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Le blocus de Gaza et la destruction de son économie avaient commencé bien avant la prise de pouvoir du Hamas

30 Octobre 2016

La fermeture graduelle de Gaza [par l’armée d’occupation] a commencé en 1991, lorsque Israël a annulé le permis de sortie général qui permettait à la plupart des Palestiniens de se déplacer librement dans les territoires palestiniens occupés. Depuis ce moment, la fermeture […] est devenue pratiquement hermétique.

[Les tentatives des “flottilles” successives pour forcer le blocus maritime de la Bande de Gaza] ont attiré l’attention sur ce que les Nations Unies et les organisations de défense des droits humains ont dénoncé comme une violation de la 4ème Convention de Genève, qui proscrit les punitions collectives visant des civils.

Selon le gouvernement israélien – et la plupart des médias dominants – le blocus a commencé en 2007, à la suite de la prise du pouvoir par le Hamas dans la Bande de Gaza. Le but principal de cette “guerre économique” était d’affaiblir le Hamas, une organisation qui avait pourtant bénéficié un temps du soutien d’Israël [1]. Israël cherchait aussi à mettre fin aux tirs de roquettes et à obtenir la libération de Gilad Shalit, soldat israélien qui avait été fait prisonnier à Gaza en 2006.

La destruction méthodique de l’économie de Gaza a plus de 25 ans
La destruction méthodique de l’économie de Gaza par Israël a commencé il y a plus plus de 30 ans
Après quatre ans, aucun de ces objectifs n’avait été atteint. Israël avait cependant engrangé une victoire mineure. Même ceux qui se montrent critiques à propos de son action se réfèrent à 2007 comme la date de départ du blocus, ce qui involon­taire­ment apporte une relative légitimité aux explications israéliennes quant à une relation de cause à effet entre les événements politiques et le blocus.

Pourtant, le blocus n’a pas commencé en 2007, et n’a pas fait suite à la prise de pouvoir du Hamas dans la Bande de Gaza. Il n’a pas davantage commencé en 2006, avec les sanctions économiques israéliennes contre Gaza. La fermeture hermétique de Gaza est le point culminant d’un processus qui a commencé 20 ans auparavant.

Le début des bouclages punitifs

Sari Bashi est la fondatrice et le directeur de Gisha, une ONG israélienne qui défend la liberté de mouvement des Palestiniens. Elle affirme que le bouclage progressif de Gaza a débuté en 1991, quand Israël a annulé le permis de sortie général qui autorisait la plupart des Palestiniens à se déplacer librement en territoire israélien et dans les territoires palestiniens occupés. Les résidents de Gaza et de la Cisjordanie qui n’étaient pas Juifs devaient obtenir un permis individuel.

C’était pendant la première intifada [2]. Même si la seule mention du mot “intifada” éveille dans l’imaginaire occidental l’image d’attentats-suicides à la bombe, il est important de rappeler que la première intifada fut, dans une large mesure, une insurrection non-violente, dans laquelle la désobéissance civile, les grèves, et le boycott des marchandises israéliennes ont tenu un rôle majeur.

Une vague de violence s’est cependant produite, en 1993. C’est alors, explique Sari Bashi, qu’Israël a commencé à fermer temporairement certains points de passage, refusant l’accès même à ceux qui étaient porteurs d’un permis. Dès lors que l’écrasante majorité des Palestiniens n’étaient pas, et ne seront jamais, des candidats pour commettre un attentat-suicide, ceci constituait une punition collective touchant toute une population en raison des actes de quelques uns, préfigurant la nature du blocus qui allait suivre.

Au fil du temps, d’autres faits ont suggéré qu’on évoluait vers un blocus hermétique, à caractère punitif. Au début de la seconde intifada, en septembre 2000, les étudiants palestiniens se sont vus interdire de voyager entre Gaza et la Cisjordanie [3], dit Sari Bashi. D’une manière générale, la liberté de circulation entre les deux parties des territoires palestiniens occupés a été soumise à des restrictions sans cesse plus strictes.

Les exportations de Gaza ont sévèrement souffert en 2003, en raison de la fermeture sporadique du point de passe de Karni. Alors que selon Israël son “désengagement” [4] de Gaza a marqué la fin de l’occupation, en réalité elle a conduit à restreindre toujours plus étroitement les déplacement à la fois de la population et des marchandises. Et, en 2006, le petit nombre d’habitants de Gaza qui travaillaient encore en Israël se virent interdire l’entrée du territoire israélien, de sorte qu’ils ont perdu leur emploi à un moment où le territoire de Gaza était soumis à une pression économique toujours croissante.

