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La lutte contre le sexisme à l’école passe par l’abandon de la règle qui veut que “le masculin l’emporte sur le féminin”

Marie Darrieussecq – Laurence Rossignol 09/12/2017
Nous pensons que l’école ne peut continuer à enseigner le sexisme sous couvert de grammaire, et qu’une réflexion doit s’engager au plus vite dans l’Éducation nationale.

Lettre ouverte au Président de la République
Lettre ouverte au Président de la République en faveur de l’abandon de la règle qui veut que « le masculin l’emporte sur le féminin » signée notamment par Marie Darrieussecq, écrivaine, et Laurence Rossignol, sénatrice et ancienne ministre des droits des femmes ainsi que vingt-trois autres personnalités dont les signatures se trouvent à la suite de ce texte.
Monsieur le Président de la République, vous avez déclaré dans votre discours du 25 novembre, Journée internationale de l’élimination des violences contre les femmes, que “notre société entière […] est malade du sexisme” et que, pour combattre ce fléau, plusieurs priorités figurent au programme de votre gouvernement dans les cinq prochaines années. C’est avec émotion et reconnaissance que nous saluons cet engagement, le premier qu’ait pris un Président de la République française, et suffisamment argumenté pour que l’on comprenne qu’il ne s’agit pas de mots en l’air.
Au titre d’action concernant “l’éducation et le combat culturel en faveur de l’égalité”, vous avez notamment annoncé la mise en place, dès 2018, dans toutes les écoles du service public, d’un “module d’enseignement” consacré “à la prévention et à la lutte contre le sexisme, le harcèlement et les violences” contre les femmes. Dans ce cadre, nous attirons votre attention sur la contradiction qui existerait entre ce projet et le maintien de l’enseignement de la règle selon laquelle “le masculin l’emporte sur le féminin”. Ressassée durant des années, cette ritournelle qui s’incarne concrètement dans l’apprentissage des accords est entendue par tous les enfants comme la confirmation de la supériorité des garçons sur les filles, et comme la preuve que l’égalité des sexes n’est qu’un discours hypocrite. Les témoignages se multiplient sur ce qui se passe en classe: lorsque les filles demandent pourquoi le masculin l’emporte, et que les professeur·es répondent (au mieux) que “c’est comme ça, mais ce n’est que pour la grammaire”, ce sont les garçons qui fournissent la bonne explication: “on vous l’avait bien dit, on est les plus forts”.
Parmi tous les enseignants et enseignantes qui se trouvent dans cette situation difficile, trois cent quatorze ont eu le courage de déclarer, dans un Manifeste publié le 7 novembre dernier, avoir cessé d’enseigner cette règle, afin d’alerter l’opinion et d’engager un mouvement national en vue de son abandon. Elles et ils ont rappelé, pour motiver sur le plan linguistique une décision qui s’impose d’abord sur le plan éthique, que la langue française n’a nul besoin que “le masculin l’emporte” pour fonctionner correctement: ce dogme n’a été mis au point que par quelques grammairiens, au temps de la monarchie absolue, et dans le seul but de conforter la suprématie masculine. Ces hommes l’avouaient eux-mêmes: “Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle” (Nicolas Beauzée, 1767). Les signataires du Manifeste ont aussi rappelé, exemples à l’appui, que les lettrés français ont longtemps continué de pratiquer la souplesse d’accords qui prévalait avant l’invention de ce dogme, et que c’est l’école primaire obligatoire qui a fini par ancrer ce dernier dans toutes les têtes, via les instructions scolaires d’une République qui refusait de donner le droit de vote aux femmes.
Nous faisons partie des premières personnes à avoir soutenu ce Manifeste, par une pétition qui a déjà recueilli plus de 30 000 signatures. Nous pensons que l’école ne peut continuer à enseigner le sexisme sous couvert de grammaire, et qu’une réflexion doit s’engager au plus vite dans l’Éducation nationale, afin que d’autres solutions soient enseignées: accord de proximité, accord selon le sens. Le ministre en charge de cette responsabilité ayant jusqu’à ce jour répondu par une fin de non-recevoir, c’est vers vous que nous nous tournons, vous qui avez compris que l’école est aux avant-postes de la lutte contre le sexisme.