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Fachos, antisémites et nazis mal repentis, les amis pas très fréquentables d’Israël

24 Novembre 2016

La désignation par Donald Trump de Steve Bannon, qui ne fait pas mystère de son idéologie raciste, et à peine de son antisémitisme,  sème le trouble dans de vastes secteurs de l’opinion, d’autant que dans le même temps circulent des vidéos où l’on voit des néo-nazis étatsuniens – promptement rebaptisés, pour ne pas dire “blanchis”, sous l’euphémisme “alt-right” par des médias plus que complaisants – qui fêtent avec enthousiasme la victoire de leur champion : “Heil Trump”.

Et les moins déstabilisés ne sont pas ceux qui, à l’instar du chroniqueur de Haaretz, Gideon Levy, constatent que les milieux du pouvoir israélien et leurs soutiens inconditionnels aux États-Unis (à commencer par le lobby AIPAC) – ordinairement si prompt à accuser quiconque leur déplaît d’antisémitisme et à s’en indigner le plus bruyamment possible – s’accommodent fort bien de l’antisémitisme de Bannon :

« Et voilà que tout d’un coup ce n’est pas si terrible d’être antisémite. Soudain, c’est excusable, pour peu que vous haïssiez les musulmans et les Arabes et bien entendu si vous “aimez Israël”. Les Juifs et la droite israélienne ont accordé une amnistie générale aux amoureux antisémites d’Israël. Oui, ils existent, et ils sont sur le point de prendre le pouvoir aux États-Unis. […] Les antisémites étatsuniens d’extrême-droite ne sont plus considérés comme des antisémites.

La définition a été mise à jour : à partir de maintenant, il n’y a plus d’antisémites qu’à gauche. Roger Waters, un homme courageux à la conscience sans tache, est un antisémite. Steve Bannon, qui proclame ouvertement son racisme mais reste plus discret quant à son antisémitisme, qui a été désigné comme “stratège en chef” à la Maison Blanche de [Donald] Trump, est un ami d’Israël.

Les militants juifs et Israéliens, qui ont retourné chaque pierre dans leurs campagne pour découvrir le moindre signe d’antisémitisme, qui ont considéré chaque amende de stationnement infligée à un Juif comme un acte de haine, qui ont retourné ciel et terre à chaque fois qu’un Juif a été cambriolé ou qu’une pierre tombale juive était cassée, se livrent maintenant au blanchiment d’antisémite. […]

Alan Dershowitz, qui est un des propagandistes principaux dans ce domaine, a déjà pris la défense du raciste Bannon. Dans un article de Haaretz, la semaine dernière, Alan Dershowitz affirme que l’homme dont la femme a expliqué que son mari ne voulait pas que leur enfant aille à l’école avec des enfants juifs n’est pas antisémite. “Cette affirmation a été formulée par son ex-épouse dans le cadre d’une procédure judiciaire, il ne faut donc pas lui donner un poids particulier”, écrit Dershowitz, faisant preuve d’une logique spécieuse. […]

L’ambassadeur d’Israël à Washington, Ron Dermer, s’est évidemment empressé de se joindre à la fête. Durant le week-end, il a déclaré qu’il espère bien travailler avec Bannon. Après tout, ils seront d’accord sur tout : que le peuple palestinien n’existe pas, que l’occupation n’existe pas, que la colonie de Yitzhar doit demeurer à jamais, que les gens de gauche sont des traîtres.»

Gideon Levy assure que Bannon ne souffrira pas de la solitude dans les milieux du pouvoir aux États-Unis, puisqu’il y côtoiera des personnages comme Franck Gaffney, un islamophobe notoire promis aux plus hautes fonctions dans l’administration Trump. Tout comme Mike Huckabee, et pas mal d’autres.

« Ces racistes et leurs pareils sont les meilleurs amis d’Israël aux États-Unis. Ils sont rejoints par les racistes de la droite européenne. Si vous faites abstraction du sentiment de culpabilité concernant l’Holocauste, ce sont les seuls amis qui restent à Israël. Dès lors que l’amitié envers Israël n’est plus jugée que sur base du soutient à l’occupation, Israël n’a aucun ami, hormis des racistes et des nationalistes. Cela devrait provoquer une grande honte ici [en Israël] : dis-nous qui sont tes amis, et je te dirai qui tu es. »

Israël pas très regardant sur le choix de ses “amis” :
pas vraiment une nouveauté

On comprend l’émotion et la colère que suscitent les premier choix du prochain Président des États-Unis. Mais s’étonner ou s’indigner de voir les dirigeants israéliens nier le racisme et/ou l’antisémitisme de certains sympathisants d’extrême-droite c’est faire preuve d’une mémoire défaillante ou sélective.


