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À Barcelone, la mairie alternative tâche de maîtriser le tourisme qui chasse les habitants

20 Juillet 2017

Il y a deux ans, Ada Colau, une militante du droit au logement, et le mouvement Barcelona en Comú s’installaient à la mairie de Barcelone. Les activistes qui les ont portés au pouvoir hésitent entre impatience et compréhension face aux difficultés à mettre en œuvre les réformes.
Barcelone (Espagne), reportage
On l’a surnommée la maire « indignée » de Barcelone, nom du mouvement citoyen qui a occupé les places d’Espagne au printemps 2011 pour protester contre les politiques d’austérité et la corruption et exiger une meilleure démocratie. Deux ans après son arrivée à la tête de la capitale catalane, Ada Colau, ancienne porte-parole et fondatrice de la Plateforme des victimes du crédit hypothécaire (PAH), doit lutter constamment pour tenir ses engagements. « C’est une femme intelligente qui a même un petit côté punk. Mais sa position n’est pas facile, car elle doit composer avec un héritage politique impossible à liquider en quelques mois », dit Efraín Foglia, chercheur et membre du réseau internet autogéré Guifi.
Les objectifs de la plateforme citoyenne Barcelona en Comú (Barcelone en commun) sont ambitieux : arrêt des expulsions et création de logements sociaux, lutte contre les inégalités et la gentrification, moralisation et transparence de la vie politique. De belles promesses, qui se heurtent à une réalité politique complexe, car Ada Colau est loin d’avoir obtenu la majorité, avec seulement 11 conseillers sur 41 sièges. Dès lors, il n’est pas évident d’appliquer les réformes tant attendues, notamment sur la question du droit au logement.
La précarité des logements est indubitablement liée au tourisme

Juste à côté de la place d’Espagne se trouve le local de la Plateforme des victimes du crédit hypothécaire (PAH). Chaque lundi, entre 70 et 100 personnes s’y retrouvent pour échanger leur expérience d’une expulsion, d’un retard de paiement ou de difficultés bancaires. Si l’assemblée était à ses débuts principalement composée de propriétaires, ils sont désormais une majorité de locataires, pris à la gorge par l’inflation des loyers.

Car la spéculation n’a pas disparu malgré l’arrivée de Barcelona en Comú. En trois ans, les prix ont grimpé en moyenne de 24 % et l’administration locale ne possède pas les compétences nécessaires pour réguler les loyers, qui dépendent de l’État espagnol et de la région catalane. « Il y a eu des efforts de réalisés, notamment la mise en place d’une structure de médiation pour trouver des solutions lorsqu’une famille ne peut plus payer ses dettes », explique Carlos Macías, le porte-parole de la PAH. Il estime que 120.000 logements sociaux sont nécessaires rien qu’à Barcelone. Pour y pourvoir, la mairie a demandé un crédit de 125 millions d’euros à la Banque européenne d’investissement afin d’enrichir le parc locatif public de 18.500 appartements d’ici à dix ans. 750 appartements ont déjà été mis sur le marché ces deux dernières années. Carlos Macías croit cependant que la construction de nouveaux édifices n’est pas forcément une solution et propose plutôt de réquisitionner les logements vides : 88.000 rien qu’à Barcelone, soit 11 % du parc immobilier de la ville. La mairie fait son possible : fin 2016, quatre amendes pour un montant total de 315.000 euros ont été infligées aux propriétaires d’appartements vacants. « C’est encore trop peu et surtout très symbolique », déplore Carlos Macías.

