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Il n’y a pas de solution technologique à la crise écologique

30 août 2017 

Devant l’ampleur de la crise écologique, l’innovation technologique serait la panacée. L’auteur de cette tribune ne souscrit pas à cette croyance. Selon lui, au contraire du salut escompté, c’est même à une aggravation de la situation que conduit la frénésie high-tech.

Robotique, objets connectés, bio et nanotechnologies, chimie de synthèse… Parce que l’innovation est le principal moteur de la croissance qui dévore la planète, Reporterre publie une série de tribunes visant à démythifier le progrès et faire de la recherche scientifique un terrain de controverse et de luttes.
François Briens est ingénieur-chercheur, spécialisé en prospective économie-énergie.
S’il est un élément de notre mythologie moderne qui, face à la crise écologique, entretient la confiance collective et légitime l’action des uns et unes — et surtout l’inaction des autres —, c’est bien la croyance largement partagée et régulièrement entretenue que le salut viendra des avancées scientifiques et de l’innovation technologique : « Citoyens, ne changeons rien ; high-techs, green-techs, smart-techs, biotechnologies, nanotechnologies, etc., règleront nos soucis. »
L’hypothèse d’un tel deus ex machina venant dénouer le drame environnemental semble pourtant improbable. Mais comme les technologies de pointe fascinent d’autant plus que leurs prouesses et leurs produits échappent par leur complexité à la compréhension commune, la fuite en avant technologique ne manque pas de zélateurs.
Comment ne pas questionner la pertinence d’une stratégie qui entend résoudre par un surcroît d’innovation technique les problèmes posés par les développements techniques passés ? L’histoire montre que les « solutions technologiques » aux problèmes d’ordre sociétal conduisent souvent davantage à une transposition ou à une mutation des problèmes initiaux qu’à leur disparition : on défait le nœud ici, mais il se reconstitue là-bas. On opère ainsi ce que les Anglo-saxons appellent un cost shifting, c’est-à-dire un déplacement des coûts et des impacts dans le temps ou dans l’espace, leur report d’un secteur d’activité à un autre, et/ou un changement du type et de la nature de ces impacts.
Ce que nous offrent les “solutions” high-tech, c’est une diversification de l’éventail des nuisances

Si on prend l’exemple du changement climatique, les « solutions » high-tech proposées pour le secteur des transports [1] dans l’espoir de grignoter à la marge quelques points de rendement impliquent une complexification toujours plus poussée des moteurs thermiques, une informatisation des véhicules [2], ou encore le passage à des véhicules hybrides et électriques. Or si, dans le périmètre étroit « du réservoir à la roue », certains impacts environnementaux (émissions polluantes et gaz à effet de serre [GES]) s’en trouvent améliorés, ceux liés à la phase de production en amont sont accentués (notamment les impacts des industries extractives, du fait du recours croissant à des minerais et terres rares pour les composants électroniques, au lithium pour les batteries, etc.). En aval, le processus de recyclage est compromis par la complexité accrue des composants et des matières (alliages), qui empêche d’identifier, de séparer et de récupérer facilement les matières premières. Si bien que le bilan global et systémique — celui qui importe véritablement — de ces innovations est loin d’être évident [3].
Dans le cas des véhicules électriques, les impacts liés à la phase d’utilisation sont par ailleurs « transférés » au secteur de la production d’électricité, auquel on demande de faire face à une demande supplémentaire tout en réduisant si possible ses propres impacts sectoriels. Or dans ce secteur de la production d’électricité, les « solutions » technologiques consistent là encore à substituer aux émissions de gaz à effet de serre des impacts, des risques et des problèmes de nature différente : déchets radioactifs et risques nucléaires ; occupation des sols, modification des paysages et fiabilité réduite du réseau électrique pour les énergies renouvelables intermittentes, etc.

L’analyse peut être répliquée pour presque tous les secteurs : en fin de compte, ce que nous offrent les « solutions » high-tech, c’est surtout une diversification, un élargissement de l’éventail des nuisances, des risques et des impacts environnementaux – entre lesquels l’arbitrage devient chaque jour plus délicat, à mesure que se renforce le caractère multidimensionnel, global et systémique de la crise écologique [4].
Il est aujourd’hui nécessaire et urgent de s’extraire du fétichisme de l’innovation technologique 

Mais les discours rationnels ont rarement prise sur les croyances, qui relèvent moins du domaine de la conviction que de la conversion. L’escalade technologique s’annonce pourtant de plus en plus laborieuse et de moins en moins profitable : en tous domaines, les « solutions » déjà apportées étant généralement celles qui étaient les plus efficaces et accessibles (techniquement et économiquement), il reste à se tourner vers celles qui sont plus complexes, moins rentables, moins évidentes à mettre en œuvre. Les gisements d’amélioration s’amenuisent et, hormis dans de rares cas où surviendraient des ruptures technologiques, il faut s’attendre à des gains marginaux de plus en plus faibles et de plus en plus coûteux — lesquels, en l’absence d’une remise en question de notre imaginaire social et de nos systèmes de besoins, risquent toujours d’être grignotés voire annulés par des effets rebonds.
Aussi, il est aujourd’hui nécessaire et urgent de s’extraire du fétichisme de l’innovation technologique — laquelle sert essentiellement la logique croissanciste d’un système économique dysfonctionnel et moribond. Face aux défis de notre époque, l’imagination et l’inventivité demeurent indispensables ; mais plus que de les mettre au service d’un développement de nos potentialités techniques dont on oublie d’interroger le sens et la finalité, c’est autour d’une refondation de l’activité politique et de l’organisation socioéconomique, autour de l’expérimentation de nouvelles formes de vivre-ensemble, qu’il s’agit de les déployer.


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[1] Le transport représente en France environ 30 % des émissions directes de gaz à effet de serre (GES), dont plus de la moitié imputable à la voiture particulière (Source SOeS et CITEPA).
[2] Par exemple avec l’intégration systématique de microcontrôleurs et d’électronique de bord, notamment pour optimiser l’injection dans les moteurs à combustion, ou pour la gestion des motorisations hybrides, etc.
[3] D’après l’analyse de cycle de vie comparative entre véhicule électrique et véhicule thermique publiée par l’Ademe en 2013, (laquelle ne prend pas en compte les impacts liés aux infrastructures spécifiques — bornes de recharge, distribution de carburant, etc.), les véhicules électriques ne présentent pas d’intérêt en matière de consommation d’énergie primaire par rapport à un véhicule diesel. Et s’ils semblent pertinents du point de vue du potentiel de changement climatique, ce n’est qu’en prenant en compte le mix électrique français, peu carboné car fortement nucléarisé — l’avantage disparait si l’on prend le cas du mix électrique allemand.
[4] À la question climatique s’ajoutent par exemple — de manière interdépendante ou non — des problèmes d’érosion des sols, de déforestation, de salinisation des eaux, d’acidification des océans, de perte de biodiversité, d’émissions de particules fines, de pollution par l’ozone troposphérique, de destruction de la couche d’ozone stratosphérique, de dépôts acides, de déchets chimiques toxiques, d’accumulation de métaux lourds, de déchets radioactifs, de rejets d’hormones dans l’eau, de pollution électromagnétique, des problèmes liés à l’utilisation intensive d’insecticides et de pesticides, des risques potentiels liés aux OGM, aux nanotechnologies, etc. Autant d’éléments à prendre en considération dans l’évaluation des « solutions » qu’on nous propose, auxquels il faut encore ajouter les dimensions esthétiques, éthiques, sociales, etc.