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«Nuit des Noirs» : les antiracistes s’en prennent au carnaval de Dunkerque

Ce bal, prévu en mars 2018 dans cette commune du Nord, est accusé de faire preuve de «négrophobie» en utilisant la «blackface», pratique issue de l’esclavage consistant à se déguiser en personne de couleur noire de manière caricaturale.

Chaque année, lors du Mardi gras, c’est le carnaval, dans les rues de Dunkerque. On y trouve deux types de festivités: les bandes, des défilés dans les quartiers et villages alentour où tout le monde est déguisé dans une ambiance potache, et les bals, des soirées mises en place par des associations ou des collectifs d’habitants. Le 10 mars 2018, la ville accueillera la «Nuit des Noirs» dans son palais des Congrès, le Kursaal. Pour son 50e anniversaire, ce bal, qui a lieu tous les cinq ans à Leffrinckoucke, une commune voisine, a choisi de se délocaliser pour la première fois. De 7000 à 10.000 personnes sont attendues pour participer à cet événement organisé par «des copains qui se déguisent en Noir depuis cinquante ans», selon la mairie de Dunkerque.
Mais quelques jours après la polémique de la «blackface» – le footballeur Antoine Griezmann avait posté sur Twitter une photo de lui déguisé en basketteur noir, s’attirant les foudres des réseaux sociaux -, la «Nuit des Noirs» provoque depuis mardi l’ire des antiracistes. L’existence de ce festival a été découverte par le collectif Brigade anti-négrophobie. «Une personne nous a envoyé cette information. On n’était pas du tout au courant d’une telle pratique et on s’est dit que c’était impossible de laisser passer ça», raconte Lollia Franco, porte-parole du groupe, au Figaro.
Comme pour Antoine Griezmann, le collectif reproche à cet événement l’utilisation récurrente de la «blackface». Cette pratique, utilisée au 19e siècle dans les minstrel shows, aux États-Unis, consistait à grimer les comédiens en personnes de couleur noire, de manière caricaturale. «Avec ce genre de représentation, on fait perpétuer le racisme dont nous sommes victimes au quotidien. C’est une fête insultante», déplore Lollia Franco, du collectif Brigade anti-négrophobie. «On peut se déguiser en Noir mais pas avec des os dans le nez et de grosses lèvres rouges. On peut mettre une tenue zouloue sans être obligé de se grimer. Ce qui pose problème, c’est l’idée de singer, de se moquer. Ici, on justifie le lynchage d’une communauté. La France est porteuse d’un héritage colonial que l’on ne peut ignorer.»


Tradition
Sur les réseaux sociaux, la «Nuit des Noirs» a provoqué la colère de certains internautes. Au contraire, d’autres évoquent une exagération et défendent une tradition. Sur la page Facebook «J’aime Dunkerque», c’est l’indignation: «Notre carnaval c’est la transgression dans la bonne humeur… Qu’on soit riche ou pauvre, noir ou blanc, hétéro ou homo/bi, trans, femme ou homme, au carnaval nous sommes TOUS DES MASQUELOURS…».
Mercredi après-midi, le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete (Sans étiquette), a réagi sur Facebook. L’édile s’est dit «scandalisé» par les «accusations sans fondement» portées sur le carnaval. «Non les Dunkerquois ne sont pas racistes! Ils sont les héritiers d’une tradition séculaire qui porte en elle, décennie après décennie l’esprit de camaraderie, de tolérance, de dérision et de caricature de tous par tous. Le carnaval, c’est l’esprit Charlie!», a-t-il ajouté.
Une justification clairement insuffisante, pour le porte-parole de la Brigade anti-négrophobie: «Il y a clairement une volonté de l’État et des institutions d’invisibiliser ces pratiques racistes. Ils font semblant de ne pas comprendre». Le collectif ne réclame pas l’interdiction du festival, mais espère qu’il s’affranchisse de toute «négrophobie faciale». «S‘il est purgé de toute négrophobie structurelle, on n’a rien contre ce festival», résume Lollia Franco. Dans l’entourage du maire de Dunkerque, on avoue des «difficultés» pour se positionner par rapport à la «Nuit des Noirs». «C’est un événement d’ordre privé, et on n’a pas le pouvoir de l’annuler», explique-t-on. En revanche, après les menaces d’internautes sur les réseaux sociaux, la mairie réfléchit actuellement à une sécurisation plus importante du palais de Congrès en mars prochain. L’annulation, elle, n’est pas d’actualité.