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Chères Catherine, nous exigeons la liberté de ne pas être importunées quand nous ne sommes pas consentantes

Carol Galand 10/01/2018
Chères Catherine, et autres militantes de “l’indispensable liberté d’offenser”,

Tout d’abord, je voulais vous dire que les femmes qui ont pris la parole ces derniers mois ne sont ni puritaines, ni d’éternelles victimes. Ou en tout cas ni plus ni moins que vous, ni plus ni moins que d’autres.
Elles font simplement la différence entre la drague, même maladroite, et le harcèlement ou l’agression. Une différence élémentaire: dans la drague, il y a une réciprocité, même si cette réciprocité se limite à un acquiescement silencieux. L’acquiescement est toujours reconnaissable. Et la réciprocité laisse toute sa part aux jeux de séduction et de rôles. Elle n’est pas limitante. Ce serait faire offense aux hommes que de penser qu’ils ne sont pas capables de faire la différence entre une femme consentante et une femme non consentante. Oui, on peut “veiller à ce que son salaire soit égal à celui d’un homme”, et “jouir le soir d’être l’objet sexuel d’un homme”. C’est une évidence. Nous pouvons, si nous le voulons. Nous sommes libres. Nous pouvons être subversives. Nous pouvons tout être. A condition d’être consentantes. De le vouloir, et de ne pas le subir.
Vous-mêmes avez peut-être subi des actes que vous avez ressenti comme – le spectre est large – désagréables, inconfortables, douloureux, perturbants, avilissants, honteux, humiliants ou traumatisants. Vous avez peut-être géré ces émotions seules, comme vous l’avez pu. Vous en êtes peut-être sorties grandies, vous êtes peut-être fières, d’avoir su, grâce à votre courage, votre vaillance et votre capacité au recul, digéré ces émotions. Vous en avez peut-être retiré une force, cette “liberté intérieure” dont vous parlez. Et c’est probablement vrai.
Cela ne vous donne en aucun cas le droit de juger que d’autres soient obligées de traverser les mêmes épreuves que vous, simplement parce que c’est possible et que vous-mêmes, vous l’avez bien fait.
Vous n’êtes ni plus cools, ni plus fortes, ni plus excitantes parce que vous l’avez fait.
Car si des hommes “doivent dénicher au fin fond de leur conscience rétrospective un comportement déplacé qu’ils auraient pu avoir” trente ans auparavant, des femmes ont dû, aussi, dénicher au fin fond de leur conscience rétrospective les moyens de surmonter un viol subi trente ans auparavant par un homme ivre qui ne se souvient probablement de rien. Certaines ont dû gérer ces émotions seules, certaines y ont été obligées. Mais elles n’y sont plus obligées, désormais. Elles ont le droit de ne pas gérer ses émotions seules. Elles ont le droit d’être reconnues en tant que victime. Et cela ne fait pas d’elles des personnes moins grandes, moins fières, ou moins fortes que vous.
Je voulais ajouter, aussi, que toutes les femmes ne ressentent pas nécessairement les mêmes choses face à une même situation. On peut ne pas être traumatisée par le fait qu’un homme se masturbe contre soi dans le métro, et éjacule sur notre manteau. Ou on peut l’être. On peut l’envisager “comme l’expression d’une grande misère sexuelle”, ou on peut aussi l’envisager comme une terrible invasion de son territoire personnel. Personne n’a à juger du ressenti d’autrui. Et celles qui se sentent traumatisées par un acte invasif, qu’il aille du frottement au viol collectif en passant par des humiliations dans la rue ou du harcèlement au travail, ont le droit de se sentir victimes. Et de vouloir être reconnues comme telles.
Au vu du nombre de femmes qui se sont reconnues dans le mouvement #metoo, il semblerait que nous soyons très nombreuses à ressentir les violences systématiques à notre égard comme une terrible invasion de notre territoire personnel. Nous ne vous accusons pas de les envisager “comme l’expression d’une grande misère sexuelle” et de les balayer d’un revers de main, fortes et dignes.
Nous aussi, nous sommes fortes et dignes. Car nous exigeons notre liberté de ne pas être importunées quand nous ne le souhaitons pas. Et nous nous battrons pour que nos filles ne soient pas obligées de gérer leurs émotions seules, comme vous l’avez fait.
Vous militez pour l’indispensable liberté d’importuner? Nous militons pour l’indispensable liberté de ne pas accepter d’être offensée.
Chacun.e ses combats.
Le nôtre puise ses forces dans la profonde conviction que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres.
#metoo #wetoogether
Et puis je mets ça là, ça me permettra de l’effacer de mon ordi