Après la deuxième guerre mondiale, les puissances occidentale ne firent pas la fine bouche devant l’arrivée au pouvoir en Afrique du Sud de personnages directement issu d’un mouvement paramilitaire nazi, l’“Ossew Brandwag” créé par Hans van Rensburg en 1939. “Ossew Brandwag”, financé et armé par l’Allemagne nazie, a mené en Afrique du Sud un certain nombre d’actions violentes et d’espionnage au profit de l’Allemagne hitlérienne. Parmi les terroristes les plus actifs de cette organisation, membre de son état-major, se trouvait John Balthazar Vorster, qui deviendra (après un très court séjour dans une prison britannique pour activités pronazie) une des principales personnalités du parti national-socialiste sud-africain, qui arrivera au pouvoir en 1948.

Une autre figure éminente de ce parti était Hendrik Frensch Verwoerd, dont la première manifestation publique fut – en compagnie de cinq autres professeurs de l’Université de Stellenbosch – de réclamer l’expulsion des Juifs arrivés en Afrique du Sud afin de fuir les persécutions nazies en Allemagne. Après un passage par le journalisme [1] Verwoerd fut Ministre de l’Intérieur sud-africain de 1950 à 1958, date à laquelle il devint Premier ministre.

La politique de Verwoerd, très favorable à Israël, fut très appréciée à Tel Aviv, et lorsque «en octobre 1966, le Professeur Abrahams, grand rabbin sioniste d’Afrique du Sud, fit l’éloge funèbre du Premier ministre sud-africain Verwoerd, il le présenta comme un homme sincère, d’une profonde intégrité, un homme dont la conscience morale avait inspiré toute sa politique, et qui fut le premier à avoir donné à l’apartheid un fondement moral [2]»

Les élections législatives sud-africaines du 26 mai 1948 furent remportées par des groupes qui avaient étroitement collaboré avec le IIIème Reich, et qui avaient fait campagne “contre le danger noir”, “pour la défense de la race blanche”. Ils se hâtèrent d’adopter une loi interdisant les mariages mixte… bien inutile puisque le pouvoir colonial britannique avait édicté depuis 1927 un “Immorality Act” qui interdisait les mariages entre Blancs et non-Blancs, ainsi que les “rapports interraciaux” !

En 1966, un autre Premier ministre succède à Verwoerd : l’ancien terroriste de “Ossew Brandwag” Balthazar Vorster, qui conservera ce poste jusqu’en 1978 pour devenir alors Président de la république.

Bien d’autres ancien sympathisants hitlériens peuplèrent les allées du pouvoir sud-africain pendant toutes ces années, sans que les puissances occidentales y virent le moindre inconvénient.

Mais venons-en aux relations historiquement privilégiées entre Israël et l’Afrique du Sud de l’apartheid, décrites par Rosa Amelia Plumelle-Uribe, qui démontrent que la “compréhension” dont les sionistes font preuve vis-à-vis de l’inquiétant entourage de Trump n’est ni bien neuve ni vraiment étonnante [3]  :

L’État d’Israël, dont les dirigeants fondent leur légitimité sur le prix payé par les victimes de la barbarie nazie, est représentatif de cette difficulté idéologique qui, jusqu’à présent, n’a pas permis de tirer d’Auschwitz les leçons qui en découlent. Cette légitimité provenant directement de la destruction des Juifs d’Europe permit au gouvernement israélien d’empocher l’argent versé par la République fédérale d’Allemagne à titre de réparations officielles. Cette donnée rend assez malaisée l’étude des différentes prises de position de l’État d’Israël, par l‘intermédiaire de ses gouvernants qui n’ont jamais renoncé à se présenter comme les ayants droit des victimes de la Shoah.

