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Donald Trump bloque un compromis sur l’immigration

Gilles Paris 15.02.2018
Une politique de la terre brûlée s’est imposée au Sénat américain, jeudi 15 février, sur le sujet empoisonné de l’immigration.

L’aile droite républicaine, soutenue activement par la Maison Blanche, a mis en échec un compromis bipartisan forgé par les modérés des deux camps, sans parvenir pour autant à imposer ses vues. Cet affrontement risque de condamner le Congrès à l’immobilisme – une impuissance dont risquent de faire les frais près de 800 000 sans-papiers arrivés enfants sur le sol des Etats-Unis, titulaires d’un statut temporaire supprimé par Donald Trump.

En annulant en septembre 2017 le décret créant ce statut signé par son prédécesseur, Barack Obama, parce qu’il jugeait que ce dernier avait outrepassé ses pouvoirs, le président avait chargé les élus de trouver d’ici mars une solution pérenne pour protéger ces sans-papiers sortis de la clandestinité. Ces derniers sont généralement très bien intégrés. Une large majorité de la population, y compris côté républicain, soutient d’ailleurs leur régularisation.


Monnaie d’échange
Mais les « dreamers », l’autre nom par lequel ils sont désignés, sont vite devenus une monnaie d’échange pour une réforme visant non seulement l’immigration illégale, mais aussi le cadre juridique qui permet à des étrangers d’obtenir la citoyenneté américaine. En convoquant le 9 janvier à la Maison Blanche des élus des deux camps, Donald Trump avait assuré qu’il soutiendrait tout compromis entre républicains et démocrates. Posture de courte durée.
Le président a en effet rapidement changé de ton en conditionnant la régularisation de tous les titulaires du statut temporaire et de ceux qui auraient pu en bénéficier (1,8 million de personnes) au financement du « mur » qu’il souhaite ériger sur la frontière avec le Mexique et à une révision drastique de deux dispositions permettant d’obtenir la citoyenneté américaine : le regroupement familial et une loterie créée sous administration républicaine pour favoriser la diversité.
Faute d’une majorité qualifiée de 60 voix au Sénat pour empêcher tout blocage des débats, le Parti républicain (51 élus sur 100) avait besoin de voix démocrates pour parvenir à un point d’équilibre. La Maison Blanche a cependant choisi l’intransigeance, incarnée par le sénateur Tom Cotton (Arkansas), et mobilisé les conservateurs pour faire échec à un texte bipartisan moins restrictif concocté par des modérés des deux camps, mais qui prévoyait pourtant un financement du « mur ».
Avant le passage au vote de ce compromis, Donald Trump s’est exprimé jeudi avec virulence sur Twitter, dénonçant à l’avance une « catastrophe totale » et une « amnistie géante » qui empêcherait selon lui la régulation de l’immigration. « Voter pour cette proposition reviendrait à voter CONTRE les forces de l’ordre et POUR des frontières ouvertes », a-t-il ajouté. Il a ensuite menacé d’opposer son veto au projet s’il venait à être adopté par le Congrès.
Précédées par des attaques ad hominem distillées anonymement par la Maison Blanche contre la dizaine de sénateurs républicains engagés dans cet effort de compromis, dont Lindsey Graham (Caroline du Sud), les menaces ont payé. Il a manqué six voix pour que le compromis soit accepté (54 voix pour, 45 contre). Le projet du président a ensuite été sèchement repoussé (39 voix pour, 60 contre) – quatorze sénateurs républicains s’y sont opposés, certains jugeant le texte trop modéré, d’autres au contraire trop dur. Seuls trois démocrates ont voté en sa faveur.


Impasse
Après ce double échec, les deux camps se sont rejeté la responsabilité du blocage. Dans un communiqué incendiaire, la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders, a stigmatisé « les démocrates radicaux de [Chuck] Schumer », le chef de la minorité démocrate au Sénat, accusés de soutenir« une frange favorable aux frontières ouvertes ». Ce dernier a assuré de son côté que la défaite de M. Trump sur sa proposition « est la preuve que le projet du président ne deviendra jamais une loi ». « S’il avait arrêté de torpiller les efforts des deux bords, nous aurions voté une bonne proposition », a regretté M. Schumer. La Maison Blanche espère imposer ses vues à la Chambre des représentants, où une majorité simple suffit pour faire adopter un projet de loi. Mais un succès n’y sera que symbolique après l’échec au Sénat.
Le sort des « dreamers » se trouve désormais temporairement entre les mains de la justice. En janvier puis en février, deux juges fédéraux ont suspendu l’abrogation du décret de Barack Obama. Ces deux décisions permettent de maintenir en l’état le programme sans qu’il puisse cependant bénéficier à de nouveaux demandeurs. La Cour suprême des Etats-Unis, la plus haute instance juridique du pays, devait se prononcer vendredi non pas sur le fond mais sur une éventuelle saisine.