General

Dans les EHPAD, la souffrance des patients et des soignants témoigne de l’incompétence du gouvernement

Alexis Poulin 30/01/2018
Depuis des mois, les témoignages accablants sur les conditions de vie en EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) s’accumulent, dans une parfaite indifférence générale ou presque.

Avant la mobilisation nationale des personnels soignants, Agnès Buzyn la ministre de la Santé a trouvé une enveloppe de 50 millions d’euros pour le secteur. Pour les 7258 établissements, cela revient à 6888 euros par EHPAD, soit de quoi financer 0,15 d’équivalent temps-plein d’aide soignant. 


Une mesure tardive et largement insuffisante au regard des besoins.

Le portrait type d’un établissement donné par les témoignages des résidents et des soignants relate la solitude, l’épuisement et la colère de ne pas pouvoir faire son travail par manque de moyens.
Les personnes âgées anonymes, souffrent, autant que les soignants au bout du rouleau, qui doivent faire un effort pour ne pas “faire de la dette”, comme leur assénait avec aplomb le candidat à la présidentielle François Fillon, dans une séquence devenue culte. C’était mal connaître le fonctionnement des EHPAD, produits financiers avant tout, choyés par les fonds d’investissements, les banques et les assurances comme une valeur sûre depuis plus de 20 ans.
Pourquoi le marché des ehpad est-il scandaleux?
Selon une étude de Retraite Plus, le coût moyen mensuel d’un séjour en Ehpad était de 2553 euros en 2015. Un coût très élevé, inaccessible pour de nombreuses familles, qui ne devrait pas s’alléger dans l’avenir. Selon la Fédération hospitalière de France (FHF), une réforme de la tarification des maisons de retraite, adoptée par le précédent gouvernement, va entraîner à terme une baisse de 200 millions d’euros des dotations annuelles allouées aux maisons de retraite publiques: une décision qui devrait affecter les 7000 EHPAD que compte la France et accélérer la privatisation et la marchandisation de l’extrême vieillesse.
En effet, l’Ehpad est d’abord un produit d’investissement rêvé.
Pour exemple, entre 2005 et 2015, le groupe Korian, un des leaders du secteur a connu croissance moyenne annuelle de son chiffre d’affaires de plus de 20% (soit un CA de 2499,5 millions d’euros en 2014) Et c’est sans surprise une énarque, Sophie Boissard, qui dirige le groupe Korian depuis janvier 2016, après un passage dans les cabinets de Christine Lagarde et François Fillon.
Brigitte Bourguignon, député élue LREM (La République en Marche) du Pas-de-Calais et Présidente de la commission des affaires sociales avait confié en juillet une mission relative aux Ehpad à la député LREM de la Haute Garonne Monique Iborra, qui a rendu ses premières conclusions début Septembre. Le rapport met en lumière les disfonctionnements du secteur: “les EHPAD publics ayant des charges de personnel différentes de celles des EHPAD privés qui, de leur côté, bénéficient, contrairement aux premiers, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du crédit d’impôt de taxe sur les salaires (CITS)” et préconise le maintien des emplois aidés en ehpad pour ne pas détériorer davantage le service.
A voir la logique financière qui guide les fonds d’investissements, premiers propriétaires des EHPAD privés, et le désengagement de l’Etat, on comprend mieux la détresse des personnels soignants, en sous-effectif permanent pour limiter les coûts et assurer la rentabilité attendue du produit d’investissement de choix qu’est l’EHPAD. Faire de la détresse de la vieillesse un produit financier est une solution catastrophique, enième dysfonctionnement de la financiarisation de tous les secteurs de notre société.
Ce n’est pas une mission parlementaire “flash” qu’il s’agit de mettre en place ou d’une enveloppe cadeau pour faire taire les grévistes qui se plaignent de leurs conditions de travail inhumaines mais il s’agit de réfléchir avec tous les acteurs à un Grenelle de la vieillesse, où serait débattu notre modèle social, la place que nous donnons aux plus âgés et dépendants et plus généralement notre système de retraite.
Est-il juste et logique que le fruit d’une vie de labeur soit aspiré en loyers d’EHPAD gonflés par le prix du marché pour assurer la rentabilité d’investissements privés?
La sphère financière profite sans entraves des faiblesses de l’Etat, incapable d’organiser la solidarité. Il y a ainsi, dans la vieillesse, une double peine d’extrême précarité, qui conduit les plus pauvres à subir trop souvent des traitements dégradants au nom de l’économie de marché.
Encore une fois, la finance est gagnante, tant elle s’est assurée d’être indispensable dans tous les secteurs de notre vie quotidienne.