Les membres de la communauté juive sud-africaine, dont beau­coup arrivèrent en fuyant les persécutions racistes de l’Allemagne nazie, découvrent, après 1948, à quelques exceptions près (d’autant plus remarquables qu’elles sont rares) qu’à bien y réfléchir la politi­que officielle de ségrégation raciale, lorsqu’elle ne frappe que les non-Blancs, peut avoir un « fondement moral », pour reprendre les mots du professeur Abrahams, grand rabbin d’Afrique du Sud. [voir plus haut – NDLR]

Les dirigeants de l’État d’Israël prirent la responsabilité de fournir au régime de Prétoria l’aide militaire et technologique nécessaire au bon fonctionnement de l’apartheid. Dans le même temps, la communauté juive sud-africaine pesait de tout son poids auprès des organisations sionistes internationales pour solliciter leur bienveillante compréhension vis-à-vis des anciens collaborateurs du IIIe Reich. En échange, le gouvernement de l’apartheid, par une dérogation spéciale au règlement des devises [4], autorisa la commu­nauté juive sud-africaine à effectuer un transfert de fonds considérable, tous les ans, vers Israël par l’intermédiaire de la fédération sioniste d’Afrique du Sud. Tout est négociable.

D’aucuns qualifièrent ce choix de realpolitik parce qu’il permit à « la communauté juive la plus riche du monde en termes de revenu per capita, de contribuer à la cause d’Israël plus que toute autre communauté juive, y compris la communauté américai­ne [5] ». Lors de la guerre israélo-arabe de juin 1967, par exemple, le soutien financier à Israël dépassa la communauté juive sud-africaine « puisqu’il provenait aussi de l’ensemble de la commu­nauté blanche d’Afrique du Sud […], la fédération sioniste d’Afrique du Sud envoya plusieurs dizaines de millions de dollars recueillis en quelques jours [6] ». Et pendant la guerre de 1973, le soutien du régime d’apartheid à l’État d’Israël fut encore supérieur. «Bien que le chiffre ne fût pas révélé, les différents médias sud-africains indiquèrent que le montant collecté et trans­féré en Israël aurait été supérieur à 30 millions de dollars [7]. »

L’ensemble de la presse juive sud-africaine évita soigneusement de critiquer la ségrégation raciale institutionnalisée par les fascistes sud-africains. Dans le même temps, les organisations sio­nistes, devenues des instruments de propagande au service de l’apartheid, décidèrent que « la communauté juive devrait adopter des mesures pour expliquer la position de l’Afrique du Sud aux Juifs à l’étranger aussi bien que dans le pays [8] ».

En fait, il s’agissait de ratifier une position déjà défendue depuis longtemps par les sionistes sud-africains. Par exemple, lors de la huitième conférence internationale de l’Union mondiale du judaïsme progressiste qui eut lieu en juillet 1953, à Londres, le rabbin M.C. Weiler, qui parlait au nom de la communauté juive sud-africaine, expliqua avec une certaine impudence : « Les Juifs en tant que communauté ont décidé de ne pas prendre position sur la ségrégation anti-noire, parce qu’ils sont encore engagés dans le soutien des Juifs des autres pays. Les Juifs d’Afrique du Sud ont fait plus pour Israël qu’aucun autre groupe. La communauté ne peut pas demander au gouvernement sud-africain la permission de transférer des fonds et des marchandises, et dans le même temps critiquer la politique de ce gouvernement [9]. »

Même sans l’explication du rabbin Weiler, il n’est pas compliqué de comprendre que si les sionistes sud-africains et l’État d’Israël se sont aussi profondément impliqués dans le soutien au régime d’apartheid, ce n’est pas seulement à cause de leur affinité idéologique, mais pour des considérations économiques, politiques et stratégiques qui rendaient le partenariat intéressant pour les deux parties. Nous savons que si les nazis trouvèrent autant de partenaires en Allemagne, en Autriche et ailleurs, c’est parce que leur politique était à même d’apporter des réponses concrètes et satisfaisantes, dans un premier moment, à des secteurs très larges de la population. Les seules motivations idéologiques ne sont pas toujours suffisantes pour maintenir les engagements.

En tout cas, les liens tissés entre l’État d’Israël et les anciens complices de l’Allemagne hitlérienne devinrent plus serrés et des personnalités israéliennes haut placées se rendirent assez souvent au pays de l’apartheid. En octobre 1969, c’est Ben Gourion qui y reçoit un accueil chaleureux : « Il fit l’éloge des supériorités de la technique israélienne d’expulsion de la population indigène et déclara que, si elle avait été appliquée par la communauté sud-africaine, elle aurait “garanti l’Afrique du Sud contre toute subver­sion intérieure” [10]. » La visite du père fondateur de l’État d’Israël en Afrique du Sud au beau milieu du règne des anciens nazis sud-africains est pour le moins saisissante. D’abord parce que Ben Gourion eut toujours la prétention de parler au nom du « judaïsme mondial », et surtout parce qu’il se battit bec et ongles pour faire valoir que l’État d’Israël « restait habilité à parler au nom de l’ensemble des victimes du génocide [11] ».

