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Le Brésil prend un tournant négatif sur l’environnement et la déforestation

22 Décembre 2016


Le gouvernement conservateur brésilien, en place depuis six mois, relègue au second plan les préoccupations environnementales. La déforestation repart à la hausse après des années de baisse spectaculaire.
São Paulo (Brésil), correspondance
La plus grande puissance économique d’Amérique du Sud a pour habitude de se présenter comme un « bon élève » lorsqu’il s’agit de lutte pour le climat. En effet, le Brésil n’est responsable que de 2,48 % des émissions globales (se plaçant comme le 7e plus grand émetteur de CO2 de la planète), des chiffres plus flatteurs que ceux des autres puissances, telles que la Chine, les Etats-Unis ou l’Union européenne. Par ailleurs, gardien du plus grand massif forestier de la planète qu’est l’Amazonie, le Brésil a ralentit la déforestation : entre 2004 et 2012, le déboisement a diminué de 27.700 km² par an à 4.500 km² par an, selon l’Institut national des études spatiales brésilien. Une baisse surtout effectuée lors des mandats présidentiels de Lula da Silva (2003-2011), notamment grâce à la création de zones de conservation et de réserves indigènes, mais aussi grâce au système de compensation carbone mis en place par l’ONU et le Fonds Amazonie. Enfin, son mix énergétique, fondé en grande partie sur l’hydroélectricité, explique ces émissions relativement limitées. Ce discours d’« autosatisfaction » a encore été tenu, le mois dernier à Marrakech, par la délégation brésilienne lors de la conférence sur les changements climatiques, la COP22.
L’agriculture et l’élevage étant critiqués pour leurs responsabilités dans les taux d’émissions de gaz à effet de serre, le ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Approvisionnement, Blairo Maggi, y était venu défendre une agriculture « proclimat ». Pour sa première grande intervention diplomatique depuis sa nomination en mai au sein du gouvernement conservateur de Michel Temer, il a tenté de vendre, aux diplomates et aux investisseurs, le Brésil comme un modèle en matière de préservation des ressources naturelles, forestières et hydriques. « L’agriculture brésilienne est l’une des plus respectueuses de l’environnement. Nous avons les lois environnementales les plus strictes du monde concernant l’usage de la terre et de l’eau », a-t-il argumenté.
Michel Temer, le président brésilien, a remis à Ban Ki-moon, le secrététaire général des Nations unies, le document de la ratification de l’Accord de Paris par son pays, en septembre, à New York.
Ces affirmations, venant d’un des représentants les plus puissants de l’agro-industrie, celui qui a été surnommé « le roi du soja », sont en partie inexactes. Il est vrai que les secteurs les plus gourmands en terres, comme la production de soja et l’élevage, ont changé leurs méthodes. Un moratoire sur le soja, débuté il y a 10 ans, a permis de faire évoluer le secteur et de diminuer drastiquement la déforestation en Amazonie, ce que même Greenpeace salue. Les éleveurs bovins, eux aussi, ont pris leurs responsabilités, même s’il reste encore de la route à faire, selon l’ONG de défense de l’environnement.
Des signaux contradictoires envoyés aux producteurs agricoles 

Pourtant, les chiffres de la déforestation sont repartis à la hausse depuis deux ans. Le dernier recensement a annoncé une augmentation de 29 % par rapport à 2015.



La position du ministre est ambivalente, à l’image de celle de nombreux dirigeants brésiliens, tiraillés entre le besoin de développer l’économie du pays et celui de préserver les richesses naturelles (du moins en apparence). Ancien producteur de soja, gratifié par Greenpeace en 2005 d’une « tronçonneuse d’or » pour son rôle dans la déforestation, Blairo Maggi fut aussi plus tard, paradoxalement, un de ceux qui ont contribué à freiner drastiquement l’avancée des terres agricoles sur la forêt primaire. Mais pas sans arrière-pensée.
Entré en politique comme gouverneur du Mato Grosso, il persuada d’abord les autres planteurs de soja d’adopter des méthodes plus intensives qu’extensives et demanda aux acheteurs de boycotter le soja provenant de zones de déforestation illégales. Il offrit également des crédits à ceux qui acceptaient de replanter sur leurs terres. Dans cet État grand comme 1,5 fois la France, la déforestation chuta alors de près de 87 %. En 2010, il devint sénateur et contribua à étendre ces mesures à tout le Brésil. Cependant l’amnistie garantie à ceux qui ont déjà rasé des hectares par milliers contribue à envoyer des signaux contradictoires aux producteurs agricoles.
Blairo Maggi, le minsitre brésilien de l’Agriculture.
M. Maggi est un fermier-entrepreneur-milliardaire. La famille Maggi est à la tête de l’entreprise Amaggi, le premier producteur de soja au monde, et aurait accumulé une fortune de 1,8 milliard de dollars, d’après le magazine Forbes. Blairo Maggi est aujourd’hui l’un des hommes les plus riches du Brésil. Pragmatique, il avait compris que l’agriculture doit prendre soin de son image pour se développer. « Blairo Maggi, comme beaucoup de producteurs, craignait que des marchés se ferment en raison de préoccupations environnementales. Ils ne souhaitaient pas être associés à la déforestation illégale », raconte Daniel Nepstad, ancien directeur de l’Institut de recherches environnementales d’Amazonie (Ipam), qui a observé de près l’évolution de Maggi sur ces questions.
« Les énergies fossiles continuent de recevoir trois fois plus d’aides que les énergies renouvelables » 

