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Le Tafta et le Ceta menacent l’élevage européen, expliquent des expertes américaines

15 Décembre 2016


Le Tafta et le Ceta, les traités de libre-échange que l’Union européenne négocie avec les États-Unis et le Canada, vont gravement porter préjudice à l’élevage du Vieux Continent, selon deux chercheuses nord-américaines. Elles prévoient un nivellement par le bas des réglementations, au détriment de l’environnement, du bien-être animal et de l’emploi.
Rapports sous le bras et argumentaire affûté, la canadienne Sujata Dey et l’états-unienne Sharon Treat font la tournée des capitales européennes. Leur but : convaincre gouvernants et citoyens des méfaits des accords de libre-échange pour nos agricultures. Après Budapest, Bruxelles et Berlin, elles ont fait un passage éclair à Paris, mardi 6 décembre, dans une salle cossue de l’Assemblée nationale.
« Contrairement à ce que certains semblent croire, le Tafta et le Ceta sont toujours d’actualité », rappelle Thomas Borell, des Amis de la Terre. L’ONG coorganise la rencontre avec le CIWF (ONG dédiée au bien-être des animaux de ferme), la Confédération paysanne et Foodwatch. « Rien ne permet de dire actuellement que Donald Trump renoncera au Tafta », précise Sharon Treat. La chercheuse à l’Institute for Agriculture and Trade Policy se montre même inquiète : « Ses conseillers agricoles viennent tous d’industries pharmaceutiques et de firmes agro-industrielles favorables à ce traité. » Côté Ceta, « l’heure est à la bataille de la ratification au Parlement européen », souligne Thomas Borell. L’entrée en vigueur de l’accord provisoire est prévue pour le 1er mars 2017.
Longtemps resté dans l’opacité des couloirs bruxellois, le Ceta est sorti du bois à la suite du baroud du Parlement wallon fin octobre. « Je suis venue ici pour vous expliquer pourquoi le Canada est une menace pour vous », commence Sujata Dey. Avec le Conseil des Canadiens, elle suit depuis plusieurs décennies les questions de commerce international. Elle vient de publier un rapport qui montre « les dangers des traités commerciaux pour la qualité des aliments et la sécurité alimentaire ». « Nous avons des modèles agricoles très différents, le nôtre est bien plus concentré et industriel… mais aussi bien plus compétitif que le vôtre. »
 « Du fait de normes moindres, nous produisons de la viande 25 % moins chère que la vôtre »

Depuis la signature de l’Alena (le traité de libre-échange États-Unis/ Canada/ Mexique) en 1994, près de 45 % des fermes familiales ont disparu. « Nous ne sommes plus des petits fermiers dans des cabanes colorées au bord de lacs magnifiques », ironise-t-elle. Au Canada, les fermes-usines sont aujourd’hui la norme : la taille moyenne d’une exploitation est de 420 ha, contre 55 ha environ en Europe. 50 % de la production agricole est le fait de 5 % des fermes. Concentration des élevages, recours systématique aux antibiotiques, usage fréquent d’hormones de croissance. « Du fait de normes sanitaires, sociales et environnementales moindres, nous produisons de la viande 25 % moins chère que la vôtre », poursuit Mme Dey.
Le pays leader du sirop d’érable est aussi le troisième producteur d’OGM — 70 % du maïs canadien est transgénique — et le numéro un de la maltraitance animale : « Nous sommes le pire pays de l’OCDE en ce qui concerne les conditions d’élevage. Par exemple, il est possible de transporter des animaux sans eau ni nourriture pendant 72h. »
Même son de cloche de l’autre côté de la frontière nord-américaine. 90 % des éleveurs de porcs indépendants ont disparu en deux décennies. En 2012, la taille moyenne des élevages était de 166.000 poulets. « Les grandes firmes agro-industrielles tiennent les agriculteurs, souligne Sharon Treat. Elles contrôlent toute la filière, du champ à l’assiette, et peuvent donc imposer leurs prix et leurs normes. » 60 % des aliments transformés vendus dans la grande distribution contiennent des OGM, notamment du soja et du maïs. « Et l’étiquetage et la traçabilité n’existent quasiment pas, ou ils sont très vagues. » Comme au Canada, ces pratiques industrielles contribuent à produire des produits carnés et laitiers à un plus bas prix qu’en Europe.
L’objectif : éliminer peu à peu les barrières non tarifaires 

Or, la baisse des droits de douane prévue par le Tafta et le Ceta « rendra les produits européens à base de viande encore moins concurrentiels, augmentant la pression sur l’UE pour adopter des pratiques industrielles moins disantes dont les coûts environnementaux et sanitaires seront supportés par la société ». Telle est la conclusion d’un rapport corédigé par Sharon Treat et publié en juillet dernier. Son titre est sans équivoque : « Élevage à vendre : comment le Tafta brade nos fermes à l’industrie de la viande. » « Le Ceta prévoit l’abaissement ou la suppression de 94 % des droits de douane », rappelle à ce propos Aurélie Trouvé, maître de conférence à Agro Paris-Tech. À l’exception de la volaille, les produits carnés, laitiers ainsi que l’alimentation animale sont tous concernés par cette libéralisation tarifaire. L’arrivée massive de viande nord-américaine — surtout des morceaux « nobles », mal valorisés outre-Atlantique — menacent directement la survie des éleveurs européens. « On s’attend à une baisse de nos revenus de 30 à 50 % », estime Marine Colli, de l’Interbev, l’interprofession du bétail et des viandes.
Outre l’abaissement des droits de douane, les traités de libre-échange prévoient une « coopération réglementaire » accrue. L’objectif : éliminer peu à peu les barrières non tarifaires, en « harmonisant » — autrement dit, en assouplissant — les normes sanitaires, environnementales, sociales. « Là où il y a de grandes différences entre les réglementations, les normes les plus protectrices (et souvent les plus coûteuses à mettre en place) sont en danger », souligne le rapport de Sharon Treat, qui prévoit un nivellement par le bas des réglementations, au détriment de l’environnement, du bien-être animal et de l’emploi.
Les indications géographiques (IGP en France) pourraient également être concernées par cet « assouplissement ». « Seulement 10 % des IGP seront protégées aux termes du Ceta, observe Sujata Dey. Et le traité autorise les Canadiens à vendre des versions de produits protégés s’ils sont accompagnés d’expression comme “sorte” : par exemple, ils pourront vendre du fromage “de type feta”, sans respecter le cahier des charges de la feta. » Mais le Ceta menace également les éleveurs canadiens, comme l’avait raconté Reporterre.