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Malgré l’accord de Paris, les projets émetteurs de CO2 se multiplient en France et dans le monde

11 Novembre 2016

L’accord de Paris sur le climat est entré en vigueur le 4 novembre, moins d’un an après sa signature. Mais les projets émetteurs de gaz à effet de serre ont le vent en poupe. Leur réalisation rendrait impossible de limiter le réchauffement à moins de 2 °C.
En signant l’accord de Paris, en décembre 2015, une année qui a vu la concentration de gaz à effet de serre dépasser un record historique, les pays du monde entier se sont engagés à « maintenir l’augmentation de la température mondiale bien en dessous de 2 degrés Celsius et à mener des efforts encore plus poussés pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels. » 
En juillet dernier, un rapport de Oil Change International démontrait, à partir de chiffres provenant des industries elles-mêmes, que rien que la production actuelle, ou en cours de développement, de pétrole, gaz et charbon, suffit déjà pour porter la température mondiale bien au-delà de 2°C. La mise en production de nouvelles réserves, que ce soit par fracturation pour le gaz, le forage pétrolier ou le charbon, est donc bien un sabordage de la planète et des engagements signés à Paris et ratifiés. 
Les pays producteurs se dédouanent en invoquant le mode de calcul adopté par le protocole de Kyoto, et repris par l’accord de Paris, qui ne comptabilise que les émissions et pas la production. Seuls les pays consommateurs sont responsables des émissions. Les projets continuent donc, mines de charbon, autorisations de construire de nouveaux oléoducs ou terminaux pour le gaz et le pétrole de schiste, lancements de travaux pour des autoroutes… Le même rapport d’Oil change international constate (p. 9) que 14.000 milliards de dollars vont être injectés durant les vingt ans à venir dans les investissements dans de nouveaux forages, mines et infrastructures de transports !
« Il est judicieux d’avoir un étalement dans le temps de ces principes » 

Tous ces projets sont mauvais pour le climat. En voici quelques exemples :
En France, François Hollande annonçait, dans son discours d’ouverture de la conférence environnementale, en avril dernier, vouloir encourager la production d’électricité de sources renouvelables (éolien, solaire…), par une surtaxe au courant électrique produit par les centrales alimentées en énergies fossiles (charbon, fioul et gaz), appelée « taxe charbon ». Mais le 20 octobre dernier, lors des débats sur la loi de finances 2017 à l’Assemblée nationale, Christian Eckert, secrétaire d’État au Budget, a répondu aux députés PS Serge Bardy et Jean-Paul Chanteguet, qui proposaient d’assujettir la production d’électricité à partir de charbon à la taxe intérieure sur la consommation (Ticc), « qu’il est judicieux d’avoir un étalement dans le temps de ces principes ». L’amendement a été abandonné, et tant pis pour les promesses du président et les réjouissances post COP21.
De surcroit, la Commission européenne a autorisé la France à appliquer un “mécanisme de capacité”, mesure très technique mais qui permet de subventionner les capacités de production électriques dont… les centrales à charbon.
Les grands projets, fondés sur l’augmentation de la production de pétrole, sont nombreux en France. La concession de l’autoroute A45 (Lyon-Saint-Étienne) a construire a été déclarée le 20 avril, deux jours avant la signature à New York de l’accord de Paris. Le Grand Contournement ouest de Strasbourg a été relancé par le gouvernement, qui veut l’achever en 2020. Et, en avril dernier, les pétroliers se sont réunis pour le Sommet international sur les forages en haute-mer, le MCEDD, à Pau, fief de Total — suscitant la manifestation de 500 activistes climatiques. 
Le centre scientifique et technique Jean-Féger, à Pau, dans les Pyrénées-Atlantiques.
La Grande-Bretagne contredisait dès la mi-décembre 2015 sa signature de l’accord de Paris en attribuant 95 nouveaux permis de recherche de pétrole et de gaz de schiste à 47 compagnies. Ces permis ne sont pas une autorisation automatique de forer, mais les députés britanniques, prévoyants, ont voté au même moment la possibilité de fracturation dans le sous-sol des parcs nationaux et autres sites protégés.
Au même moment, la secrétaire d’État au Changement climatique, Amber Rudd, annonçait une réduction de 65 % des subventions aux énergies renouvelables. Mais les abattements fiscaux pour les compagnies pétrolières et gazières en mer du Nord restent, eux, généreux tout comme ceux des entreprises de fracturation.
« Le rôle du charbon dans le développement du monde » 