Et voilà qu’aujourd’hui, en tant que ministre de l’Agriculture, adoubé par la bancada ruralista (les rangs des parlementaires favorables à l’agrobusiness, qui représentent le tiers des élus), dans la suite logique de son action, il demande une sorte de retour sur investissement pour les cultivateurs. « Les efforts de nos producteurs devraient être compensés à ce titre en obtenant des avantages préférentiels sur les marchés mondiaux », a-t-il déclaré à Marrakech.
Le Brésil est-il aussi vertueux en termes de politique climatique, que semblent le penser ses dirigeants ? « C’est un discours très faux. En vérité, le climat n’est pas une priorité. Les politiques continuent de regarder en arrière et non vers le futur. Les énergies fossiles continuent de recevoir trois fois plus d’aides que les énergies renouvelables. Nous avons un potentiel solaire et éolien immense, et ce sont en plus des secteurs prometteurs en termes d’emploi et de création de valeur », analyse Carlos Rittl, le secrétaire exécutif de l’Observatoire du climat, qui rassemble une quarantaine d’ONG brésiliennes.
Déforestation dans le Matto Grosso, en 2007.
Concernant la déforestation, les spécialistes observent un désengagement de l’État qui ne dit pas son nom. En effet, entre 2011 et 2014, le gouvernement de Dilma Rousseff aurait réduit ses financements de 72 %, laissant au Fonds Amazonie (alimenté par des capitaux étrangers à travers le système onusien Redd+ [1]), la plus grosse responsabilité de la mission du contrôle des ressources forestières.
« La prise de décision favorise les intérêts immédiats » 

Malgré l’économie en récession depuis un an et demi, Carlos Rittl estime que le gouvernement ne manque pas de ressources pour lutter en faveur du climat. « Ce qu’il manque, c’est une stratégie. » On fait des annonces, on alloue des budgets, « mais il n’y a pas, ensuite, de mise en œuvre des ressources et ça manque de transparence ». Certes, le Brésil s’est bien doté d’une politique de réduction des GES (le Plano ABC, pour « agriculture bas carbone »), qui soutient par exemple l’agroforesterie ou la revalorisation des pâturages. « Mais seulment 1,6 % des aides de la politique agricole de soutien à l’agriculture familiale bénéficient au plan ABC. Tandis que près de 88 % des ressources sont attribuées à des projets qui n’ont pas de critères clairs », déplore Carlos Rittl.
Un pâturage dans le Matto Grosso du Sud, la principale région d’élevage du Brésil.
Le manque de vision stratégique s’observe également dans l’attitude d’une grande partie des députés qui soutiennent le projet d’assouplissement des règles de certifications environnementales. L’arrivée au pouvoir, avec Michel Temer, de ministres et de conseillers toujours plus proches des intérêts de l’industrie, de l’agrobusiness, des activités minières et énergétiques, alarme les défenseurs de l’environnement. Ce projet d’assouplissement prévoit de faire sauter les verrous que peuvent constituer les normes de protection relatives à la protection de l’environnement et des populations locales, dans le cas de « grands travaux stratégiques » (routes, barrages, production minière ou d’énergie…).
« C’est la preuve, encore une fois, que la prise de décision favorise les intérêts immédiats », souligne-t-on du côté des ONG. C’est aussi le risque de voir se multiplier des catastrophes comme à la mine de Mariana ou des conflits à propos des barrages hydroélectriques et, surtout, de voir des hectares de forêts continuer à être défrichés pour faire place à ces infrastructures.


[1] Pour Reducing Emmissions from Deforestation and Degradation, soit « réduction des émissions de gaz à effet de serre causées par le déboisement et la dégradation des forêts ».