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Qu’est-ce que le « féminicide » ?

Anne-Aël Durand 02.02.2018
Alexia Daval n’aurait pas été tuée lors d’une séance de jogging mais étranglée par son mari, qui a reconnu les faits mardi 30 janvier.

Un acte qualifié de « féminicide » par la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Ce terme, qui commence à s’imposer dans l’espace public, n’a pas d’existence juridique en France.
D’où vient le terme « féminicide » ?
Le féminicide, ou « femicide » en anglais, est un mot-valise constitué des termes « female » (ou « féminin ») et « homicide », sur le même modèle que « parricide » ou « infanticide ». Il a été popularisé par deux féministes, Jill Radford et Diana Russell, qui ont publié en 1992 le livre Femicide, The Politics of Woman Killing (en français : « l’aspect politique du meurtre des femmes »). Fréquemment utilisé en Amérique latine et repris par des instances internationales, comme l’Organisation des Nations unies (ONU) ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il n’est entré dans le dictionnaire Le Petit Robert français qu’en 2015.


Quelle est sa définition ?
Il s’agit du meurtre de femmes ou de jeunes filles lié au fait qu’elles sont des femmes. Le caractère genré du motif doit être présent. Une femme tuée dans le cambriolage d’une banque ou par un chauffard ne peut pas être de factoconsidérée comme victime d’un féminicide. Le meurtrier n’est pas nécessairement un homme. L’OMS distingue plusieurs cas :


  • le féminicide « intime », commis par le conjoint, actuel ou ancien de la victime. Selon une étude citée par l’Organisation mondiale de la santé, plus de 35 % des femmes tuées dans le monde le seraient par leur partenaire, contre 5 % seulement des meurtres concernant les hommes ;
  • les crimes « d’honneur » : lorsqu’une femme accusée d’avoir transgressé des lois morales ou des traditions — commettre un adultère, avoir des relations sexuelles ou une grossesse hors mariage, ou même avoir subi un viol — est tuée pour protéger la réputation de la famille. Le meurtrier peut être un homme ou une femme de la famille ou du clan ;
  • le féminicide lié à la dot, en particulier en Inde, lorsque des jeunes femmes sont tuées par leur belle-famille pour avoir apporté une somme d’argent insuffisante lors du mariage ;
  • le féminicide non intime, crime qui implique une agression sexuelle ou dans lequel les femmes sont explicitement visées. Les exemples les plus fréquemment cités sont les centaines de femmes tuées durant de nombreuses années à Ciudad Juarez, au Mexique, ou la tuerie antiféministe à l’Ecole polytechnique de Montréal en 1989.

Combien de victimes dans le monde ?
On ne le sait pas. Tout l’enjeu de ce terme est de pouvoir caractériser et mesurer le phénomène, pour le faire sortir de la rubrique générale des faits divers. L’OMS a toutefois évalué qu’au moins 5 000 crimes d’honneur étaient perpétrés chaque année, surtout au Moyen-Orient et en Asie du Sud, et que le féminicide lié à la dot concerne « entre 7 600 et 25 000 jeunes mariées ».
Les féminicides intimes sont souvent décomptés au sein des violences conjugales. En France, cela représentait 109 femmes tuées en 2017 par leur conjoint ou ex-compagnon, de tous âges et tous milieux, comme le détaillent des enquêtes de Slate ou de Libération. En Amérique latine, on comptait en 2016 plus de 1 800 féminicides, dont 466 au Honduras, 371 au Salvador, 254 en Argentine et 211 au Guatemala, selon l’Observatoire de l’égalité des genres pour l’Amérique latine et les Caraïbes.

Quelle reconnaissance juridique ?

C’est en Amérique latine qu’a été adopté le premier texte contraignant sur la violence contre les femmes, la convention de Belem do Para, en 1994. Le Mexique, le Costa Rica, la Bolivie, le Guatemala, le Chili, la Guyane…, au total dix-huit pays du sous-continent ont introduit depuis 2007 le féminicide dans leur code pénal.
En Europe, le mouvement est plus limité. L’Espagne a adopté en 2004 une loi renforçant les sanctions contre les violences faites aux femmes, et, en 2013, l’Italie a voté une loi visant à lutter contre le féminicide. En 2014, un rapport de la commission des droits des femmes au Parlement européen « appel[ait] les Etats membres à qualifier juridiquement de féminicide tout meurtre de femme fondé sur le genre et à élaborer un cadre juridique visant à éradiquer ce phénomène ».


Pourquoi le féminicide n’est-il pas reconnu en France ?
En France, la notion est officiellement entrée en 2014 dans le vocabulaire du droit et des sciences humaines, mais pas dans le code pénal. Un rapport parlementaire de 2016 notait que parmi les circonstances aggravantes inscrites à l’article 221-4 figure le caractère homophobe ou raciste, mais pas le caractère sexiste.
Toutefois, les femmes sont implicitement concernées par d’autres circonstances aggravantes : la vulnérabilité liée à l’« état de grossesse » ou le meurtre perpétré par le conjoint, concubin ou partenaire de PACS, étendue aux anciens partenaires, depuis une loi de 2010.
Plusieurs voix s’élèvent contre la création d’une catégorie spécifique liée aux crimes commis « à raison du sexe », soit parce qu’ils seraient difficiles à caractériser, soit parce qu’ils risqueraient de rompre l’égalité devant la loi. Inversement, l’association Osons le féminisme espère que la qualification de féminicide « prendra une allure de fait de société » alors que de nombreux meurtres de femmes sont encore qualifiés de « crime passionnels », et relégués au rang de faits divers.