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NULLE PART OÙ ALLER

Zi-Ann Lum 14 février 2018
Ce sont des choses que personne ne devrait subir. Quelques jours après Noël, Maria* s’est cachée avec son fils de trois ans.

Leur fuite d’Halifax avait été planifiée depuis des mois. La mère de Maria savait qu’il y avait violence conjugale, mais elle vivait hors du pays. Quelques-uns de ses amis l’ont su quand les marques sur son corps ont suscité des questions. Lasse d’être battue et rabaissée année après année, Maria faisait un décompte mental. Le 28 décembre 2015, elle allait prendre toutes ses affaires et s’enfuir.
Jim* était en ville, mais ne vivait plus dans la demeure qu’ils partageaient au moment où Maria faisait le tour du 4 et demie avec un ami, rassemblant l’essentiel. Leur vie à domicile était dérangée par des ordonnances judiciaires de ne pas troubler la paix et de protection qui avaient, par moment, empêché Jim de l’approcher.
Et lorsque Jim, gérant dans un centre d’appels, restait avec sa famille, il lui arrivait de partir seul en voyage plusieurs jours d’affilée. Elle avait compris que ça ne servait à rien de lui demander où il allait et quand il serait de retour. Elle a fait ses valises à la hâte.
Vérification finale: passeport et documents officiels, oui. Jouets de Mark, oui, oui et oui. Et puis elle se souvient de sa couverture de bébé, celle qu’elle lui avait achetée à sa naissance. Elle était bleu poudre et avait un ourson en plein centre. Il s’endormait avec tous les soirs.
Maria croyait le pire derrière elle lorsqu’elle a refermé la porte chez elle.
Le lendemain, pendant qu’un ami s’occupait de son fils dans un centre d’achat, Maria a attendu dans le stationnement. Elle a fait une demande au téléphone pour une ordonnance de protection d’urgence contre Jim. Un juge de paix a déclaré son cas sérieux et urgent. Sa demande pour une ordonnance temporaire à court terme a été accordée.
Plus tard, suivant des conversations téléphoniques avec des groupes de soutien pour victimes, on l’a dirigée vers un service gouvernemental peu connu qui vient en aide en cas d’abus extrême pour relocaliser les victimes et les aider à établir de nouvelles identités. En raison de critères d’admissibilité très rigoureux, on estime qu’il y aurait moins que 20 participants au sein de ce programme à travers le Canada.
Maria était une de ces femmes.
Au printemps 2016, cinq mois après la dernière rencontre entre Jim et son fils, il a comparu devant le juge en chef adjoint Lawrence O’Neil pour la première fois à Halifax pour déposer une demande d’accès à son enfant. La Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a fait en sorte qu’une demande qui au départ concernait l’accès devienne une affaire de garde d’enfant qui s’est étalée sur 16 mois. La cause a été prise en délibéré par un juge qui à l’époque faisait l’objet d’une mise en examen par la Cour d’appel pour une décision qui paraissait trop favorable aux pères biologiques lors d’une demande d’adoption.
Le 17 août 2017, O’Neil a statué que Maria était une mère incompétente, une opinion fondée sur des données incomplètes, et il a accordé la garde de Mark à son père, qui a un casier judiciaire pour violence familiale.
L’appel sera entendu en mai.
Maria est actuellement en clandestinité.
Dans une déclaration publiée par l’entremise du cabinet de son avocat à Halifax, Maria a dit au HuffPost Canada que le fait de devenir maman a été «la plus belle expérience de ma vie».
«Mais les sept dernières années ont été remplies de tant de violence, de peur et d’intimidation; on a tant perdu», a dit Maria, parlant de ce qu’elle et son fils avaient vécu.
«J’ai fait tout mon possible pour donner à mon fils un foyer heureux et sécuritaire. Il est une belle personne et mérite tant de choses. Mais le système qui devait nous protéger a fait défaut. Je suis sous l’emprise d’un désespoir que je ne peux décrire. Ce sont des choses que personne ne devrait subir.»
Jim a été accusé de voies de fait pour avoir jeté Maria au sol dans leur appartement alors qu’elle était enceinte de neuf mois. Lorsqu’elle s’est relevée pour prendre du jus au frigo, il l’a frappé au bas du dos, selon les dossiers judiciaires. Elle a commencé à accoucher quelques jours après l’incident.
En entrevue avec HuffPost Canada, Jim a dit que Maria «n’était pas un enfant de chœur» et a affirmé qu’il avait réagi physiquement après qu’elle lui ait lancé des objets.