Deux mois après la COP21, l’Australie, l’un des plus gros pollueurs du monde, annonçait vouloir limiter la recherche sur le climat, supprimant notamment 350 postes de chercheurs pour financer des solutions « plus concrètes ». Malcolm Turnbull, Premier ministre, et Mathew Canavan, ministre des Mines, continuent de parler du « rôle du charbon dans le développement du monde » et de « l’importance des industries fossiles pour l’Australie ».
En février 2016, le gouvernement du Queensland, un État australien, a accordé à l’entreprise indienne Adani un permis environnemental puis, en avril, trois baux miniers pour la mine Carmichael, qui sera la plus grande du monde si elle se construit. Elle devrait exporter son charbon vers l’Inde et d’autres pays. En août 2016, lors du premier procès ayant pour thème les responsabilités dans « l’exportation du changement climatique », le tribunal fédéral australien a débouté la Fondation australienne pour la Conservation (ACF), qui demandait que soit pris en considération l’impact sur le réchauffement et sur la Grande Barrière de corail des 4,6 milliards de tonnes d’émissions prévues. Il y a en ce moment neuf projets de mégamines de charbon dans le bassin de Galilée, qui, ensemble, constituent le second développement de carburant fossile proposé après l’Ouest de la Chine. Pour l’instant, seul le prix trop bas du charbon empêche ces projets de démarrer.
Des opposants à la mine australienne de charbon Carmichael, en avril 2016, à Melbourne. Les opposants estiment que ce projet ruinerait le corail de la Grande Barrière.
Quelques bonnes nouvelles, cependant : la centrale à charbon d’Hazelwood, propriété d’Engie, vient d’être fermée. Cette centrale était la plus polluante du pays. Par ailleurs, la compagnie pétrolière BP a renoncé à chercher du pétrole dans la Grande Baie australienne.
En Chine, Pékin avait annoncé des mesures visant à réduire la dépendance du pays au charbon, qui a effectivement diminué, et il y a même maintenant surproduction. Malgré cela, on a recensé 14 nouveaux projets de centrales électriques au charbon dans dix provinces différentes et mai 2016, a été le mois le plus intense pour les nouvelles demandes d’ouverture.
Les parcs nationaux ne sont pas épargnés 

Début septembre, le président Obama et son homologue chinois, Xi Jinping, dirigeants des deux plus gros pays pollueurs du globe, ont ratifié ensemble en grande pompe, les accords de Paris, en marge du G20. Mais sous quel président des États-Unis y a-t-il eu la plus forte augmentation de la production nationale de pétrole dans l’histoire du pays ? Sous Obama. Elle a doublé, passant de 5 millions de barils/jour à 9,4 millions. Les constructions d’oléoducs se poursuivent, malgré le médiatique véto présidentiel du Keystone XL en février 2015 [1]. D’après le rapport de Oil Change International publié en juillet 2016, 19 pipelines sont en projet, qui transporteraient environ 400 millions de m3 de gaz de schiste par jour, des champs d’extraction en Pennsylvanie, en Ohio et Virginie occidentale vers d’autres États, de la Louisiane à New York, ce qui est incompatible avec les buts fixés par la COP21, et dépasse aussi les limites légales états-uniennes.
Même les parcs nationaux ne sont pas épargnés. Le 27 juillet dernier, des groupes environnementaux ont attaqué en justice le National Park Service qui a accordé un permis d’exploration à une compagnie pétrolière, dans le parc naturel national du Big Cypress, en Floride.
Paysage de la Big Cypress National Preserve, en Floride, aux États-Unis d’Amérique. Le parc est le lieu d’habitat de la panthère de Floride et une réserve d’eau douce majeure pour les habitants du sud de l’État.
Enfin, le Dakota du Nord est le siège depuis avril du plus grand rassemblement des nations autochtones dans l’histoire états-unienne moderne. Ils sont venus lutter contre la construction du Dakota Access, un oléoduc de près de 2.000 km de long.
Un mégaterminal pétrolier à l’embouchure de la deuxième plus grande rivière à saumon du Canada 