La problématique de la précarité des logements est indubitablement liée à celle du tourisme. En effet, l’engouement des voyageurs du monde entier pour la capitale catalane chasse les habitants des quartiers historiques du centre-ville vers les périphéries. La mairie tente d’agir avec les moyens légaux à sa disposition. En novembre 2016, elle a condamné la plateforme de location Airbnb à une amende de 600.000 euros pour des annonces illégales, sans que cela ne suffise pas à apaiser la colère des habitants. À Sants, quartier proche de la gare, des collectifs organisent régulièrement des manifestations pour dénoncer « l’invasion » touristique. Dans le quartier populaire et festif de Gràcia, les autocollants et les tags hostiles aux touristes pullulent sur les murs.
Pour tenter d’enrayer le phénomène, Ada Colau a lancé un plan spécial d’urbanisation (le PEUAT) encadrant strictement la construction et l’ouverture de nouveaux établissements hôteliers. Une mesure qui a déclenché la colère de ses opposants. « L’autre soir, à la télévision, des politiciens de l’opposition accusaient Ada Colau de faire obstruction à la liberté d’entreprendre et de priver la ville d’une ressource essentielle : le tourisme. Mais moi, je suis bien d’accord avec elle. J’aurais même été plus sévère », s’exclame Joan Costa Mayoral, bénévole au centre de Can Batlló.
Cette ancienne usine est devenue il y a six ans un espace social et d’activités pour les habitants du quartier, où sont installés une trentaine d’associations : pépinières pour des entreprises de l’économie sociale et solidaire, ateliers Fablab, compagnies artistiques, collectifs militants… Ce lieu était pourtant voué à la destruction, en vue d’y construire des appartements de luxe. Mais plusieurs semaines d’occupation et d’intense mobilisation citoyenne en ont assuré la préservation. Sur une photo prise pendant les journées d’occupation, Joan Costa Mayoral désigne un militant devenu depuis conseiller au logement au sein de Barcelona en Comú.
La plateforme citoyenne s’est en effet nourrie des militants de collectifs et d’associations, souvent issus du mouvement des Indignés — aussi appelé le 15-M. Emma Avilés, une militante de différents collectifs, comme la Plateforme d’audit citoyen de la dette (PACD), explique : « Nous avons perdu beaucoup de collègues et amis militants, qui sont aujourd’hui dans les institutions. » À Can Batlló, Joan Costa Mayoral préfère garder ses distances avec ses anciens camarades désormais à la mairie pour éviter d’être dépendant d’une future alternance politique. Pas question non plus d’accepter des subventions pour les activités du lieu, toujours dans un souci d’indépendance.

Le son de cloche est le même du côté de la Coopérative intégrale catalane pour qui un soutien financier irait à l’encontre de l’esprit d’autonomie revendiqué depuis sa création. La coopérative tente de générer un système économique alternatif pour couvrir les nécessités basiques des citoyens, en marge du capitalisme, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la consommation. « Nous sommes une boîte à outils, une sorte d’expérimentation sociale pour promouvoir l’autogestion avec des outils juridiques, informatiques, financiers », explique Daniel, l’un des membres. Après avoir tenté de mettre en place un centre social de santé, il concentre aujourd’hui son attention sur la monnaie sociale baptisée « ecos », dont il espère élargir le périmètre d’usage.
Remunicipalisation des services publics 

La question de la remunicipalisation des services publics, notamment dans le domaine de l’énergie, est également au cœur des préoccupations de Barcelona en Comú. Car le taux de pauvreté énergétique — les clients ne pouvant pas payer leurs factures — atteint 17 % en Espagne. Ces six dernières années, le prix de l’électricité a progressé de 70 % et les Espagnols paient ainsi la facture la plus chère d’Europe. Une situation qui révolte Alfons Perez, membre du réseau pour la sobriété énergétique (Xse) en Catalogne, qui plaide pour l’instauration d’un droit minimum à l’énergie face aux entreprises privées, en situation d’oligopole. Son réseau milite pour la remunicipalisation de la distribution de l’électricité, mais aussi des autres services de base. Un premier pas sera fait avec Barcelona Energia, une future compagnie d’électricité publique, qui garantira à 20.000 familles un accès à l’énergie. Alfons Perez rêve d’aller encore plus loin : « Avec 1,6 million d’habitants, Barcelone est une ville puissante, capable de faire pression sur les entreprises énergétiques, bien plus que ne le peut un petit village. Nous pourrions inspirer d’autres métropoles dans le reste du monde. »

Inspirer d’autres villes, c’était justement l’ambition du sommet international municipaliste Fearless Cities (« les villes sans peur »), organisé par Barcelona en Comú les 9 et 11 juin dernier. L’objectif était de réunir militants, associatifs et journalistes du monde entier « défendant les droits de l’homme, la démocratie et le bien commun (…) pour permettre aux mouvements municipaux de construire des réseaux mondiaux de solidarité et d’espoir face à la haine, aux murs et aux frontières ». Ada Colau et toutes ses équipes en ont profité pour mettre en avant les « grandes victoires » du mouvement, résumées sur une carte interactive. Selon une enquête parue fin mai dans le journal El Periodico, la maire militante reste au plus haut dans les sondages. Ses administrés, patients, lui laissent encore du temps pour accomplir toutes ses promesses.