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Algérie – Avortement : le réveil de vieux démons ?

«  J’ai suivi durant quelques années un jeune atteint de trisomie 21 qui était condamné dès sa naissance. L’enfant, qui avait une malformation cardiaque et un asthme sévère dès son plus jeune âge, a été abandonné par ses parents. Chacun a refait sa vie. Il a été pris en charge par sa tante maternelle jusqu’à son décès à la suite de complications respiratoires », se souvient Salim, un pneumologue à Alger. Ses souffrances auraient pu être évitées si l’interruption de grossesse n’était pas interdite pour ce genre de cas.

L’avortement, un délit en Algérie
Dans le pays, l’avortement est strictement encadré. Permis dans un but uniquement thérapeutique, il est « considéré comme une mesure indispensable pour sauver la vie de la mère du danger, ou préserver son équilibre physiologique et mental gravement menacé », selon l’article 72 de la loi 85-05 relative à la protection et la promotion de la santé. Dans le Code pénal, dix articles sont consacrés à l’avortement illicite considéré comme étant un délit ou un crime lorsqu’il entraîne la mort de la femme enceinte.
Les peines prévues sont lourdes : un an à cinq ans de prison et une amende de 500 à 10 000 dinars pour la personne qui procure ou tente de procurer l’avortement. « Si la mort en est résultée, la peine est la réclusion de dix à vingt ans », précise l’article 304. Un « emprisonnement de six mois à deux ans et une amende de 250 à 1 000 dinars » sont prévus pour la femme qui se fait avorter.
Seules les femmes violées par les terroristes durant la décennie noire pouvaient demander une interruption de grossesse. L’autorisation leur a été donnée en 1998 après des années de lutte des associations de défense des droits des femmes et des victimes du terrorisme. « Même avec l’aval des autorités, l’avortement pour ces femmes était soumis à une procédure qui était parfois très longue. Nous étions alors dans l’obligation de les orienter vers le privé. Ce qui est illégal », affirme une militante féministe qui a requis l’anonymat.
Ce qui pourrait changer
Mais la réglementation pourrait changer prochainement. Début novembre, le ministre de la Santé a présenté le nouveau projet de loi sur la santé devant la commission de la Santé et des Affaires sociales de l’Assemblée populaire nationale (APN). En matière d’avortement, le texte ouvre de nouveaux horizons. L’article 81 autorise l’interruption de grossesse quand « l’embryon ou le fœtus est atteint d’une maladie ou d’une malformation grave ne permettant pas son développement viable ». L’article 82 évoque le cas où «  l’équilibre physiologique ou psychologique et mental de la mère est gravement menacé  ».
Art 81 : lorsque les affections dépistées par le diagnostic prénatal attestent, avec certitude, que l’embryon ou le fœtus est atteint d’une maladie ou d’une malformation grave ne permettant pas son développement viable, le ou les médecins spécialistes concernés, en accord avec le médecin traitant, doivent en informer le couple et entreprendre avec son consentement toute mesure médicale thérapeutique dictée par les circonstances. Toutefois, lorsque la vie de la mère est en danger, les médecins spécialistes concernés peuvent décider de l’interruption de la grossesse.
Art 82 : lorsque l’équilibre physiologique ou psychologique et mental de la mère est gravement menacé, le ou les médecins spécialistes concernés, en accord avec le médecin traitant, doivent informer la mère et entreprendre, avec son consentement, toute mesure médicale thérapeutique dictée par les circonstances. Les droits des personnes mineures ou incapables sont assurés conformément à l’alinéa 2 de l’article 22 de la présente loi. Devant un risque majeur pour la vie de la mère et du fœtus, les médecins spécialistes concernés sont tenus également de prendre les décisions médicales thérapeutiques appropriées.
Prudence
Pour Cherifa Kheddar, présidente de Djazaïrona et ex-porte-parole de l’Observatoire des violences faites aux femmes, le nouveau texte « va dans les détails en ce qui concerne l’avortement thérapeutique ». « Chose qui est bénéfique aussi bien pour le praticien que pour les personnes concernées », se réjouit-elle. Ces dispositions relatives à l’avortement sont également saluées par le président du Conseil national de l’Ordre des médecins, Mohamed Berkani Bekkat. « Obliger une femme à avoir un enfant à la suite d’un viol par exemple ou particulièrement après un inceste est quelque chose qui la détruit », soutient-il.
Fetta Sadat, députée du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et membre du réseau Wassila/Avife, association d’action et de réflexion relatives aux violences faites aux femmes et aux enfants, reste prudente. « Je constate qu’il y a beaucoup de non-dits et de précautions dans le texte. Pourquoi on n’utilise pas les mots qu’il faut ? Dans l’article 82 par exemple, on parle de mesure thérapeutique dictée par les circonstances, et pas d’interruption thérapeutique de grossesse », relève cette ancienne avocate.
« L’interruption de grossesse peut évidemment être une mesure médicale thérapeutique dictée par les circonstances, affirme Nadia Chouitem, médecin et députée du Parti des travailleurs (opposition). Mais une loi doit être précise pour faciliter la tâche aux médecins. « Si elle n’est pas explicite, elle peut constituer un obstacle [pour le personnel médical et les femmes qui veulent avorter, NDLR] », plaide cette élue, membre de la commission de la Santé et des Affaires sociales de l’APN.
Levée de boucliers
Beaucoup d’associations restent attentives à l’évolution de la législation en matière d’avortement sans se faire trop d’illusions. « On peut parler d’avancée pour le premier article. Mais je reste sceptique parce que le deuxième article est complètement confus et flou », soutient Myriam Belala, présidente de SOS Femmes en détresse. « Est-ce que la mesure concerne toutes les femmes ou seulement celles qui sont mariées ? Qui est habilité à certifier que la femme ne peut pas mener à bout sa grossesse ? Pourquoi ne parle-t-on pas clairement, par exemple, des femmes violées ou victimes d’inceste », se demande-t-elle.
Cette militante féministe appréhende aussi une levée de boucliers au sein de l’Assemblée nationale qui pourrait bloquer le texte. Dès sa diffusion, le projet de loi a provoqué la polémique. Le 8 novembre, Echorouk aborde le sujet en une où il évoque des « articles ambigus qui provoquent la fitna [division, NDLR] au Parlement ». Le lendemain, ce même quotidien conservateur lui consacre une deuxième une. « L’avortement et le contrôle des naissances… la fitna », écrit ce média, qui a alors ouvert ses colonnes au Syndicat des imams, qui craint que « l’avortement [ne] soit pratiqué ouvertement dans les hôpitaux », et à l’Association des oulémas musulmans.