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Des milliers de personnes ont manifesté en Allemagne contre le charbon

31 août 2017 

Du 24 au 27 août, des militants de toute l’Europe se sont retrouvés dans le nord-ouest de l’Allemagne pour y bloquer les centrales à charbon de l’énergéticien RWE. Ce qu’ils ont réussi à faire pendant près de 8 heures.

Cologne (Allemagne), reportage
L’aurore peut être troublante à proximité d’une gigantesque mine de charbon comme celle de Garzweiler : est-ce la brume, pleine d’une beauté mystérieuse, ou est-ce un smog matinal comme Pékin en connaît tant ? En cette fin du mois d’août, les quelque 3.000 personnes (selon les organisateurs) qui participent à l’action d’Ende Gelände (« Pas plus loin ») souhaiteraient attribuer la culpabilité du doute à l’entreprise propriétaire des quatre centrales à charbon du coin : RWE. Ils se sont réunis non loin de Cologne, en Rhénanie du Nord–Westphalie, pour perturber l’activité de cet énergéticien dont la ressource principale est le charbon : la source d’énergie parmi les plus émettrices de CO2.
À un mois des élections législatives allemandes, qui se tiendront le 24 septembre, il y a l’espoir de provoquer une prise de conscience dans l’opinion. Les militants veulent détruire l’image d’une Allemagne exemplaire sur le plan écologique. À cet effet, un chiffre se trouve sur toutes les lèvres : en 2016, l’Allemagne produisait 40 % de son électricité grâce au charbon. Un reproche à la chancelière aussi : l’année dernière, le gouvernement Merkel a introduit un plafond pour la croissance des énergies renouvelables, provoquant la colère des défenseurs d’une transition énergétique rapide.

Parmi les critiques de cette décision de la chancelière, on trouve Anton Hofreiter, président des Verts au Bundestag. L’homme politique s’est rendu sur le camp des militants dans la matinée du samedi 26 août. Le message qu’il portait était sans concession : « Rien n’a été fait pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre [GES] sous le gouvernement Merkel. Au contraire, on a imposé une limite aux énergies renouvelables », affirme-t-il.
Son propos est corroboré par les chiffres : entre 2011 et 2016, les émissions allemandes de GES ont diminué de moins de 1 %. Ceci est à mettre sur le compte d’une exploitation presque stable des centrales à charbon au cours des dernières années. Outre-Rhin, on s’est pourtant fixé comme objectif une baisse de 40 % des émissions d’ici à 2020 (par rapport au niveau de 1990). Dans l’état actuel de la politique environnementale allemande, cette finalité relève de l’idéalisme.
C’est contre cette hypocrisie climatique qu’ont décidé de se réunir des militants de toute l’Europe. À quelques dizaines de kilomètres de Cologne, ils se sont retrouvés près des centrales de lignite de la compagnie électrique RWE, qui exploite cette ressource fossile plus émettrice encore que le charbon classique. Pour la quatrième année consécutive, les militants de Ende Gelände ont ainsi démontré la capacité de mobilisation de la société civile et son organisation sans cesse améliorée contre les activités contribuant au changement climatique.
Douze heures avec un groupe de militants

7 h 52 : Un groupe d’une cinquantaine de personnes part du camp pour une action à vélo. Les cyclistes s’en vont sous les applaudissements de ceux qui restent prendre le petit déjeuner végane payable avec une donation libre.
9 h 10 : Plusieurs groupes, disposés en cercles, font le bilan des actions de la veille. Un succès majeur est à souligner avec le blocage partiel de l’exploitation de Neurat pendant neuf heures. Les non-membres du groupuscule sont regardés avec méfiance lorsque le sujet de discussion tourne autour d’un projet aussi sensible que le blocage des rails d’un train ou l’irruption sur le terrain d’une centrale. 
Ces nombreux groupes d’une dizaine de personnes témoignent du mode d’action choisi pour cette année. Plutôt que d’organiser un blocage avec plusieurs milliers de personnes, il a été jugé plus judicieux de multiplier les actes de sabotage en formant des groupes de 150 personnes. Chacun d’eux est constitué de plusieurs sous-groupes d’environ dix membres. Ces groupuscules prennent leurs propres décisions avant d’envoyer un délégué qui fera remonter le choix pendant une assemblée. Beaucoup de militants attachent une importance capitale à la structure démocratique de l’organisation et à sa capacité à inclure tout le monde dans la lutte.
12 h 13 : L’action principale de la journée débute. Environ 1.500 personnes, toutes vêtues d’une combinaison blanche, quittent le campement en scandant des slogans en plusieurs langues. Sur les épaules de ces militants de toute l’Europe, de lourds sacs à dos démontrent l’intention de bloquer l’activité des centrales le plus longtemps possible. La banderole du cortège de tête porte un message pertinent face aux critiques habituelles qu’entendent les militants environnementaux : « Il n’y a pas de jobs sur une planète morte. »

