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Derrière la grippe aviaire, une multiplication mondiale des pandémies animales

7 Janvier 2017


La grippe aviaire se développe dans le sud-ouest de la France. Mais cette crise est le symptôme d’un phénomène encore plus grave : la multiplication mondiale des épizooties, les pandémies animales. En cause : la mondialisation des échanges, la destruction des forêts, et l’industrialisation de l’agriculture.
Grippe aviaire, fièvre catarrhale ovine, rage. Tandis que des centaines de milliers de canards sont abattus dans le sud-Ouest, l’ouest du pays frémit face à une résurgence de la maladie de la langue bleue. Et en Corée du Sud, 18,4 millions de volatiles ont été tués afin d’endiguer l’épidémie de grippe. De l’autre côté du globe, quelque 26.000 vaches ont été mises en quarantaine en Alberta (Canada) pour cause de tuberculose bovine. Bref, nos animaux ne vont pas bien.
« Que ce soit au niveau de l’élevage ou de la faune sauvage, on mesure un accroissement des épidémies et maladies », observe Thierry Pineau, chef du département Santé animale à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique). Virus, bactéries, parasites. Aucun animal ni aucune région du monde ne semble épargné. Comment expliquer une telle recrudescence ? Avec Thierry Lefrançois, chercheur au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), M. Pineau a listé les principaux facteurs de propagation des maladies. Mauvaise nouvelle : l’Homme y est pour beaucoup.
« Le rôle de l’expansion et l’intensification de l’agriculture a été prouvé, notent-ils. Les changements dans les pratiques et l’alimentation du bétail ont mené à de systèmes d’élevage intensifs, marqués par un recours fréquent aux antibiotiques et antiparasitaires, une densité très forte des animaux, des conditions d’élevage sous-optimales, et un déclin dans la diversité génétique ». Résultat : des élevages fragilisés et vulnérables aux maladies.
« Le virus de la grippe aviaire s’est propagé à travers le monde par la faune sauvage, mais le développement sur nos territoire est dû à des systèmes d’élevage très spécialisés – entre ceux qui démarrent, ceux qui font le “prêt à gaver”, ceux qui gavent – avec des mouvements d’animaux importants, ce qui augmente les risques de propagation, explique à Reporterre Josian Pallach, éleveur bovin et secrétaire nationale à la Confédération paysanne. C’est l’industrialisation de la production qui provoque et amplifie les crises sanitaires. »
En décembre, Reporterre vous racontait comment l’élevage industriel et intensif favorisait la propagation de cette maladie.

La mondialisation des échanges facilite les pandémies
Un élevage industriel de poules.
Autre facteur déterminant, la mondialisation des échanges. « Le développement des transports, de denrées ou de personnes, facilite la diffusion des agents pathogènes », indique M. Pineau. Ainsi, il est fort probable que la ré-émergence de la fièvre catarrhale ovine ait été engendrée par l’arrivée sur les marchés néerlandais de palettes très bien empaquetées (et donc non-traitées aux insecticides) de fleurs provenant de zones d’endémie de la maladie.
De même, « les emprises croissantes sur les milieux sauvages, comme la déforestation ou l’urbanisation, ouvrent de nouvelles zones de diffusion, poursuit le chercheur. Dans la zone nouvellement ouverte, on met des animaux en pâture. Ils constituent d’excellents intermédiaires pour des agents pathogènes zoonotiques [qui passent d’un animal à l’autre, ndlr], qui étaient auparavant restreints dans les forêts et à la faune sauvage ». Naguère cantonné aux chauve-souris, le virus Ebola a ainsi « surgi » à cause de la déforestation en Afrique.
Enfin, le dérèglement climatique aurait une influence déterminante. « On commence à établir des liens formels entre changement climatique et changement de répartition des zones de prévalence des maladies », détaille Thierry Pineau. Une espèce de tiques originaire du sud de la Russie a par exemple été retrouvée en Camargue. Or cette tique peut véhiculer le virus Crimée-Congo, qui provoque une fièvre hémorragique comme Ebola. En Turquie, l’infection a déjà provoqué des décès humains. C’est une source d’inquiétude pour les scientifiques : « Avec le réchauffement, il y a une remontée de vecteurs. Les moucherons Culicoides vecteurs de la fièvre catarrhale se trouvent désormais plus au Nord, jusqu’au Danemark, et à des altitudes plus élevées qu’auparavant. »
Un meilleur contrôle des maladies