A Gaza aujourd’hui l’économie a été détruite. Le taux de chômage est de près de 50% [ATTENTION : chiffre de 2011 ! Des données plus récentes figurent notamment ICI – NDLR], et huit habitants palestiniens de Gaza sur dix sont dépendants de l’aide humanitaire. Les hôpitaux manquent de fournitures. Les personnes atteintes de maladies chroniques ne peuvent pas toujours obtenir un permis de sortie, ce qui peut signifie la mort faute de pouvoir se faire soigner. Les étudiants sont parfois confrontés à l’impossibilité de rejoindre leur université. Les familles ont été brisées. Certains psychologues affirment que l’intense pression créée par le blocus – qui a été aggravée durant l’opération “Plomb Durci” – est à l’origine d’accès de violences domestiques, de divorces, de suicides et d’abus de stupéfiants.

Ça ne s’arrête pas aux frontières de Gaza

Les conséquences du blocus ne s’arrêtent pas aux frontières de Gaza. Lorsque les restrictions de déplacements ont commencé, en 1991, certains travailleurs journaliers palestiniens ont été empêchés de rejoindre leur poste de travail en Israël. Et cela se situe à une époque où Israël, déjà dépendant d’une main d’œuvre à bas coûts, avait commencé à émettre des visas pour des migrants venant d’Europe de l’est et d’Asie du sud-est.

En 2009, le même état qui imposait un blocus sévère, pratiquement hermétique, à Gaza, avait annoncé son intention d’expulser 1.200 enfants nés en Israël de travailleurs immigrés, ainsi que leurs parents. Les ONG ont protesté avec force contre cette violation grossière des droits humains élémentaires.

Mais la ligne du gouvernement israélien est que ces gens devaient être expulsés car ils étaient “illégaux” (et qu’importait que la Cour suprême israélienne ait condamné cette politique qui faisait perdre leur statut légal aux mères, affirmant qu’il s’agissait d’une violation de la loi israélienne elle-même). Les politiciens les moins malhonnêtes sur ce sujet ont admis qu’il s’agissait de minimiser la “menace démographique” pour Israël [5].

Le message porté à la fois par le blocus et les par les expulsions est le même : l’un et l’autre servent à illustrer que les privilèges dont jouissent les Juifs israéliens sont aux dépens des droits humains de quiconque est considéré comme “autre”.

La crise des réfugiés

Bien entendu, si vous demandiez à des gazaouis à quand remontent les restrictions de la liberté de mouvement, certains pourraient bien remonter encore plus loin dans le temps. Ils pourraient par exemple rappeler qu’une ordonnance de 1984 interdisait aux agriculteurs de planter à des fins de commercialisation des arbres fruitiers sans autorisation préalable du gouverneur militaire israélien. Dans une analyse irréfutable du processus de dé-développement de la Bande de Gaza voulu par Israël, le Dr Sara Roy avait mise en évidence en 1987 que pour certains agriculteurs palestiniens l’obtention d’une telle autorisation prenait 5 ans ou davantage.

Alors qu’à l’époque les habitants de Gaza étaient encore en mesure de se déplacer et d’entrer et sortir de la Bande de Gaza, leur capacité à vivre librement de leur travail sur leur terre avait été sérieusement restreinte, ainsi que l’était leur économie. Selon le Dr Roy, l’occupation avait rendu la Bande désespérément dépendante d’Israël et vulnérable à ses fluctuations économiques comme aux caprices de ses dirigeants politiques. L’occupation avait aussi créé un marché captif, un dépotoir commode pour des produits israéliens.

Mais, ainsi que l’a souligné le Dr Roy, les malheurs de l’économie de Gaza n’avaient pas commencé avec l’occupation. Ils ont commencé avec le soudain afflux inattendu de réfugiés palestiniens en 1948.  La Bande de Gaza était à cette époque essen­tiel­lement agricole, explique-t-elle, et la richesse était fortement concentrée entre les mains d’une petite minorité. Pour le dire simplement, il n’y avait pas assez pour tout le monde.

Les organisateurs des “flottilles” ont souligné leur volonté de tenter de contester le blocus israélien de Gaza, mais si on décortique le blocus lui-même, cela met en évidence des questions urgentes auxquelles il faut trouver des réponses : le statut des réfugiés, les effets désastreux et implacables de plus de 40 ans d’occupation, et le total manque de respect d’Israël pour les droits humains des non-Juifs. Et c’est là une discussion que le gouvernement israélien veut qu’aucun d’entre nous n’entame.