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La DGSI a saisi le matériel informatique d’un militant antinucléaire de Greenpeace

21 Décembre 2016


Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace, a vu son domicile de Cherbourg perquisitionné par la Direction générale de la sécurité intérieure, et tout son matériel informatique embarqué. Il dénonce une volonté d’intimider les lanceurs d’alerte.
« Quarante ans que je suis dans la maison et je n’ai jamais vu ça. » Joint au téléphone lundi 19 décembre au soir, Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France et membre de la CLI (commission locale d’information) Areva-La Hague, n’en revenait toujours pas. Mardi 13 décembre, à 8 h du matin, son domicile de Cherbourg (Manche) a été perquisitionné par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). « Ils sont sortis de deux berlines noires venues de Paris, ils ont mis leurs brassards “Police” et ils ont embarqué l’ensemble des supports numériques de la maison — téléphones, ordinateurs, disques durs, cartes SD, etc. » décrit le militant. Tout a été saisi, « y compris des disques durs étiquetés photo de famille. Nous l’avons très mal pris, c’est une violation de notre vie privée ».
Ce n’est que vendredi 16 décembre, quand la DGSI lui téléphone pour lui demander différents mots de passe, que M. Rousselet en apprend un peu plus sur les motifs de cette perquisition : « Il s’agit d’une enquête du parquet de Paris qui fait suite à une plainte de Christophe Quintin [chef du service de défense, de sécurité et d’intelligence économique du ministère de l’Environnement, haut fonctionnaire de défense et de sécurité adjoint] et du général Christian Riac [général de brigade, chef du département de la sécurité nucléaire du ministère de l’Environnement], dit-il à Reporterre. J’ai été perquisitionné dans le cadre d’une procédure de compromission du secret de la défense. »

Une information démentie par le général Riac. « Ni M. Quintin ni moi n’avons déposé plainte contre M. Rousselet, affirme-t-il. À ce stade, nous n’avons pas vocation à vous dire qui a porté plainte contre lui. Si nous avons un mandat pour communiquer, nous reviendrons vers vous. »
« On tente de faire peur aux lanceurs d’alerte »

Est coupable de ce délit quiconque prend connaissance « d’un procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier qui présente le caractère d’un secret de la défense nationale », le détruit, le soustrait, le reproduit et/ou le porte à la connaissance du public. Il est alors passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende, conformément à l’article 413-11 du Code pénal. Mais, même si des informations classées secret défense étaient découvertes dans le matériel informatique de M. Rousselet, il ne serait pas automatiquement coupable.
« Encore faut-il savoir que l’information est classée, précise Me Alexandre Faro, l’avocat de Greenpeace. Certes, les documents peuvent être tamponnés “secret défense”, mais les autres supports ne le sont pas forcément. Ainsi, depuis les années 2000, les camions transportant du plutonium entre La Hague et Marcoule sont classés et l’on ne peut pas les photographier. Mais comment distinguer un camion secret défense de transport de plutonium d’un camion de transport d’oranges ? Or, il n’y a pas de délit sans intention de commettre un délit. »


Yannick Rousselet en novembre 2014, lors d’une audition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques consacrée aux drones et à la sécurité des installations nucléaires.
Pour M. Rousselet, l’incompréhension est totale. « Pourquoi maintenant ? Pourquoi chez moi et pas à mon bureau de Cherbourg ou au siège de Greenpeace à Paris ? Dans mon parcours, j’ai connu des moments très chauds, notamment quand nous nous intéressions au transport de matières radioactives. C’est moins le cas aujourd’hui, où nous travaillons plutôt sur les comptes d’EDF et le chantier de l’EPR de Flamanville. » Le militant antinucléaire soupçonne une « manière de [l’] intimider » : « Nous recevons régulièrement des infos dans notre boîte aux lettres sur ce qui se passe dans les centrales. Le risque est réel qu’on tente de faire peur aux lanceurs d’alerte. »
Cette crainte est partagée par Me Faro. « Nous avons l’impression qu’ils n’ont rien de précis à lui reprocher. Cela ressemble à un poker menteur : ils essaieraient de trouver, dans le matériel perquisitionné, de quoi remplir un dossier encore vide. » Plus généralement, l’avocat remarque que, « depuis la COP21, une tendance à stigmatiser les mouvements environnementaux, à les prendre pour cibles de procédures-bâillons, à user du moindre prétexte pour aller fouiller dans leurs affaires et les terroriser. On dégaine très vite les armes lourdes pour tuer les mouches, c’est assez malsain ». Exemple, lors du blocage du siège d’EDF par des militants de Greenpeace vendredi 16 décembre, « quatre militants qui avaient inscrit des messages à la craie et à la peinture sur la façade de l’immeuble ont été retenus 48 heures en garde à vue pour “dégradations graves en réunion”, alors que les messages pouvaient être effacés d’un coup de torchon », dénonce Me Faro. Ils seront jugés dans quelques semaines.
Yannick Rousselet devrait, lui, être convoqué dans les bureaux de la DGSI à Levallois en janvier.