Mais l’augmentation des épidémies est aussi lié à de meilleures capacités de surveillance et de contrôle. « Grâce à l’amélioration des techniques de séquençage, les chercheurs sont capables de détecter plus vite et plus précisément la circulation d’agents pathogènes, nuance Thierry Pineau. Par exemple, ils ont découvert des tiques dans l’est de la France porteurs de virus qu’on ne soupçonnait pas sur le territoire européen. » Le thermomètre est plus performant et mieux diffusé… et permet donc de décompter plus de cas d’infection.
Peut-on ainsi espérer endiguer les maladies animales ? Difficile à dire, mais le chercheur n’est pas optimiste : « Il est presque impossible de se prémunir absolument contre les virus ou les bactéries. Malgré les réussites de gestion des risques et des épidémies, on enregistre toujours des cas de rage importés en France. Et les virus de grippe sont très bien organisés pour créer de la diversité de la variabilité. » Ils changent d’une année sur l’autre, d’un continent à l’autre : en Corée du Sud, c’est la grippe aviaire H5N6 qui sévit, tandis qu’en France, il s’agit de la version H5N8. Et même si ces maladies ne sont pas toutes transmissibles aux êtres humains, on ne peut pas exclure l’apparition de versions mutées dangereuses pour nous.
Autre source d’inquiétude, la déstabilisation politique de nombre de pays. En Syrie ou au Mali, la santé publique vétérinaire n’est plus une priorité. Ces Etats deviennent des zones vulnérables, des maillons faibles pour la circulation des virus.
Alors que faire ? « Il faut repenser nos systèmes d’élevage, soutient Josian Pallach. Relocaliser l’agriculture et l’économie, réorganiser les modes de production afin de limiter les échanges d’animaux, développer des unités de production plus petites, et moins spécialiser les zones pour éviter les concentrations. »

Alerte ! Les bactéries sont de plus en plus résistantes
Une vache atteinte de la fièvre aphteuse.
« Pour réduire les parasites des petits ruminants, on pourrait imaginer une gestion différenciée des pâtures, avec rotation et parcellisation des surfaces, note Thierry Pineau. Des études ont montré qu’on pouvait garder la même productivité en diminuant par cinq le niveau parasitaire, mais c’est une organisation gourmande en temps humain. » Certains compléments alimentaires riches en substances tanniques comme le sainfoin permettent d’augmenter la résistance des troupeaux aux parasites… et si on utilise moins d’antiparasitaires, ils sont plus efficaces.
Car c’est la dernière, mais peut-être la plus importante, des menaces sur la santé animale : « L’antibiorésistance est une véritable épidémie », observe Thierry Pineau. En Asie du Sud-Est notamment, la résistance des bactéries aux médicaments se développe à un rythme inquiétant, en lien avec des usages inconsidérés des antibiotiques. « Plus on utilise ces substances, plus on exerce une pression de sélection qui favorise l’émergence de bactéries et virus résistants, explique-t-il. Il faut utiliser moins de médicaments, mais mieux. »
Si les Pays-Bas, le Danemark et la France ont mis en place des mesures de réduction des antibiotiques, qui fonctionnent, l’incertitude plane de l’autre côté de l’Atlantique. « Les Etats-Unis semblaient disposés à entrer dans une boucle vertueuse de diminution, mais la nouvelle administration Trump va-t-elle valider cette politique ? Là-bas, les antibiotiques sont très répandus, ils peuvent encore être utilisés comme promoteurs de croissance. »