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Ecoutons les Intersexes et profitons de la future loi biotethique pour cesser les mutilations génitales intersexuées

Benjamin Moron-Puech 11/02/2018
Le 10 janvier 2018 la Haute autorité de santé a publié un guide de bonne pratique destiné à harmoniser la prise en charge de certains états intersexués, ceux résultant d’une insensibilité aux androgènes.

Quelques jours plus tard, un groupement de personnes intersexuées, le Collectif Intersexe et allié.e.s, a réagi en dénonçant ce guide qui “recommande des mutilations d’enfants intersexes”.

De tels faits sont l’une des nombreuses manifestations d’un débat agitant actuellement la plupart des sociétés disposant d’infrastructures hospitalières “développées” dans le monde : celui de la légalité des opérations réalisées sur des personnes intersexuées, le plus souvent à la naissance, pour les assigner dans un sexe masculin ou féminin. En fin d’année dernière déjà, cette problématique avait émergé dans les médias français à l’occasion de l’annonce d’une plainte déposée par une personne intersexuée dans l’objectif de dénoncer ces pratiques médicales jugées mutilantes.
Rappelons ici que les personnes intersexuées sont les personnes nées avec un sexe ne correspondant pas aux normes dominantes du masculin et du féminin. Depuis la fin des années 60, elles sont soumises en France de manière massive à des actes chirurgicaux destinés à transformer leur corps pour le “conformer” aux normes du masculin et du féminin.
Ces différentes actions médiatiques et judiciaires des personnes intersexuées remettent en cause la politique de santé publique adoptée dans de trop nombreux pays à l’égard des enfants intersexués. En effet, s’agissant de la France, depuis la fin des années 60, nombre de professionnels de santé, prisonniers d’une idéologie de la binarité des sexes, militent pour assigner à ces enfants un sexe masculin ou féminin, tout en discréditant le discours des personnes concernées, au motif que ce dernier serait un discours militant.
Jamais, cependant, ces médecins n’ont pris la peine de prouver que la solution médicale qu’ils préconisaient comportait un bénéfice thérapeutique pour ces enfants. Jamais ils ne se sont sérieusement interrogés sur des méthodes alternatives plus douces, tel un accompagnement psychologique, individuel, familial et social. Ce faisant, ces professionnels de santé, auxquels s’est désormais ralliée la Haute autorité de santé, se sont comportés moins comme des scientifiques que comme des militants de la binarité.
Jusqu’au dépôt de la plainte précitée, le rapport de force était assurément à l’avantage du corps médical, jamais empêché par les pouvoirs publics de continuer ces pratiques d’assignation sexuée. Malgré les anciennes et nombreuses dénonciations politiques de ces opérations chirurgicales, aucune autorité publique n’a osé défier le “grand ordre blanc”. Le dépôt de cette plainte pour mutilation génitale, inédite dans le monde, change la donne. Pour la première fois, le contre-pouvoir qu’incarne la Justice est saisi de la légalité de ces “traitements”.
Bien que le juge d’instruction saisi ne se soit pas encore prononcé, il est d’ores et déjà possible d’anticiper le caractère illégal des pratiques d’assignation sexuée sur les enfants intersexués.
En effet, en droit français, toute atteinte au corps humain est une infraction pénale, une violence. Dans certains cas, cette violence n’engage pas la responsabilité de son auteur car existe un fait justificatif, telle l’autorisation de la loi. L’article 16-3 du code civil constitue une telle autorisation ; il permet l’atteinte à l’intégrité d’une personne si cette dernière y a consenti et si l’acte réalisé est justifié par une nécessité médicale pour la personne. Si ces deux conditions ne sont pas réunies, l’acte médical tombera sous l’empire de la loi pénale.
Dans la plainte déposée pour mutilations, la question du respect par les médecins des conditions de l’article 16-3 est au cœur du sujet. En l’état actuel des informations délivrées aux parents et des données disponibles quant au bénéfice de ces actes d’assignation sexuée, il est très probable que ces conditions ne soient pas jugées remplies, telle est du moins notre hypothèse de recherche. 


Développons-là brièvement.

L’information délivrée aux parents est toujours très largement partielle puisque, les parents ne sont guère informés ni du nombre d’opérations, ni des risques, ni des conditions de vie de l’enfant opéré et encore moins des méthodes alternatives. Dans ces conditions, le consentement parental n’est pas éclairé et ne permet pas au médecin d’intervenir dans un cadre légal. Quant à la condition de nécessité médicale pour la personne, il est également très improbable que la Justice l’estime caractérisée.


En effet, elle suppose au préalable l’existence d’une pathologie à soigner. Or, où est la maladie des personnes intersexuées ? Incontestablement, ces personnes ont un corps différent de la majorité, mais cela suffit-il à en faire des malades ? Leur pronostic vital est-il jeu ? Cet état d’intersexuation génère-t-il en lui-même des souffrances ? Nullement. Ces souffrances, lorsqu’elles existent, proviennent non de la personne elle-même, mais sont induites par un environnement social où prédomine la binarité des sexes. Certes, certaines formes exceptionnelles d’intersexuation présentent un risque pour la santé, telle que l’obstruction du canal urinaire. Mais alors, seule l’obstruction sera pathologique, non l’état d’intersexuation lui-même. Il est donc impossible de parler de pathologie pour l’intersexuation.

Par ailleurs, pour ceux qui voudraient encore croire à une maladie, il faudrait toujours établir — et, en droit, ce sera aux médecins de le faire — que les traitements réalisés présentent plus d’avantages que d’inconvénients pour la personne. Or, à ce jour, les seules études sérieuses réalisées vont dans le sens inverse. Dès lors, tout laisse penser que les conditions de l’article 16-3 ne sont pas réunies et que, compte tenu de la gravité des conséquences de ces actes, la qualification de mutilation génitale est pleinement justifiée. Pour ces raisons, il est fort probable qu’au terme de cette procédure judiciaire, la qualification de violences mutilantes s’imposera.

D’aucuns pourraient tenter de disqualifier cette opinion juridique, en disant qu’elle ne s’appuie sur aucune donnée empirique. Ce serait oublier cependant que cette analyse n’a à ce jour jamais été prise en défaut. Au contraire, elle s’appuie sur de nombreuses sources internationales issues du Conseil de l’Europe, de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union Européenne, de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, etc. Toutes ces sources ont relevé l’absence de nécessité de ces actes médicaux et leur caractère préjudiciable pour la personne.
Alors, va-t-on encore attendre l’issue de cette procédure pénale, ou écoutera-t-on enfin la parole des premiers concernés qui, avec d’autres, ne cessent de demander l’arrêt immédiat de ces mutilations génitales ? Les états généraux de la bioéthique devraient être l’occasion de se pencher sur cette question, d’autant que des propositions législatives concrètes sont déjà sur la table, à moins que les autorités publiques françaises ne refusent une fois de plus de s’attaquer aux mutilations génitales intersexuées, tout comme l’avait fait, le 20 décembre 2016, le Comité consultatif national d’éthique.