General

Algérie, violences faites aux femmes: ce que le cas Leila Touchi nous dit

Par
Amayas Zmirli, Le Point Afrique, 04/03/2018

Menacée
dans son domicile, harcelée sur la route parce que comédienne de plus en plus
reconnue, Leila Touchi symbolise une certaine violence faite aux femmes dans
l’Algérie d’aujourd’hui.
 
L’histoire
de l’actrice Leila Touchi a crevé l’abcès sur le harcèlement sexuel dans
le cinéma et plus largement dans la société algérienne. © AFP/Ryad Kramdi
 
  
Âgée
de 31 ans, Leila Touchi est un visage qui commence à être connu des
téléspectateurs de la télévision algérienne. Dans la soirée
du 21 février, la jeune comédienne a vécu un traumatisme qu’elle
n’est pas près d’oublier. « Il devait être 22 heures ; je
me suis changée dans une pièce et je me suis rapprochée du chauffage. Au moment
où j’ai levé les yeux vers la télé, j’ai aperçu un homme accroché aux barreaux
de ma fenêtre. Il était en train de me regarder. Il semblait m’observer depuis
quelque temps », relate Leila Touchi au Point Afrique.
 

«Il
menaçait de m’étrangler»
La jeune
femme est glacée. « Durant les premières secondes, j’ai eu l’impression
que je n’avais plus de voix. Je n’ai rien entendu de ce qu’il a pu dire mais
j’ai vu ses gestes. Il menaçait de m’étrangler », poursuit Leila, qui
indique avoir fini par crier. Le harceleur n’a pas bougé jusqu’à ce que son
père arrive dans la pièce. Il faut dire que la comédienne habite avec ses
parents dans une maison à Fouka Marine (Tipaza), à près
de 70 kilomètres de la capitale. Le plus effrayant, c’est que pour
arriver à la fenêtre, son harceleur a dû escalader le mur de la maison et
traverser le jardin.
« Depuis
ce jour-là, je n’arrive pas vraiment à travailler. Je ne dors presque plus.
J’attends que mes parents se réveillent le matin pour m’assoupir »,
assure-t-elle. La police est intervenue. Une enquête est ouverte. Mais la jeune
femme a du mal à décrire son harceleur. « Je n’ai pas pu les aider »,
dit-elle. Les policiers lui ont demandé d’être encore plus prudente vu la zone
où elle habitait. « Ils m’ont dit : Vous êtes dans une zone où il n’y
a pas d’éclairage, c’est dangereux et il faut faire attention »,
précise-t-elle.
« Pour
eux, la télévision, c’est la débauche »
Le plus
dur, c’est que ce n’est pas la première fois que Leila Touchi est confrontée à
une situation délicate. « Cette histoire de harcèlement fait partie du
quotidien depuis toujours mais à l’extérieur de chez moi. Je ne fais pas très
attention puisque toutes les femmes vivent cette situation »,
lance-t-elle. Cela ne l’empêche pas de prendre ses précautions. Quand les
répétitions ou le tournage à Alger se prolongent jusqu’au soir, elle est
obligée de rester sur place. « Mes parents aussi préfèrent que je ne
rentre pas le soir à Fouka parce que c’est risqué, même pour les hommes
d’ailleurs », affirme-t-elle.
Mais le
risque est encore plus important pour une femme. Leila Touchi l’a bien compris.
« J’étais sur la route de Douaouda une fois quand deux motards se sont
approchés et m’ont demandé de m’arrêter. Je ne l’ai pas fait. Ils m’ont
menacée. Ils m’ont dit que je salis la réputation de Fouka et que je vais plus
pouvoir y accéder », se souvient-elle. Pourquoi cet acharnement ? Il
ne s’agit certainement pas d’une scène sensuelle que les téléspectateurs du
quartier n’auraient pas appréciée. « Vous connaissez la télévision
algérienne. On ne peut pas imaginer ce genre de scène. Ils m’ont juste vue à
l’écran. Chaque année, j’ai un programme. J’habite ici depuis ma naissance.
Cela a toujours été comme ça. Pour eux, la télévision, c’est la
débauche », estime-t-elle. Et d’ajouter : « Ils m’en veulent
parce que je suis une femme libre. » Son entourage lui a proposé de
changer de maison. « Moi je veux être en sécurité là où j’habite. Ce n’est
pas à nous de changer. C’est à eux de partir », lâche la comédienne.
Montée de
l’intolérance ?
« Le
cas de Leila Touchi a été médiatisé, mais il y en a énormément d’autres »,
regrette Myriam Belala, présidente de SOS femmes en détresse, qui s’alarme sur
le « regain de violence incroyable à l’égard des femmes ». Son
association est de plus en plus sollicitée par les victimes. En Algérie, tout
le monde se souvient encore du cas de Razika Cherif. La jeune femme a été
assassinée par un chauffard en 2015 dans la rue. Ce dernier l’a
froidement renversée parce qu’elle a refusé de céder à ses avances sexuelles.
Début 2016, une nouvelle loi sur les violences faites aux femmes est pourtant
entrée en vigueur. Le texte resté bloqué plusieurs mois au Parlement avant
d’être finalement adopté prévoit des peines de prison et même la perpétuité
quand « les coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans
intention de donner la mort, l’ont pourtant occasionnée ». Il sanctionne
aussi le harcèlement dans les lieux publics avec une peine de six mois de
prison et une amende. « La peine est portée au double si la victime est une
personne mineure de seize ans », selon la loi.
Mais sur
le terrain, l’évolution reste très lente pour les militantes des droits des
femmes. « On ne peut pas dire que la loi n’a rien changé. Mais le dépôt de
plainte demeure un parcours de combattant pour une femme victime de violences
conjugales par exemple », assure Myriam Belala. « Dans certains cas,
il y a une sorte de réticence de la part de la police. On fait la morale à la
femme et on exerce sur elle une certaine pression [pour l’empêcher de déposer
une plainte] », détaille-t-elle.
Pas
autant de plaintes que de victimes
Résultats :
de nombreuses victimes ne déposent jamais de plainte, comme le confirment les
chiffres de la police. Durant les neuf premiers mois de l’année 2017, la police
a enregistré 7 586 cas de femmes victimes de violence,
dont 737 ont abandonné les procédures. 52,48 % d’entre elles
avaient subi des violences dans le milieu familial. La responsable du bureau
des catégories vulnérables à la direction de la police judiciaire avait rappelé
que ces chiffres étaient très loin de la réalité puisque les femmes ne portent
pas systématiquement plainte contre un proche ou un membre de leur famille.
Myriam
Belala s’inquiète aussi de la montée de l’intolérance qui fait rappeler la
montée de l’extrémisme islamiste du début des années 1990. Elle évoque le
harcèlement et les menaces dont font l’objet également les couples.
« Récemment, un couple au centre-ville a été interpellé par un homme qui a
commencé à réprimander ces jeunes avant d’appeler la police qui est venue pour
leur demander les papiers. Cela me fait rappeler les brigades d’islamistes du
début des années 1990. Sauf qu’à l’époque, ils réglaient leurs comptes seuls.
Ils ne faisaient pas appel aux policiers », raconte-t-elle.