General

En Inde, les habitantes d’un bidonville apprennent à négocier avec les autorités pour changer leurs conditions de vie

Siddharth
Agarwal, The Conversation, 28 mars 2018

Shabnam
Verma, Neeraj Verma, Kanupriya Kothiwal, Shrey Goel, membres de l’équipe et
bénévoles du Urban Health
Resource Centre
, ont contribué à cette enquête et ont été
bénéficiaires de Fonds Axa pour la recherche à travers leur institution.
Des
femmes présentent leurs demandes aux élus de leur district. UHRC, Author
provided
Comment
convaincre son conseiller municipal qu’avoir accès à l’eau potable est un
droit, comme de marcher dans des rues goudronnées ou encore de bénéficier de la
sécurité qu’apportent les réverbères le soir ? Et comment y parvenir
quand, en plus de vivre dans un bidonville excentré aux portes d’une grande
ville indienne, on est une femme illettrée ?
C’est
précisément ce à quoi nous nous sommes intéressés à Indore, la ville la plus
peuplée du Madhya Pradesh, un État du centre-ouest de l’Inde. Selon le
recensement indien, la population d’Indore, qui s’élevait à 2 millions en
2011, a atteint 2,8 millions
en 2018
, dont 30 % environ vit dans des bidonvilles qui ne cessent
de s’étendre.
Des
foyers officieux
Selon le
dernier recensement, l’Inde compte 13,7 millions de foyers établis dans
des bidonvilles, dont 4,9 millions ne sont ni reconnus, ni déclarés.
Considérés comme officieux, ils sont souvent jugés illégaux par les autorités,
surtout lorsqu’ils sont récents. Outre la difficulté que pose la recherche d’un
gagne-pain quand on s’installe dans une nouvelle
ville
, cette prétendue « illégalité », synonyme
d’instabilité, fait peser sur les habitants une menace permanente.
Chemin en
terre battue au cœur du bidonville. UHRC, Author provided

