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L’eau est le talon d’Achille de la Catalogne

3 Octobre 2017

La Catalogne devrait rapidement proclamer son indépendance vis-à-vis de l’Espagne. Mais si la communauté autonome juge avoir les reins économiques assez solides pour devenir un État, elle reste très peu autonome dans son accès à l’eau.

Espagne, correspondance

Dimanche 1er octobre, le référendum sur l’indépendance de la Catalogne s’est déroulé dans une grande confusion. Jugé illégal par l’exécutif espagnol, le scrutin a été largement perturbé par des violences policières contre les électeurs, violences qui se sont traduites par plus de 800 blessés. Pourtant, dans la soirée, le gouvernement catalan affirmait que le oui atteignait les 90 %, soit 2,02 millions de voix sur 2,26 millions de votants. À Madrid, le Premier ministre, Mariano Rajoy, estimait, lui, qu’il n’y avait « pas eu de référendum ». La suite des événements reste très incertaine. S’appuyant sur les résultats du vote, le Parlement de Barcelone pourrait voter l’indépendance mercredi 4 octobre ou jeudi.
Le reste de l’Espagne pourrait alors mettre des bâtons dans les roues de la Catalogne dans sa route vers l’indépendance, notamment en renégociant son accès aux ressources hydriques. « Pour l’instant l’eau n’est pas un argument qui a été utilisé officiellement, note Dario Salinas Palacios, auteur d’une thèse sur la géopolitique de l’eau en Espagne, mais le problème existe et on le sait des deux côtés. » Si la communauté autonome dispose de bassins internes qui couvrent les besoins de 52 % de son territoire, elle doit aussi puiser dans l’Èbre, principalement pour l’irrigation. Or, ce fleuve — le plus puissant d’Espagne — traverse d’autres autonomies avant d’arriver en Catalogne : « Il prend sa source dans le nord du pays, puis traverse notamment l’Aragon, une grande région agricole qui a besoin de cette eau », raconte Barbara Loyer, directrice de l’Institut français de géopolitique et spécialiste de l’Espagne.
L’équivalent de 44 piscines olympiques en provenance de Marseille 

Les besoins en eau se sont fait davantage ressentir au cours de la dernière décennie, car la Catalogne a connu plusieurs gros épisodes de sécheresse. Le plus fort est survenu en avril 2008. À Barcelone, les habitants s’en souviennent encore : « Il y avait un tel manque d’eau potable que les autorités avaient fini par faire venir des bateaux remplis d’eau douce jusqu’à Barcelone », raconte Rosa Abaurrea, âgée de 54 ans, et qui n’avait jamais vu une telle aridité. À l’époque, plusieurs navires venus de Tarragone (sud de la Catalogne), mais aussi de Marseille et de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) avaient livré des dizaines de milliers de tonnes d’eau potable à la région autonome. La Société des eaux de Marseille avait ainsi à elle seule acheminé 165.000 mètres cubes d’eau potable, l’équivalent de 44 piscines olympiques. « Finalement, en mai, il a plu sans discontinuer donc ce système de transferts a été arrêté », se souvient la cinquantenaire.

Ces dernières années, la situation de la Catalogne ne s’est pas améliorée, bien au contraire : « Depuis quatre ans, c’est toute la Méditerranée qui connaît de gros épisodes de sécheresse, et l’Espagne n’est pas épargnée, explique Fernando Prieto, docteur en écologie et spécialiste du changement climatique. En Catalogne, lorsqu’il ne pleut pas pendant longtemps, il est presque sûr qu’il y aura des problèmes d’approvisionnement en eau l’année suivante et donc, parfois, des restrictions. » Selon un rapport sur le changement climatique publié à l’initiative de la Généralité de Catalogne, les ressources hydriques vont se faire de plus en plus rares pour deux raisons : d’abord les variations climatiques, mais aussi l’exploitation abusive de certains sols qui pompent énormément d’eau pour des cultures inadaptées.
Pour subvenir à ses besoins en eau, la communauté autonome n’a donc pas d’autre choix que de négocier avec l’Espagne. Afin d’éviter les conflits avec les autres régions de la péninsule ibérique, un autre projet avait pourtant été évoqué par le passé : celui d’une construction hydraulique qui aurait permis de transférer de l’eau du Rhône vers la Catalogne. Mais il a finalement été abandonné : « C’est difficile de demander aux agriculteurs français de donner de l’eau à d’autres qui produisent moins cher en Espagne », dit Dario Salinas Palacios.

La plus grande usine de dessalement d’Europe 

Afin d’éviter de nouvelles pénuries après le gros épisode de sécheresse de 2008, les autorités ont finalement opté pour la construction de la plus grande usine de dessalement d’Europe qui a vu le jour en juillet 2009. Située en mer au large de Barcelone, elle a été financée à 75 % par l’Union européenne. « L’eau qui y est produite est exclusivement destinée à la région, précise Fernando Prieto. La transporter vers d’autres régions espagnoles serait trop coûteux. » L’usine filtre ainsi 200.000 mètres cubes d’eau potable par jour, alimentant près de 20 % des habitants de la région. Mais cette eau dessalée ne sert qu’à la consommation urbaine d’eau potable : « Le but de cette usine est d’éviter des restrictions d’eau en cas de sécheresse. Cette solution n’est pas durable, car ce système est très cher et dépense énormément d’énergie », indique Dario Salinas Palacios.
Maurici Dalmau, coordinateur du parti écologique espagnol Equo, estime également que l’utilisation de cette usine doit intervenir comme « dernier recours » : « Il faut avant tout faire attention aux ressources dont dispose déjà la Catalogne, et les utiliser avec précaution, » dit-il à Reporterre. Pour lui, cela passe par un changement de modèle économique : « En Espagne, et principalement en Catalogne, l’économie est très axée sur le tourisme de masse, ce qui nécessite énormément d’eau : aujourd’hui les villes sont devenues des parcs thématiques. Il faut commencer par diversifier cette économie pour perdre moins d’eau dans le circuit et apprendre à la réutiliser. »

L’idée est par ailleurs de fournir à tous une eau de qualité. « Si la Catalogne devient indépendante, elle devra respecter la directive-cadre sur l’eau mise en place par l’Union européenne, comme tous les autres États membres », précise Dario Salinas Palacios. Adoptée en l’an 2000, cette directive a pour objectif de limiter la pollution de l’eau, de protéger les écosystèmes et de favoriser la réutilisation des ressources hydriques. Les Catalans n’auront alors pas d’autre choix que d’appliquer cette réglementation, qui pourrait s’avérer être une contrainte de plus vers l’indépendance hydrique.