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Au Honduras, des barrages au nom du climat – mais contre la population et la forêt

15 Juillet 2017

Dans le nord de ce pays d’Amérique centrale, un projet de barrage hydroélectrique menace une aire naturelle protégée et l’accès à l’eau des populations locales. Les élus locaux et les habitants s’opposent à la volonté du gouvernement hondurien, qui assouplit les réglementations environnementales.

L’association d’enquête Global Witness a publié le 13 juillet un rapport sur les crimes commis dans le monde contre les activistes qui luttent pour préserver leurs terres et leurs rivières des projets d’exploitation de toutes sortes. Près de 200 écologistes, paysans ou indigènes ont ainsi été assassinés en 2016. Dont 14 au Honduras, un petit pays d’Amérique centrale.

Un barrage hydroélectrique dans une aire naturelle protégée contre l’avis des habitants… au motif de la lutte contre le changement climatique. Ce scénario ubuesque n’a rien de fictif : c’est l’histoire dramatique des communautés de San Francisco, dans le nord du Honduras, qui se battent depuis plus de seize ans contre un projet de barrage sur la rivière Cuyamel.

Fin mai, la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh) a ainsi publié un rapport tirant la sonnette d’alarme quant aux nombreuses violations des droits de l’homme occasionnées par ce projet, pourtant encouragé par le gouvernement hondurien. Car d’après un décompte de l’ONG Global Witness en début d’année, le Honduras reste le pays le plus dangereux au monde pour les défenseurs de l’environnement : 111 assassinats entre 2002 et 2014 (sans compter le meurtre de Berta Cáceres en 2016), et 3.000 cas d’usage indu du droit pénal (diffamation, harcèlement judiciaire) contre des militants entre 2010 et 2014. « Ce projet est emblématique de ce qui se passe au Honduras, explique à Reporterre Marion Cadier, qui a corédigé le rapport de la Fidh. Sous prétexte de sortie des énergies fossiles, on y construit des barrages hydroélectriques ne respectant ni l’environnement ni les droits des populations. »

Dans la région de San Francisco, les quelque 7.000 personnes qui pourraient être affectées par le barrage se battent depuis 2001. D’après une enquête réalisée par la Fidh auprès de 280 foyers, 95 % des habitants se sont prononcés contre. Principal argument : ils craignent que la construction de l’installation, en amont du fleuve Cuyamel, n’occasionne des défrichements massifs — et donc un risque accru de glissement de terrain — ainsi qu’une pollution de la rivière qui représente leur principale source d’approvisionnement en eau potable. « Le barrage pourrait diminuer significativement le débit en eau, alors que le fleuve est parfois à sec, et certains craignent même une possible privatisation de l’eau potable », précise Marion Cadier. En effet, Cuyamel II ne sera pas un barrage public : c’est la Compania de Energia de San Francisco (Conersa) qui le finance. « L’eau de la rivière sert pour tout ici, explique au téléphone Maria Isabel Cubides, qui assure le lien avec les communautés locales à la Fidh. Pour boire, se laver, irriguer, abreuver le bétail. »

Un marché juteux donc, dans lequel s’engouffrent des investisseurs plus ou moins douteux 


D’une capacité relativement faible, de 3 MW, le projet hydroélectrique pourrait néanmoins avoir des conséquences très néfastes sur le parc national Pico Bonito, à travers lequel coule le fleuve Cuyamel, l’une des principales réserves de biodiversité du Honduras. « Ce parc est le deuxième plus grand du pays, et il figure parmi les dix aires prioritaires pour la conservation de la biodiversité, s’indigne Maria Isabel Cubides. Ce projet est contraire à la législation et les études d’impact environnemental ont été mal faites, sans consulter les populations locales. » Absence de participation citoyenne, falsification des signatures de responsables politiques, irrégularités… tous les ingrédients d’un passage en force sont réunis.


Malgré les risques et l’opposition, le gouvernement hondurien a pourtant ouvert toutes les vannes juridiques et financières afin de faciliter la construction de Cuyamel II. Depuis une dizaine d’années, notamment depuis le coup d’État de 2009, « on assiste à une régression en matière de réglementation environnementale, explique Marion Cadier. Et ce, pour favoriser le secteur énergétique. » Pour réduire la part des énergies fossiles de 42 % aujourd’hui à 20 % en 2038, l’État ne lésine pas sur les moyens, notamment la dérégulation. Permis de construire des barrages dans des aires protégées, assouplissement des études d’impact environnemental. Tout est fait pour rendre ces projets rentables et attractifs pour les investisseurs étrangers : un barrage comme Cuyamel II coûte 3 millions de dollars, investis par la Conersa. Mais celle-ci récupérera ce montant au bout de 7 ans, en vendant l’énergie produite au réseau Enee (Empresa Nacional de Energia Electrica), qui détient le monopole de la distribution d’électricité.


« De surcroît, plusieurs organismes internationaux, comme la Banque interaméricaine de développement ou la Banque mondiale, financent ce type de projet d’énergie renouvelable, en accordant des prêts, au motif de lutte contre le changement climatique », s’exaspère Marion Cadier. Un marché juteux donc, dans lequel s’engouffrent des investisseurs plus ou moins douteux. Ainsi, la Conersa est détenue à 95 % par Green Inc. une mystérieuse holding enregistrée au Panama. Les 5 % restants appartiennent à Elsia Paz, directrice de Energy Solutions Partners, principale figure du lobby en faveur des énergies renouvelables et proche du président actuel. « Elle est très agressive contre les défenseurs de l’environnement, et intervient régulièrement dans les médias pour dénigrer le travail des ONG », précise Marion Cadier.

L’armée hondurienne restreint l’accès au site 


Malgré tout, le projet Cuyamel II, sans cesse retardé, peine à voir le jour. La Conersa se heurterait, de son propre aveu, à deux obstacles principaux : le manque d’investisseurs, sans doute refroidis par la mauvaise réputation du projet, et l’opposition des autorités locales (maires) sans lesquelles il est impossible de lancer les travaux. En attendant, l’armée hondurienne restreint l’accès au site, au grand dam des habitants.


Mais, un de ces verrous pourrait bien sauter à la faveur des élections générales, prévues pour la fin de l’année 2017. « Les conseils municipaux pourraient être remplacés par de nouveaux élus, plus favorables à Cuyamel II, craint Maria Isabel Cubides. De plus, les investisseurs et les autorités nationales se font plus agressifs envers nous, car ils craignent que nos rapports et nos campagnes de dénonciation ne viennent décrédibiliser le gouvernement actuel. »


C’est pourquoi Marion Cadier espère que le rapport de la Fidh convaincra les financeurs internationaux de se retirer de ce barrage hydroélectrique. Début juin, trois institutions investies dans le barrage d’Agua Zarca, contre lequel se battait Berta Cáceres ont officiellement mis un terme à leur soutien de 4,4 millions de dollars.