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Réplique d’un enfant d’immigré à Monsieur Blanquer

Bouhout Abdelkrim, le 24 novembre 2017
Monsieur Blanquer juge les notions telles que  » racisé », « blanchité « « épouvantables ». Il compte même porter plainte contre Sud Éducation 93. « Mélusine » rétorque dans une tribune parue dans Libération que « racisé » renvoie à une « catégorie sociale » et que cette terminologie est largement répandue dans la recherche en sciences sociales. L’on assisterait donc à un remake de « expliquer c’est déjà excuser » dixit Valls-biscoto-haltérophile.
Qu’en penser ?
D’abord que ce nouvel épisode à rebondissements s’inscrit dans un récit politique opposant depuis l’ère Sarkosy, les figures de l’altérité à la société globale. L’écueil de ce mode opératoire est de figer les priorités politiques sur des questions identitaires tandis que tout ce qui détricote les droits statutaires de l’immigré s’en trouve renforcés; qu’ils s’agissent du délitement du droit du travail, de l’épuisement des corps intermédiaires (syndicats) ou des conventions collectives de travail désormais négociées en entreprise. Il y a donc une confusion entre les « luttes pour la reconnaissance » plutôt arc-boutées sur des questions de dignité et l’érosion d’un reste « d’Etat providence » qui garantissait jusqu’au début des années quatre-vingt une forme d’équité entre les citoyens par-devers le « rapport de classe » ou le « rapport des stigmates » aujourd’hui.
Très pernicieux. Si le racisme en tant qu’ expérience sociale partagée par les enfants d’immigrés doit être dénoncé, le détricotage de ce qui reste de l’Etat providence ne peut que renforcer le « racisme d’Etat » puisque la raison d’être du système béveridgien fut d’atténuer les différences entre les positions sociales en instituant pour se faire un système de droits et acquis sociaux équivalents.
« L’égalité des places » garantie par une convention collective négociée à l’échelle nationale n’est-elle pas au fonds le meilleur moyen de lutter contre les discriminations ? Au lieu de ça, Monsieur Blanquer bombe le torse pour renvoyer un peu plus les enfants d’immigrés vers leurs identités particulières bien souvent agitées par des questions d’amour-propre. Surtout depuis l’avènement d’un discours structuré au sein des factions déshéritées. C’est donc le « scénario » dans son ensemble qu’il faut dénoncer ou du moins: il faut objectiver ce que présume les « luttes pour la reconnaissance » devant l’instrumentalisation politique des « luttes pour la dignité ».
Ensuite, il faut semble-t-il revenir sur cette notion chère à Nancy Fraser : les « subordinations statutaires ». Car au fonds, la lutte pour les espaces d’expression des groupes minoritaires semble plus importante que la structuration d’une parole minoritaire intelligible. Quand Fraser en appelle à la constitution de « contre-publics subalternes », elle saisit avec une certaine acuité un fait sociologique têtu : « dire » ne doit pas se confondre avec «le pouvoir de dire ».  De même que la structure sociale détermine des rapports de domination dans l’espace urbain, le discours institutionnelle renforce une hiérarchie des espaces d’expression avec d’un côté, les « autorisés de parole » (bien souvent les mêmes) accédant aux tribunes médiatiques, académiques, aux éditions ; de l’autre côté, une parole invisible tentant de renverser le champ politique dans sa dimension discursive en bouchant les interstices du mur où s’affrontent les luttes symboliques. En ce sens, la production d’un « lexique linguistique minoritaire » est légitime sitôt qu’après « s’être raconté », il faut maintenant tenter d’instituer « l’histoire racontée ». Ce qui n’est pas aisé. Chacun se souvient de la foule hystérique déambulant dans les rues de Nice après la sortie du film: Indigènes. Le film fut pourtant largement en dessous des faits historiques.
Si Monsieur Macron n’a pas été un cancre auprès de son maître Ricœur, il ne sait que fort bien l’importance du « narratif » dans la forme du récit fictif ou historiographique ainsi que la hiérarchie qui s’établit entre les récits qui agrémentent le roman national. Si le récit migratoire abrite une part de fiction, c’est inévitable, cette dernière entrecroise bien souvent le « réel » qu’elle restitue dans une temporalité biaisée parfois, purement inventée. Ça n’est pas tant l’expérience coloniale d’hier qui se répète dans le réel du « racisé » d’aujourd’hui en France que le continuum d’un rapport de domination l’inscrivant hic et nunc dans une forme d’altérité, un corps social parallèle sur lequel on porte un regard défigurant et sans lequel ne s’institueraient pas des pratiques discriminantes institutionnalisées. Le « racisme d’Etat » n’existerait pas sans une acceptation au moins inconsciente de toute l’entreprise de contrefaçon : l’altérisation subjective de l’altérité.
Il faut donc que Monsieur Blanquer accepte les règles du jeu (l’illusio). À son illusion d’un monde universaliste débarrassé des concepts clivant, ce qui est vraisemblable dans une certaine mesure, s’oppose un lexique linguistique minoritaire qui tente de s’emparer d’un espace de parole. Il y a certes une part de fiction dans cette parole minoritaire mais la fiction est l’essence du narratif, celui qui permet au sujet invisible de se raconter et donc d’accéder au sentiment de dignité.
Évidemment, le racisme d’Etat ne pourra reculer que par la force d’une reconnaissance juridique institutionnalisée. Celle qui confère aux membres d’une société « le respect de soi » compte tenu du traitement équitable de leurs droits individuels et sociaux. Mais la « confiance en soi » (la dignité humaine) est la première étape vers le « respect de soi » (la reconnaissance juridique) laquelle enfin acquise, peut s’acheminer vers « l’estime sociale » (la reconnaissance culturelle)