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De graves lacunes dans le projet de loi français sur l’asile

Par Claire Guyot, EURACTIV, 26
feb 2018

Le
règlement « Dublin » est au cœur des critiques de la gestion des flux
migratoires. Il n’est pourtant pas mentionné dans le projet de loi
immigration-asile du gouvernement.
CREDIT: Anjo-Kan, Shutterstock
Présenté
mercredi 21 février en conseil des ministres, le projet de loi asile et
immigration accumule les critiques. Les associations dénoncent un texte
« déséquilibré » qui ne s’attaquerait pas au cœur du problème
migratoire, à savoir le système européen d’asile et en particulier le règlement
de Dublin.
« En
refusant d’avancer sur (…) la modification nécessaire du règlement Dublin, ce
projet passe à côté d’une occasion de s’attaquer réellement à la pauvreté et à
la souffrance sociale », dénonce un collectif d’associations dans un
communiqué.
« Ce
projet ne répond à aucune des crises actuelles et notamment pas à la crise de
la solidarité européenne, renchérit Pierre Henry, directeur général de France
Terre d’asile. Le véritable problème vient du système de Dublin qui ne
fonctionne pas, et qui laisse dans l’errance des dizaines de milliers de
personnes. » 
Un
système dysfonctionnel
Mis en
place au début des années 1990, le règlement de Dublin vise à attribuer la
responsabilité de chaque demandeur d’asile à un État membre. En l’absence de
lien spécifique du demandeur d’asile avec un État, il revient au premier pays
européen par lequel celui-ci passe d’examiner sa demande d’asile, ce qu’on
appelle le principe de « première entrée ».
En 2015,
la crise migratoire avait mis en lumière les failles de cette règle : les
pays aux frontières de l’espace Schengen, l’Italie et la Grèce notamment,
s’étaient retrouvés submergés par l’afflux de nouveaux arrivants.
Cette
dernière est apparue d’autant plus inefficace du fait des mouvements de
migrants qui, pour atteindre l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ne restaient pas
dans leur pays d’entrée, en charge de traiter de leur demande d’asile.
Selon
Matthieu Tardis, chercheur à l’Ifri, le règlement de Dublin a contribué à
produire des « situations d’errance » et « une loterie »
entre demandeurs d’asile. « Les procédures, et perspectives d’intégration
varient grandement entre États membres. En conséquence, les chances d’obtenir
l’asile dépendent fortement du pays dans lequel la demande est examinée. »
Une
révision bloquée au niveau européen
La
Commission a lancé en mai 2016 une série de propositions pour harmoniser les
pratiques entre États membres. Mais depuis deux ans, les avancées sur le
dossier se font attendre. Bien que le Conseil se soit engagé à donner sa
position pour juin, le blocage pourrait perdurer, les États membres étant
particulièrement divisés sur les mesures prônées par la Commission.
Au cœur
des tensions se trouve sa proposition d’instaurer un « mécanisme correcteur »
qui permettrait, au-delà d’un seuil de demandes d’asile dans un pays, de
relocaliser ces dernières vers un autre État membre. Soutenue par les pays
méditerranéens et par l’Allemagne, la mesure est contestée par les pays du Nord
de l’Europe et par les membres du groupe de Visegrad, qui accueillent
actuellement moins de demandeurs d’asile.
« La
Commission veut instaurer un mécanisme de solidarité européenne, explique
Matthieu Tardis. Cependant, certains États membres ont une autre vision de
comment doit s’appliquer cette solidarité.  Les pays du groupe de Visegrad
par exemple, considèrent qu’elle doit être financière, et non sous forme de
répartition de demandeurs d’asile. »
Une liste
de pays-tiers sûrs controversée
Un autre
point de clivages dans les propositions de la Commission concerne la mise
en place d’une liste commune de « pays tiers sûrs ». Cette liste, sur laquelle
pourrait figurer le Niger ou encore la Turquie, permettrait de renvoyer les
demandeurs d’asile vers des pays respectant certaines normes internationales en
matière de droit d’asile, et par lesquels ils auraient transité avant d’arriver
en Europe.
La notion
fait particulièrement polémique en France, le Parlement l’ayant rejetée dans un
récent projet de loi sur la détention des demandeurs d’asile.
« Nous
craignions que ce concept revienne par la fenêtre européenne,. La France doit
en montrer la nocivité pour le droit d’asile », enjoint le représentant de
France Terre d’asile, qui confie néanmoins avoir des doutes sur la position
française après que le gouvernement a tenté de l’intégrer dans son projet de
loi.