«J’ai commis des erreurs, mais je ne crois pas que je suis une mauvaise personne», a-t-il dit.
Le passé de Jim a commencé avant leur relation. Des documents obtenus par le HuffPost montrent qu’il a plaidé coupable à des accusations de harcèlement criminel sur une ancien copine en 2008.
La décision de garde du juge O’Neil en 2017 n’a aucunement fait mention du passé criminel de Jim lorsqu’il a jugé que c’était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de vivre avec son père. L’enfant ne l’avait pas vu depuis 18 mois. La décision ne précise pas si les documents juridiques de Jim avaient été présentés au juge, mais l’ordonnance de protection d’urgence lui a été présentée.
En Nouvelle-Écosse, les parties ne sont pas tenues de divulguer un casier judiciaire ou des interactions avec les services de protection de l’enfance (la DPJ locale) durant les audiences d’accès ou de garde. Il n’existe aucun mécanisme de divulgation automatique qui inciterait les autorités policières à partager ce type d’information avec un juge.
Il faudrait que ce type de renseignement soit présenté à la cour de bon gré ou au moyen d’une demande approuvée par un juge, qui ordonnerait la production de telles preuves, généralement déposées par la partie adverse, a expliqué Jessica Chapman, une avocate en droit de la famille chez BOYNECLARKE LLP à Dartmouth.
«Un juge n’aurait aucun moyen de savoir si une personne avait un casier judiciaire en cas de demande pour une audience de garde et d’accès», a-t-elle estimé.
Ce cas de garde d’enfant a commencé sans indication prouvant si Maria était au courant de ce qui se passait. Il est pratique courante de s’assurer que toutes les parties en cause soient informées afin que la cour puisse poursuivre l’affaire. Après de nombreux ajournements, ce n’est que huit mois après le début de la procédure qu’un membre de la Police régionale d’Halifax a «témoigné et confirmé qu’il croyait» que Maria était au courant des activités de la cour et avait été signifiée.
La poursuite est allée de l’avant sans que des preuves soient présentées au nom de Maria, essentiellement sans qu’on entende sa version des faits.
«Je suis convaincu que la partie appelée est au courant de cette procédure», a écrit le juge O’Neil dans sa décision. «Je suis convaincu que la partie appelée a à maintes reprises fait le choix de ne pas comparaître; qu’elle ignore cette procédure et continue à dissimuler sa localisation et celle de [l’]enfant.»
Puisque Maria a été considérée par les autorités provinciales et fédérales comme victime en risque de blessure sérieuse ou de décès et donc admissible au Service confidentiel pour les victimes d’abus (SCVA), sa localisation était protégée et c’était une situation épineuse pour la police. S’ils lui signifiaient des documents de procédure ou l’assignaient à comparaître, ils risquaient de révéler sa localisation à la cour et à son agresseur présumé. Si elle présentait un affidavit, elle serait obligée de se soumettre à un contre-interrogatoire par Jim ou par son avocat en cour. Il existe certaines procédures, y compris la participation par téléphone ou par vidéo, mais seulement dans le cas où la cour juge qu’une personne est à risque élevé de danger de mort si elle comparaît en personne.
Seules quelques personnes savaient où Maria se trouvait, dont quelques policiers qui avaient la tâche de la protéger avec son fils.
Les audiences du tribunal se sont déroulées sans réponse de Maria. Elles ont pris fin le 17 août 2017, au moment où le juge O’Neil décide d’accorder la garde au père, en plus de lancer un mandat d’arrestation pancanadien contre elle.
«Une fois localisé, l’enfant devra être immédiatement retiré de la mère», a écrit le juge O’Neil dans sa décision. Il a remis en cause la compétence de Maria en tant que parent, déclarant que sa santé mentale «pourrait être affectée par la décision de lui retirer son enfant.»
Maria est actuellement toujours cachée, car la police, qui au départ devait la protéger, doit maintenant l’arrêter et lui enlever son enfant si elle se présente et demande de l’aide.
Des mois ont passé et la police ne l’a toujours pas trouvée malgré le mandat d’arrêt délivré par O’Neil en cour. L’affaire pourrait monter d’un cran si la GRC demande à Interpol d’émettre une alerte rouge, soit un mandat d’arrêt international.
Cela voudrait dire que Maria serait considérée comme une présumée kidnappeuse d’enfant, la plaçant au même rang que des fugitifs recherchés pour trafic de drogue ou meurtre.
Voici comment un juge controversé d’une Cour suprême provinciale ainsi que des erreurs policières n’ont pas protégé Maria et ses droits en tant que victime de violence. Elle est prise dans un cercle vicieux.