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Égypte: Tom Cruise au pays du maréchal Sissi

Benoît Delmas,
Le Point Afrique, 25/03/2018

Élu
en 2014 avec 97 % des voix, Sissi se présente à la
présidentielle face à un rival de pacotille alors que les Égyptiens,
économiquement exsangues, constatent que leur pays est redevenu une dictature
old school.
Une photo
prise le 20 mars 2018 montre des bannières électorales sponsorisées par le
secteur privé soutenant le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi sur une
place dans la banlieue nord de Shubra, au Caire. © AFP/Mohamed El-Shahed
Tom
Cruise arrête sa décapotable sur Times Square, anormalement fantomatique. Pas
un quidam sur ce haut lieu new-yorkais. Inquiet, il cherche une présence
humaine. Rien. Sur les frontons publicitaires, le portrait du maréchal Sissi a
remplacé Coca, McDo et autres publicités pour un film Marvel. Sissi est
partout. Sardonique, souriant, inquiétant, il observe Cruise qui tente de
s’enfuir. Ce détournement du film Vanilla Sky a connu un succès contagieux sur
les réseaux sociaux. Détournement qui dénonçait par l’humour l’emprise de Sissi
sur les médias égyptiens et l’omniprésence de son portrait dans les rues du
pays. Car, non content d’avoir éliminé tout adversaire potentiel (dont deux
militaires qui ont été brutalement évincés de la course à la présidentielle),
le raïs fait régner la terreur dans les rédactions. Et la porte de la prison
est grande ouverte pour celui qui oserait le critiquer. Vingt-neuf journalistes
ont été emprisonnés et plus de quatre cents sites web, interdits. Des numéros
de téléphone ont été mis à la disposition des citoyens s’ils désirent se
plaindre d’« informations mensongères » diffusées par les médias ou
les réseaux sociaux. Ambiance à la veille d’une présidentielle jouée d’avance.
La pièce de théâtre Avant la révolution vient d’être censurée au Caire. Trop
négative sur les espoirs douchés de 2011.
Une
mascarade électorale
Les
26, 27 et 28 mars, les Égyptiens voteront pour la
présidentielle. Au choix : Sissi et Moussa Mostafa Moussa, adversaire
choisi par le régime et thuriféraire de Sissi. Deux points de suspense
demeurent : le taux de participation et le pourcentage qu’obtiendra
l’actuel président. Plus de 97 %, son score en 2014 ? Cela semble
impossible, sauf fraude massive. Économiquement, si l’Égypte applique
l’ordonnance du FMI à la lettre (dévaluation de la livre égyptienne de
50 %, mise en place d’une TVA à 13 %), les résultats escomptés
tardent. L’inflation dépasse les 35 %. Quant à l’abstention, elle risque
d’être importante sauf tripatouillage d’envergure. La seule question :
pourquoi des élections ? Le candidat et le vainqueur ont été choisis par
lui-même. Pourquoi ce besoin de légitimer une dictature par un vote pipé ?
Sissi, tel un Moubarak 2.0, veut asseoir son pouvoir sur un semblant de
légitimité populaire. Alors, va pour une élection de maréchal. Mais ce ne sera
pas sans conséquence sept ans après les chutes de Ben Ali, Kadhafi et Moubarak.
Comme un retour à l’ancien monde.
Une
idéologie militaro-conservatrice
La
réélection de Sissi arrimera solidement le régime dans une idéologie
militaro-conservatrice. Si Sissi passe pour l’homme qui a mis la confrérie des
Frères musulmans en prison ou au cimetière, confrérie qui – petit détail –
avait remporté les élections post-révolution, l’homme est extrêmement
religieux. Et on ne badine pas avec les atteintes au sacré en Égypte. L’homme
bénéficie du soutien des salafistes. Sa réélection brouillera l’image du
militaire bravant la menace des barbus. La religion est pour Sissi un
élément-clé de son pouvoir. Et il sera piquant de voir l’utilisation qu’il en
fera lors de son prochain mandat.