General

Israël peut-il transférer sa population palestinienne ?

Août 8, 2017

Des hommes politiques palestiniens et des groupements de défense des droits ont condamné une proposition du Premier ministre Benjamin Netanyahou en vue de transférer nombre de villages à population arabe sous le contrôle de l’Autorité palestinienne et d’en priver les résidents de leur citoyenneté.

Ce plan, mentionné pour la première fois la semaine dernière dans les infos de Channel Two (Israël), est censé avoir été transmis à de hauts responsables américains. Il permettrait également à Israël d’annexer des colonies en Cisjordanie exclusivement réservées aux juifs, et ce dans le cadre d’un accord final avec la direction palestinienne.

« Cette affaire n’a pas été proposée séparément, mais comme faisant partie d’une proposition d’arrangement général avec les Palestiniens », a déclaré un responsable sur Channel Two », a-t-on pu lire dans le quotidien israélien Haaretz. 

Yousef Jabareen, un député à la Knesset israélienne, a qualifié de « crimes de guerre » aussi bien le transfert forcé de population que l’annexion de colonies, d’ailleurs considérées comme illégales par le droit international.

« Les citoyens arabes d’Israël n’ont pas reçu la citoyenneté à titre gracieux, mais du fait qu’ils vivent dans leur patrie historique », a-t-il déclaré dans Al Jazeera. 

« Ceci est en flagrant contraste avec les colons de Cisjordanie, qui occupent illégalement des terres qu’ils ont volées de force à leurs propriétaires palestiniens. »

On estime que 1,7 million de Palestiniens vivent dans les villes et villages d’Israël et ont la citoyenneté israélienne. Ils sont soumis à des douzaines de lois qui limitent leur expression politique et leur accès aux ressources de l’État, rapporte Adalah, le Centre juridique pour les droits des minorités arabes, dont le siège se trouve à Haïfa.

Dans une déclaration adressée par courriel à Al Jazeera, Adalah dénonce la proposition de Netanyahou.

« Parler de tels plans ou négociations – particulièrement sans le consentement des citoyens mêmes qui seraient directement concernés – est raciste puisque cela implique que leur citoyenneté est inférieure, temporaire, précaire et exposée aux caprices des négociations politiques », explique la déclaration.

Netanyahou n’est pas le premier dirigeant israélien à prôner le transfert des citoyens palestiniens d’Israël vers la Cisjordanie.

Ofer Zalzberg, un éminent commentateur sur Israël et la Palestine au sein de l’International Crisis Group, a affirmé que le rapport devrait « être pris avec un grain de sel ». Il faisait également remarquer que Netanyahou était confronté à toute une vague de pressions émanant de la droite israélienne, depuis qu’une récente recrudescence de l’agitation s’est emparée de Jérusalem-Est occupée et du reste de la Cisjordanie.

Zalzberg a expliqué qu’il était douteux que la proposition pût séduire les membres de l’administration du président américain Donald Trump. « Cette modalité n’a aucun partisan à Ramallah et devra affronter une telle résistance de la part de la population palestinienne d’Israël que l’administration Trump commettrait une erreur d’importance en la soutenant », a-t-il expliqué à Al Jazeera. 

Ces dernières années, le ministre de la Défense Avigdor Lieberman, un partisan de la ligne dire, a réclamé l’expulsion de la minorité palestinienne du pays, proposant spécifiquement la déportation des résidents du Triangle, une région habitée depuis toujours par des Palestiniens et située sur la ligne de séparation entre l’Israël actuel et la Cisjordanie.

Jeudi soir, après la révélation publique de la proposition de Netanyahou, Lieberman avait accueilli la nouvelle en postant sur Twitter : « Monsieur le Premier ministre, bienvenue au club. »

Tzipi Livni, l’ancienne ministre israélienne des Affaires étrangères et membre importante de l’Union sioniste, de centre gauche, a encouragé les négociateurs palestiniens à accepter un échange de terres qui verrait plusieurs communautés palestiniennes d’Israël transférées sous le contrôle de l’AP, peut-on lire dans des Palestine Papers parvenus à Al Jazeera. 

Selon cette version du « marché », les citoyens palestiniens d’Israël se verraient manifestement accorder le choix : rester dans leurs villes et villages ou garder leur citoyenneté.

Diana Buttu, conseillère politique à Al-Shabaka, le Réseau politique palestinien, et ancienne négociatrice de l’Organisation de libération de la Palestine, a expliqué que l’idée de transférer les Palestiniens de l’actuel Israël est un thème récurrent dans tout le spectre politique israélien.

« Netanyahou semble penser qu’Israël est au-dessus des lois et, malheureusement, du fait du manque de réaction au niveau mondial, il pourrait bien avoir raison », a-t-elle déclaré à Al Jazeera en faisant remarquer que ce plan violerait le droit international.

« L’idée, c’est qu’ils veulent se débarrasser des Palestiniens et que les citoyens palestiniens d’Israël constituent précisément le problème démographique qui empêche Israël d’être un État essentiellement juif. »

Au lieu de cela, avec plus de 1,7 million de Palestiniens dans le pays, le gouvernement israélien a toutefois souvent choisi d’appliquer des décisions et mesures visant à décourager l’identité palestinienne chez les Druzes, les chrétiens et les musulmans qui constituent la minorité arabe.

Le mois dernier, un débat houleux a eu lieu lors d’une séance de la Knesset à propos d’un projet de loi proposant de désigner officiellement Israël comme « État nation juif ». Le gouvernement israélien a également tenté d’encourager le recrutement militaire parmi les chrétiens palestiniens d’Israël – cela fait partie de ce que des critiques récusent en tant que stratégie du diviser pour conquérir. 

Ces dernières années, plusieurs projets de loi ont cherché à supprimer l’arabe du nombre des langues officielles du pays, bien que, à ce jour, aucune de ces langues n’ait été déjà officialisée par une loi.

« Voilà des années qu’ils essaient de faire de nous de bons Israéliens, mais les gens n’ont pas mordu à l’hameçon », a déclaré Diana Buttu.

Dahlia Scheindlin, une commentatrice politique qui écrit pour le magazine +972, a déclaré que les « échanges de terres » étaient une caractérisation trompeuse de la toute dernière proposition, dont elle dit qu’il serait plus adéquat de la décrire comme une « dé-patriation forcée ».

« Bien des Israéliens ne verraient pas le moindre problème dans ces échanges de terres (…). Aux yeux des Israéliens, cela semble une approche nette et logique », a expliqué Scheindlin à Al Jazeera. 

Alors que Scheindlin insistait sur le fait que les données de sondage sont rares à propos de l’opinion publique israélienne sur les échanges de terres et l’expulsion de la minorité palestinienne, le soutien à la solution à deux États a fortement diminué, entre 2010 et 2017, passant de 71 pour 100 à 51.

L’an dernier, le Pew Research Center, installé à Washington, a établi que près de la moitié des Juifs israéliens estimaient que « les Arabes devraient être expulsés ou déportés d’Israël », encore que le centre n’ait pas spécifié si les personnes interrogées percevaient la Cisjordanie comme faisant partie du pays ou d’une entité distincte.

En affirmant que les Palestiniens en Israël n’ont nullement l’intention de quitter leurs terres et foyers, Diana Buttu faisait remarquer que des propositions comme celle de Netanyahou confrontent les Palestiniens à une réalité invivable : « Nous sommes des rappels constants du colonialisme israélien d’implantation. »