Au Canada aussi les peuples premiers se battent. Les Lax Kw’alaams ont refusé en mai dernier un milliard de dollars offert par la compagnie pétrolière Petronas, de Malaisie. Elle voulait obtenir leur approbation du mégaterminal pétrolier Pacific NorthWest LNG, à l’embouchure de la deuxième plus grande rivière à saumon du Canada, sur leur territoire traditionnel en Colombie-Britannique. Ce refus s’est transformé on ne sait pas exactement comment en approbation. 90 scientifiques et experts climatiques avaient même écrit une lettre à Justin Trudeau, lui demandant de rejeter ce projet. À la fin du mois de septembre, Justin Trudeau l’a approuvé avec, tout de même, 190 clauses de précautions à respecter, dont un plafond des émissions de gaz ; elles pourraient faire reculer Petronas.
Presque simultanément, début octobre, M. Trudeau annonçait que son gouvernement mettrait en place, d’ici à 2018, une taxe carbone. Il rencontrera début décembre les Premiers ministres des États, pour la plupart opposés à la taxe. Elle est cependant trop basse pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre du gouvernement canadien. 
Par ailleurs, selon le Wilderness Committee, l’énorme barrage Site C, dont la construction a commencé fin 2015 sur la rivière Peace, a pour but non pas comme le dit son constructeur, BC Hydro, de fournir de l’énergie à la Colombie-Britannique, mais serait une subvention déguisée de 8 milliards de dollars d’argent public aux futures industries extractives, qui ont besoin d’énergie bon marché. 
En Russie, le Premier ministre, Dmitri Medvedev, a annoncé que les exportations de charbon devraient se maintenir en 2016 au niveau de 2015. La Russie est le 6e producteur mondial de charbon, après l’Indonésie, l’Australie, l’Inde, les États-Unis et la Chine. Le président Vladimir Poutine a, lui, lancé la production d’un nouveau champ de pétrole le 21 septembre dernier. La veille, la production de pétrole russe avait atteint le niveau record de 11,75 millions de barils par jour. 
Une note optimiste cependant : un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) d’octobre dernier a révélé que la capacité de production d’électricité des énergies renouvelables a dépassé celle du charbon, avec 1.969 gigawatts pour les premières contre 1.951 gigawatts pour le charbon.
LE FANTASME TECHNOLOGIQUE DE LA CAPTURE ET DU STOCKAGE DU CARBONE

Les professionnels de la lutte contre le changement climatique, scientifiques et experts, ne cessent d’avertir que les mesures prises doivent être effectives le plus tôt possible, car le réchauffement climatique s’accélère. 
Pour nous rassurer, l’accord de Paris invoque le concept d’« émissions négatives », la capture et le stockage du carbone (Beccs, pour Bio-energy with Carbon Capture and Storage), comme si ces techniques étaient déjà opérationnelles, ce qui n’est pas le cas. Plusieurs études, dont la dernière en date, réalisée par Biofuelwatch, ont minimisé les promesses des Beccs, car ces technologies risquent, à grande échelle, de contribuer aux émissions liées aux modifications dans l’affectation des terres [2].
Par ailleurs, la mise en place à grande échelle de plantations forestières en monoculture et de cultures bioénergétiques destinées au captage et au stockage du carbone nécessiterait le double des terres arables dont dispose la planète.
En septembre dernier, le Global Forest Coalition (GFC) a mis en garde lui aussi contre les promesses de compenser le carbone en plantant des forêts industrielles, qui ont un effet dramatique sur la biodiversité.
La seule solution raisonnable pour réduire les émissions est d’arrêter les subventions aux industries extractives (5.000 milliards de dollars par an, l’équivalent de 9,5 millions de dollars chaque minute) pour cesser l’extraction des combustibles fossiles, de stopper la déforestation, de changer les modes de transport et de transformer l’agriculture industrielle.


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[1] Obtenu sous la pression des écologistes, ce véto a été attaqué en arbitrage au nom du traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis par TransCanada, la compagnie initiatrice du projet.
[2] Lire notamment Almuth Ernsting et Oliver Munnion, « Last-ditch climate option or wishful thinking ? Bioenergy with Carbon Capture and Storage », Biofuelwatch, 2015.