General

Un navire « anti-réfugiés » affrété par l’extrême-droite suspecté d’embarquer un équipage armé

25 Juillet

Des militants d’extrême-droite de plusieurs pays européens ont lancé leur opération « Defend Europe » en Méditerranée. Grâce notamment à des campagnes de financement participatif, ils ont réussi à affréter un bateau qui a appareillé de Djibouti début juillet vers le Canal de Suez puis la Méditerranée. Leur objectif : empêcher les migrants qui tentent la périlleuse traversée de rallier l’Europe en interceptant leurs esquifs pour les ramener sur les côtes africaines, en entravant le travail des organisations de solidarité qui mènent des opérations de sauvetage, ou en alertant les gardes-côtes libyens dont les méthodes d’intervention sont très critiquées.

Ces militants d’extrême-droite et l’équipage qui les accompagne sont-ils armés ? Selon l’organisation britannique Hope not Hate (« L’espoir, pas la haine »), qui a enquêté sur les coulisses de l’initiative, la probabilité est grande de trouver à bord des armes semi-automatiques. Hope not Hate est une organisation antiraciste fondée en 2004. Basée à Londres, elle mène des actions d’éducation, contre la xénophobie ou l’extrémisme religieux. Elle fait également campagne contre l’opération d’extrême-droite « Defend Europe » et livre de nombreuses informations sur l’initiative.

Le navire « anti-réfugiés » affrété par les militants « identitaires », le C-Star, est traditionnellement utilisé pour des missions de sécurité maritime privée. Il est parti de Djibouti début juillet pour rallier la Méditerranée puis les eaux siciliennes. A bord, une trentaine de personnes, militants de groupes « identitaires » européens, dont des Allemands, des Autrichiens, des Italiens, un Suisse, ainsi qu’un Français de Génération identitaire (le site antifasciste La Horde détaille leurs profils ici).

L’initiative « Defend Europe » a fait l’objet de campagnes de financement participatif au printemps pour récolter des fonds, via Paypal et un compte domicilié au Crédit Mutuel. Suite à l’indignation suscitée, ces deux organismes ont gelé ou fermé les comptes de « Defend Europe » courant juin. La plateforme de financement participatif Patreon, dont le siège est à San Francisco, vient à son tour de bloquer un compte récoltant des fonds pour « Defend Europe », après avoir été alerté par les Britanniques de Hope not Hate.

Mercenaires ukrainiens ?

Hope not Hate craint désormais que des armes aient également été transbordées. Le C-Star et son équipage sont loués aux identitaires par un entrepreneur suédois à la réputation sulfureuse, Sven Tomas Egerstrom. Sa société, qui possède deux navires, effectue des prestations de sécurité le long des côtes est-africaines depuis 2012, selon les investigations réalisées par Hope not Hate [1]. Ces zones maritimes sont régulièrement troublées par des actes de piraterie, d’où l’émergence d’un marché de sécurité privée.

Les soupçons se portent sur une entreprise, Sea Marshals Risk Management Ltd, dont le propriétaire du C-Star est également actionnaire via une société écran. Toujours selon les recherches de Hope not Hate, Sea Marshals Risk Management Ltd est une société de sécurité qui fournit des « équipes de gardes armés » pour les navires. Elle recrute notamment ses employés en Ukraine. Ces vigiles des mers, équipés d’armes semi-automatiques et de gilets par-balles, sont ensuite embarqués à bord de navires.

L’équipage actuel du C-Star « inclut-il des personnels ukrainiens armés ? », s’interroge l’organisation britannique [2]. « Nous ne laisserons pas notre navire être impliqué dans toute forme d’actions illégales », s’est défendu le propriétaire du bateau, Sven Egerstrom, qui a aussi reconnu que c’est bien lui qui mettait un équipage à disposition. L’un des leaders des identitaires allemands, Daniel Fiß, présent à bord, a de son côté expliqué dans une publication allemande que son groupe se doterait de moyens de sécurité pour « agir » contre d’éventuels passeurs armés.

Mystérieux rendez-vous en Mer rouge

Plus inquiétant, selon les relevés GPS consultés par Hope not Hate, le 12 juillet en Mer Rouge, le C-Star a rencontré un autre navire, le Jupiter, un transport de personnels armés. Celui-ci avait appareillé de Dubaï, où l’une des sociétés de Sven Egerstrom dispose de bureaux. « Le fait que Sven Egerstrom aie des intérêts au sein d’une compagnie de sécurité maritime privée et qu’il admette avoir fourni un équipage pour l’opération Defend Europe, le fait que Defend Europe communique sur son équipage ukrainien, combiné à ce mystérieux rendez-vous avec un bateau transportant des gardes armés, pose sérieusement question », commente l’organisation antiraciste. D’autant que la mission que se sont donnés les militants d’extrême-droite est d’empêcher les navires des ONG d’assurer leurs missions de sauvetage et d’intercepter les esquisses de migrants.

Le bateau « anti-réfugiés » a pour l’instant été bloqué le 20 juillet au port de Suez par les autorités égyptiennes. Mais il devrait reprendre sa route vers les eaux entre l’Italie et la Libye. La chroniqueuse britannique et xénophobe Katie Hopkins – qui avait écrit dans le Sun en 2015 qu’elle était prête à faire feu sur les migrants – a annoncé sur twitter qu’elle s’apprêtait à rejoindre le bateau de « Defend Europe » pour réaliser un reportage fin juillet.

Notes
[1] Lire ici, en anglais.
[2] Voir les éléments d’informations recueillis par Hope note Hate ici.