Certes
plusieurs politiques gouvernementales telles que la National Urban Health Mission
exigent que les bidonvilles, répertoriés ou non, ainsi que les populations
vulnérables soient rattachés aux services municipaux, tels que
l’approvisionnement en eau, le tout-à-l’égout, l’électricité et les rues
goudronnées, qui ont tous un impact sur la santé. Mais la prestation de tels
services s’avère cependant très lente pour certaines catégories de population,
quand elle n’exclut pas les plus faibles et vulnérables.
En effet,
et bien que le gouvernement indien ne qualifie officiellement aucune habitation
humaine d’« illégale », c’est pourtant bien ainsi que les
fonctionnaires et les élus municipaux les considèrent, ce qui impacte la
distribution des services.
Et ce
alors même que les habitants de ces bidonvilles peuvent tout de même aller
voter avec leur adresse enregistrée dans basti (bidonville) sur leur carte
d’électeur. Ce qui montre l’incohérence des pratiques et surtout que la notion
d’« illégalité » peut être surmontée.
Une bande
de terre alléchante
À Indore,
la zone périurbaine située au nord-est a attiré une population de migrants
pauvres des districts de Rewa et Khargone, ainsi que des États d’Uttar Pradesh
et Bihar, au nord du pays. Au départ, 20 à 30 familles sont venues s’installer
en 2014 sur ce qui n’était qu’une petite bande terre abritant un four à
briques et qui, jusque-là, faisait office de site de défécation à ciel ouvert
et de décharge pour les habitants des bidonvilles environnants.
Ce n’est
que lorsque la terre a été achetée par un courtier immobilier, puis défrichée
et nivelée, que les migrants ont commencé à s’y intéresser. Cette nouvelle
colonie présentait l’avantage d’offrir des logements meilleur marché et la
possibilité d’aller travailler dans les usines, les chantiers et les marchés
voisins.
Les
migrants ont commencé à investir cette zone en terre battue, dépourvue
d’électricité et d’eau courante, dont les rues non goudronnées, dangereuses
pour les enfants, compliquaient les déplacements des habitants. L’absence d’eau
les obligeait à parcourir de longues distances pour aller en chercher tandis
que l’absence d’électricité les privait de lumière le soir et de ventilateurs
lors des pics de chaleur pouvant atteindre les 40 ou 45 °C.
Des
femmes qui se battent pour leurs droits
Comment
faire face à ces défis ? Aux questions posées, les autorités municipales
rétorquaient habituellement qu’il « n’existe encore aucun programme »
ou qu’« aucun ordre n’a été donné pour l’instant ».
C’est
alors que les femmes arrivées dans ce bidonville nouvellement créé ont eu vent
des actions de notre organisation, le Urban Health Resource Centre
(UHRC), qui a conseillé et formé des groupes de 12 à 15 femmes issues des
bidonvilles environnants afin de les aider à accéder à divers services.
Les
travailleurs sociaux du UHRC sont donc allés prêter main-forte aux nouveaux
venus. À la suite de réunions régulières et de discussions participatives, deux
groupes féminins ont vu le jour fin 2014 : Sakhi Saheli Mahila Samooh
(Groupe de sœurs et d’amies) et Nai Kiran Mahila Samooh (Groupe de femmes
Nouvelle lumière).
Début
2015, les membres de ces nouveaux groupes de femmes se sont informés auprès
d’associations plus expérimentées dans les bidonvilles voisins. La meilleure
arme, leur a-t-on dit, pour convaincre les autorités, ce sont des négociations
calmes mais constantes.
Les
femmes parlent stratégie avec les travailleurs sociaux. UHRC, Author provided
Gagner en
assurance
Grâce à
la formation dispensée par l’UHRC et avec l’aide des groupes déjà établis, les
nouveaux habitants ont pu écrire des pétitions dans la langue locale, le hindi,
qu’ils ont soumises au conseiller de quartier, à la municipalité et à
l’audience publique du district. En tête de liste figuraient le goudronnage des
rues et l’eau courante. Devant la fin de non-recevoir que leur a opposée le
conseiller, au motif que leur bidonville était « illégal », les
femmes ont fait valoir leurs droits en tant que citoyennes et souligné
l’importance de leur vote aux élections.
Leurs
efforts répétés ont abouti à la construction d’un puits et au goudronnage des
routes, dont 30 % avaient été effectués en octobre 2016. La construction
d’un autre puits et le goudronnage du reste des routes sont en bonne voie.
Les
femmes se félicitent du goudronnage des rues. UHRC, Author provided

Une
pétition a été déposée en décembre 2016, suivie de nombreuses représentations
en personne auprès du conseiller de quartier et de plusieurs rappels écrits. En
novembre 2017, les habitants ont profité de la visite du conseiller pour lui
rappeler qu’il restait des puits à installer. La communauté a mis en place une
mesure temporaire d’accès à l’eau sous forme d’une redevance, de
100 roupies (1,25 €) par foyer, versée aux familles des bidonvilles
adjacents qui possèdent leurs propres puits.
La
solidarité, ça marche
Le rôle
de mentorat des groupes déjà établis est similaire à l’émergence des réseaux de
solidarité en Grèce
au moment où le gouvernement a imposé des
mesures d’austérité en réaction à l’effondrement de l’économie, en 2009-2010.

Rédaction
des pétitions. UHRC, Author provided
Ces
réseaux de solidarité informels ont joué un rôle crucial en aidant les gens à
surmonter les difficultés causées par les mesures
d’austérité et l’instabilité économique
. Le projet a montré que le
soutien et les conseils prodigués par ces groupes établis avaient un effet d’entraînement
sur les colonies voisines. Par ailleurs, qu’une approche courtoise et
conciliante vis-à-vis des autorités, ainsi que des négociations autour des
demandes soutenues de la communauté, finissaient par assurer aux foyers
officieux un accès aux services et aidaient à surmonter la notion d’illégalité
brandie par les fonctionnaires.
Les
stratégies mises en œuvre ont finalement réussi à faire bénéficier une
population de 1 575 habitants des services municipaux.