13 h : Après une demi-heure de marche, un premier barrage de police est aisément traversé. Les forces de l’ordre semblent dépassées et finissent par ne plus opposer de résistance aux manifestants. La foule est en liesse après ce premier succès.
13 h 38 : Soudainement, la manifestation se scinde en deux groupes qui descendent de la route principale pour traverser les champs entourant les centrales à charbon. Un camion vient en face à vive allure. Il s’arrête à la hauteur des militants. La porte arrière s’ouvre. En sortent deux membres d’Ende Gelände qui lancent aux protestataires des sacs de paille. Le cortège repart de plus belle, revigoré par l’idée que ces sommaires boucliers les épargneront, ne serait-ce qu’un peu, des coups de matraque de la police.

14 h 20 : Une nouvelle fois, les deux cortèges réussissent à percer un barrage policier constitué d’une quarantaine de fourgonnettes. Il ne reste plus que 200 mètres à parcourir avant d’atteindre les chemins de fer qui relient la mine de Garzweiler aux centrales de Frimmersdorf, Neurath et Niederaussem. Ce sont en tout 16 usines qui émettent ensemble plus de 175 tonnes de CO2 chaque jour.

15 h 23 : La situation a viré à la confrontation entre manifestants, police et propriétaire du champ piétiné, venu en tracteur prêter main-forte aux forces de l’ordre. Maintenant, trois groupes de chacun cinquante personnes se trouvent sur les rails. Le reste — plus d’un millier de militants — est encerclé par la police. Tous opposent une résistance passive et refusent de gagner les bus affrétés pour dégager les semeurs de trouble.

Vers 20 h, et bien que tout le monde n’ait pas encore regagné le camp, on tire déjà le bilan de la principale action d’Ende Gelände. Pour Christopher, c’est un succès : « 150 personnes bloquent les rails depuis plus de cinq heures. Voilà ce que nous souhaitions. » Il semble que la stratégie choisie pour cette édition ait été efficace : créer plusieurs groupes pour compliquer l’intervention de la police.
Et maintenant ?

Mais le blocage des chemins de fer est-il réellement synonyme d’arrêt des centrales à charbon ? Selon le directeur du service presse de RWE, la manifestation du samedi n’a eu aucun impact sur l’activité des exploitations : « Seule l’action de vendredi nous a poussés à diminuer de 750 mégawatts la puissance de la centrale de Neurath. Nous n’avons pas eu à modifier notre production samedi », explique Lothar Lambertz, avant d’ajouter que des poursuites judiciaires seront lancées contre les militants.
Néanmoins, cette manifestation a démontré deux faits cruciaux pour la suite du militantisme environnemental : celui-ci est non seulement capable de réunir plusieurs milliers de personnes de toute l’Europe, mais aussi de respecter le principe d’une désobéissance pacifique. Dans la journée de samedi, aucune violence collective n’a été délibérément exercée contre les forces de l’ordre. L’événement a ainsi pu renvoyer une image bien différente des manifestations contre le G20 à Hambourg. Une action prometteuse donc : du 6 au 17 novembre, en marge de la COP23, Ende Gelände compte bel et bien poursuivre le combat pour la justice climatique.
IMMERATH, UN VILLAGE BIENTÔT ANNIHILÉ PAR LE CHARBON

Madame Geisel doit bientôt quitter la ferme que sa famille occupe depuis 1721. Son village, Immerath, est déjà presque vide. Les habitants ont été déplacés à quelques kilomètres de là, dans une localité simplement nommée Neu Immerath (« Immerath-le-Neuf »). La décision était irrévocable : il s’agit pour l’entreprise énergétique RWE de continuer à exploiter le charbon dont regorge le sol du Land de Nordrhein-Westfallen. Alors quand on parle des actions des militants environnementalistes à cette agricultrice, elle hausse légèrement les épaules : « C’est trop tard pour nous maintenant. » Dès 2019, l’exploitation du charbon doit engloutir ce village déjà presque désert.
Visionnez un diaporama du village d’Immerath :