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Le Japon secoué par l’affaire Shiori Ito, qui accuse de viol un proche du Premier ministre

Antoine Terrel 28.12.2017
Depuis deux ans, la journaliste Shiori Ito accuse un proche de Shinzo Abe de l’avoir violé. En médiatisant son combat, elle tente de faire évoluer les mentalités sur un sujet encore tabou dans son pays.

La vague de libération de la parole des femmes victimes de violences sexuelles qui a suivi l’affaire Weinstein va-t-elle atteindre le Japon? Dans ce pays où la question du viol reste taboue, une affaire vieille depuis plus de deux ans secoue actuellement les plus hautes instances. Et, à travers elle, toute la société japonaise. 
Alors jeune journaliste pour l’agence de presse Reuters, Shiori Ito a jeté un pavé dans la mare en accusant à la fin du mois de mai dernier Noriyuki Yamaguchi, un biographe du Premier ministre Shinzo Abe, de l’avoir droguée puis violée deux ans plus tôt, raconte ce mercredi Le Figaro, auquel la jeune femme s’est confiée . 
Une inculpation temporaire, avant un non-lieu
Le viol présumé aurait eu lieu le 3 avril 2015. Ce soir-là, Shiori Ito rejoint Noriyuki Yamaguchi au restaurant pour un dîner d’affaires. “Au bout d’une heure, j’avais la tête qui tournait, et je me suis rendue dans les toilettes. Je me rappelle avoir posé ma tête sur le lavabo, puis plus rien”, raconte-t-elle le 24 octobre dernier. A son réveil, elle explique qu’elle était dans une chambre d’hôtel, en train de se faire violer.
Commence alors le parcours du combattant, qu’elle détaille notamment dans son livre Black Box, publié le 18 octobre. Difficultés pour obtenir une pilule du lendemain ou pour contacter une association de lutte contre les violences sexuelles. Plus compliqué encore: porter plainte. “Les policiers […] m’ont expliqué que ce genre de choses arrivait souvent et qu’il était difficile de mener une enquête. Que j’allais briser ma carrière de journaliste et que ma vie serait détruite”, décrit la jeune femme. 
De son côté, Noriyuki Yamagushi niera tout viol. “Je n’ai rien fait qui aille à l’encontre de la loi”, explique-t-il laconiquement au quotidien japonais Mainichi. L’abnégation de la plaignante finit pourtant par payer, et la justice inculpe le biographe d’Abe. 
Un coup de fil mystérieux
Mais comme le raconte Le Figaro, un coup de théâtre est venu tout bouleverser. Le 8 juin 2015, les policiers qui attendaient Noriyuki Yamaguchi à l’aéroport pour procéder à son arrestation, annulent l’opération au dernier moment… après un coup de téléphone du chef de la brigade criminelle, proche de Shinzo Abe. Avant que la justice ne prononce finalement un non lieu. 
Face à l’inertie des autorités, Shori Ito a décidé de médiatiser l’affaire et poursuit désormais Noriyuki Yamaguchi au civil. “De victime, Shiori Ito est devenu depuis six mois enquêtrice sur sa propre affaire”, narre Le Figaro. 
“Je suis journaliste: mon cas personnel n’est rien, mais il peut changer la société”, raconte-elle au quotidien. Le 24 octobre, lors d’une conférence de presse, elle fait face aux journalistes et déclare: “Je veux parler à visage découvert, pour toutes les femmes qui ont peur de le faire parce qu’ici, au Japon, ni la police, ni la justice ne soutiennent les victimes de crimes sexuels”. 
Des victimes très isolées
Une activité médiatique qui ne plait pas à tout le monde au Japon où la question du viol reste taboue. Et les victimes font face à l’isolement. “Une partie de mes proches s’est détournée de moi”, assure Shiori Ito. 
Au Japon, le viol est un fléau qui ne montre pas son visage. Le ministère de la Justice a publié dans un livre blanc une estimation sur le taux de viol dans le pays: Il y aurait 1 viol pour 100 000 habitants. Mais les autorités estiment que 95% des viols ne sont pas déclarés. 
Toujours selon le ministère, seulement 4% des cas de viol seraient suivis d’une plainte, et celles qui aboutissent sont généralement suivis de peines avec sursis. En cas d’arrestation, le parquet annule les charges dans 53% des cas.
“Le harcèlement sexuel, notamment dans le cadre professionnel et les agressions, sont beaucoup moins débattus dans cet univers où toutes les strates de pouvoir sont occupées par des hommes et où les femmes sont censées de plier aux codes virils que leurs supérieurs ont fixés”, notent Les Échos. 
Une (petite) victoire juridique
Par ailleurs, de nombreux internautes semblent estimer que la journaliste est en partie responsable de sa situation puisqu’elle n’aurait pas dû accepter de boire un verre avec son agresseur présumé. Dans un sondage de la NHK qu’elle cite dans son livre, 11% des sondés expliquaient percevoir ce geste comme un signe de consentement sexuel. 
Dans son combat, Shiori Ito a tout de même obtenu une victoire, raconte Le Monde. Le 18 juin, pour la première fois depuis 1907, le Parlement a modifié les modalités concernant les viols dans la législation. Une victime peut notamment demander à un tiers de porter plainte pour elle, tandis que la peine encourue pour viol est passée de 3 à 5 ans de prison.