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Bertrand Cantat: comment s’organise le front anti-concerts

Par Julie Mazuet,
Le Figaro, 15 mars 2018

Si la
participation de Bertrand Cantat aux festivals d’été a été annulée, la tournée
du chanteur se poursuit à travers toute la France. Non sans heurts. Féministes
et citoyennes se mobilisent pour demander l’annulation des shows.

Des
manifestants tiennent des pancartes «Cantat assassin» devant la salle
Le Belle
Électrique avant un concert de Bertrand Cantat.
(Grenoble, le 13 mars 2018). Photo
AFP / Pascal Guyot

Des
pétitions et des manifestations émaillent la tournée hexagonale de Bertrand
Cantat & Amor Fati. Militantes féministes, politiques ou simples citoyens :
ils s’organisent au compte-gouttes pour protester contre le fait que
l’ex-chanteur de Noir Désir, condamné en 2003 à huit ans de prison pour le
meurtre de Marie Trintignant et ayant purgé sa peine, puisse se produire sur
scène. Et être applaudi par ses fans, nombreux.

“Féministes
grenobloises”
Si Bertrand
Cantat a renoncé à participer aux festivals de cet été
, sa tournée
classique se poursuit : Strasbourg, Montpellier et Grenoble où de récentes
frictions y ont eu lieu. Le chanteur produisait deux soirs de suite, les 13 et
14 mars, à La Belle Électrique, une salle de 900 places. Une pétition,
d’abord, invite – en vain – le maire de la ville, Éric Piolle (EELV), à faire
«annuler ces concerts». «Nous dénonçons le choix de programmer Bertrand Cantat
et ainsi de participer à la promotion de cet artiste et, par là même, de
valoriser un homme connu pour ses actes de violence
envers les femmes
», peut-on lire sur change.org. La missive est
signée des «Féministes grenobloises», un collectif d’associations de l’Isère
créé pour l’occasion.
Il est
venu nous voir, plein de mépris. Alors on s’est mis à lui exprimer notre
colère, noire
Charlotte,
militante Osez le féminisme 38

Ce même
regroupement appelle en plus à une manifestation. «On ne lui demande pas
d’aller habiter sur une île déserte, mais oui qu’il se mette en retrait»,
explique le collectif dans un texte relayé sur le
site d’Osez le féminisme 38
. «Si vous avez vos billets, déchirez-les
et rejoignez-nous ! Soyons nombreux-ses le 13 mars devant La Belle Électrique
dès 19 heures pour manifester notre ras-le-bol et notre colère face aux
violences faites aux femmes et leur banalisation !» Le message, en plus des
canaux traditionnels et des réseaux sociaux, avait déjà été relayé lors de la
mobilisation du 8 mars 2018, Journée
internationale des droits des femmes
.

C’est
donc, pancartes à l’appui, qu’une centaine
de manifestants
pour la plupart issus des réseaux féministes
grenoblois se retrouvent devant la salle de concert le 13 mars au soir. À la
surprise générale, Bertrand Cantat va à la rencontre des protestataires.
Sourire aux lèvres, pouce levé. Pour «parler aux provocateurs» et «juste
discuter», dit-il devant les caméras de France Bleu.
Charlotte, 20 ans, militante depuis un an pour Osez le féminisme 38, a assisté
à la scène qu’elle qualifie d’«indécente». «Il est venu nous voir, plein de
mépris. Alors on s’est mis à lui exprimer notre colère, noire.» La foule scande
des «assassin» et «casse-toi» et escorte à coups «d’insultes, de crachats et de
jets d’objets», selon France
Bleu
, le chanteur jusqu’à la «porte arrière» de La Belle Électrique.
Le
lendemain, la même mobilisation est organisée. Cette fois, pas de Bertrand
Cantat en vue. «On a chanté, dit des slogans, pris à partie les spectateurs qui
venaient au concert et distribué des tracts pour rappeler les faits», raconte
la jeune militante d’OLEF 38.
Politiques
et “sphères privées”
Des
manifestants devant le Rockstore où Bertrand Cantat doit se produire.
(Montpellier, le 12 mars 2018). Photo AFP
/ Pascal Guyot

Avant
Grenoble, une manifestation s’était tenue à Montpellier et une demande
d’annulation de concert avaient été formulée à Strasbourg, où l’événement avait
finalement eu lieu sans faire de remous, rapporte Libération.
Ce sont d’avantage les dates prévues cet été dans le cadre de festivals de
musique, et donc subventionnées par les collectivités locales, qui ont
cristallisé la fronde, et poussé le chanteur à renoncer à ces dates estivales.

Ainsi, à
Saint-Nazaire, où le festival Les Escales devait accueillir Bertrand Cantat le
29 juillet, le maire socialiste David Samzun a écrit dans une lettre
ouverte
: «Je suis attaché à ce que les personnes condamnées et
ayant exécuté leur peine retrouvent pleinement la vie de la cité, mais je suis
aussi, en tant que maire et responsable politique, attaché au maintien de la
paix civile». Sa «désapprobation» ainsi que celle des «sphères privées» ont eu
raison de la programmation du chanteur. Même conclusion pour l’Aluna Festival,
en Ardèche, où les «manifestations et désistements de certains festivaliers et
mécènes» ont convaincu les organisateurs de remplacer Bertrand Cantat.
“Citoyennes
féministes”
Dans la
Manche, la mobilisation a pris plus d’ampleur
, notamment grâce à la pétition «Non
à Bertrand Cantat au festival Papillons de nuit»
ayant remporté
l’adhésion de plus de 75.000 signataires. «En mettant en lumière Bertrand
Cantat, vous banalisez les violences faites aux femmes et vous les cautionnez»,
écrit son auteure Valérie Dontenwille. Cette Bourguignonne de 33 ans se décrit
comme «une simple citoyenne» engagée «depuis des années dans la lutte contre
les violences faites aux femmes». «Quand j’ai lu la description faite du
chanteur dans la programmation du festival, ça m’a révoltée. Il fallait que je
fasse quelque chose.»
Après
avoir rédigé son texte, elle demande à deux amies de se joindre à elle. Le
collectif «Citoyennes féministes» est né et vise à «être identifiable» et à
«faciliter la mobilisation», nous explique Esther Delmare, 32 ans, cofondatrice
du mouvement. «La mise en scène de Grenoble était lugubre. Un bain de foule au
milieu des manifestants c’est de la provocation, de la manipulation»,
estime-t-elle.
La
tournée de l’ex-chanteur de Noir Désir l’emmènera dans les jours à venir à
Istres, Clermont-Ferrand, Villeurbanne ou encore Hérouville-Saint-Clair. Et il
y a fort à parier que les branches régionales des associations féministes
poursuivent leur combat pour faire entendre les voix des victimes de violences
conjugales
. D’autant plus quand on sait que le débat, «Bertrand
Cantat a-t-il le droit de remonter sur scène», fait rage
jusqu’en Italie
.