dans le monde.
C’est la
seule attitude digne d’une démocratie occidentale comme la nôtre.
Vendre
des armes en se souciant de ce qu’en feront ceux qui les achètent, ce n’est pas
faire preuve d’un moralisme rigide. Cela va de soi!
Évaluer
les conséquences de nos décisions dans ce domaine est essentiel. Il y a une
différence entre exporter des céréales, du porc ou de l’aluminium, par exemple,
et vendre des armes.
D’autant
plus que le Canada n’est pas un acteur marginal sur ce marché lucratif. Le pays
a vendu pour 717,7 millions de dollars d’équipement militaire en 2016, en vertu
de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation. Et cette somme ne
comprend pas les armes et technologies vendues aux États-Unis, notre principal
acheteur. Un accord particulier a été conclu avec ce pays : une
licence n’est généralement pas nécessaire pour y exporter des armes.
La bonne
nouvelle, c’est que le Canada est en train de revoir l’encadrement des ventes
de marchandises militaires: un projet de loi est actuellement à
l’étude à Ottawa. L’intention est de se conformer au Traité international sur
le commerce des armes, en vigueur depuis 2014. Un traité qui avait été boudé
par le gouvernement de Stephen Harper.
La
mauvaise nouvelle, c’est que le projet de loi actuel est bancal. Divers
organismes en faveur d’un meilleur encadrement, dont Amnistie internationale et
Project Ploughshares, en ont déploré la timidité. Entre autres parce qu’il
serait encore possible pour un ministre des Affaires étrangères, même après
l’adoption de cette législation, d’autoriser la vente d’armes à un pays où les
droits de la personne sont bafoués.
Ça relève
à la fois de la fourberie et de l’illogisme. À quoi servirait, alors, ce grand
ménage si c’est pour revenir à la case départ?
Il y a
une dizaine de jours, la ministre actuelle des Affaires étrangères, Chrystia
Freeland, a laissé entendre qu’elle pourrait modifier le projet de loi. C’est
souhaitable.
Car si le
Canada adhérait au Traité international sur le commerce des armes tout en se
réservant le droit de vendre de l’équipement militaire à des régimes brutaux et
oppresseurs, l’hypocrisie de la réforme pilotée par Mme Freeland
serait consternante.
OÙ VONT
LES ARMES CANADIENNES
(excluant
les États-Unis, en dollars canadiens)
1. Arabie
saoudite : 142,2 millions
2.
Australie : 115,8 millions
3.
Royaume-Uni : 78,3 millions
4.
Pérou : 59,4 millions
5.
France : 41,2 millions
Source: Rapport
sur les exportations de marchandises militaires, 2016, Affaires mondiales
Canada. Notons que la valeur des exportations vers les États-Unis n’est pas
révélée par Ottawa.