Lorsqu’il fut question de juger Eichmann, certains Juifs de la diaspora exprimèrent le souhait de le voir traduit devant une cour internationale de justice plutôt que par un tribunal israélien. Par exemple, le président du Congrès juif mondial, Nahum Goldmann, après avoir dit que le droit d’Israël à juger Eichmann ne faisait aucun doute, ajouta « qu’étant donné qu’Eichmann et les nazis n’ont pas exterminé exclusivement des Juifs, il faudrait inviter les nations qui comptent des victimes du nazisme parmi leurs citoyens à être représentées par leurs propres juges, le président du tribunal devant être un Israélien et le procès devant se dérouler en Israël ? ».

La réaction de Ben Gourion à cette proposition est significative du rôle qu’il s’attribuait par rapport aux victimes juives de la barbarie nazie. Dans une lettre ouverte adressée à Goldmann, il écrit: « Quelles qu’aient été vos intentions, la publication de votre proposition, adressée à l’opinion publique internationale, porte un coup brutal à la sensibilité des gens en Israël (et pas seulement en Israël), ainsi qu’à l’honneur du pays [12]. »

Pour Ben Gourion, le droit d’Israël à juger Eichmann corres­pondait à son statut de représentant, sinon de propriétaire, de la mémoire des victimes d’Auschwitz. C’est ce qui ressort aussi de la lettre qu’il adressa à Proskauer, président honoraire du Congrès juif américain, qui lui avait envoyé un courrier accompagné d’un éditorial du Washington Post alléguant qu’Israël n’était pas habilité à parler au nom des Juifs des autres pays : « L’État juif (qui a pour nom Israël) est l’unique héritier des six millions de Juifs assassinés et pour ces millions-là, qui se considèrent comme les enfants du seul peuple juif, l’attitude du Washington Post est insoutenable. S’ils avaient vécu, la majeure partie d’entre eux seraient venus en Israël [13]. Le seul procureur légitime pour ces millions de morts, c’est Israël. Pour des raisons de justice historique, il est du devoir du gouvernement de l’État juif, dont les fondations reposent sur ces millions de Juifs qui souhaitaient par-dessus tout sa création, de juger leurs assassins [14]. »

Cette volonté des dirigeants israéliens de se présenter devant l’opinion publique internationale et devant l’histoire comme les uniques héritiers des six millions de Juifs assassinés aurait été plus crédible si, dans le même temps, ils n’avaient pas tissé avec d’anciens nazis l’alliance raciste israélo-sud-africaine qui fit de l’État israélien le plus courageux allié du régime d’apartheid.

Ce marchandage éhonté au nom des victimes est inadmissible et le respect dû à leur mémoire aurait été mieux préservé si des Juifs de la diaspora, par l’intermédiaire de leurs organisations, avaient exprimé haut et fort leur désaccord avec les compromissions racistes de l’État d’Israël et leur opposition à le voir faire de la Shoah un instrument politiquement rentable. Cette démarche (qui n’eut malheureusement pas lieu) aurait dissipé la confusion entre sionisme et judaïsme. Il y eut néanmoins la voix solitaire de quelques Juifs particulièrement courageux, antisionistes militants, qui dénoncèrent l’atteinte portée au judaïsme par l’État d’Israël à travers cet amalgame.

Les affaires sont les affaires

Ainsi, le peuple noir sud-africain, dont les chefs en 1939 n’avaient pas hésité à se ranger du côté des puissances alliées, se trouva à partir de 1948 soumis à la domination raciale des anciens nazis sud-africains, livré par les puissances à côté desquelles tant de Noirs se sont battus et, comble d’ironie, livré aussi par ceux-là même qui en furent les victimes les plus visées. Les Noirs avaient de quoi se demander ce que Hitler avait fait de particulier.

L’ignorance peut parfois être un bon alibi, mais personne ne saurait l’invoquer pour justifier les compromissions avec les anciens nazis sud-africains. Leur engagement en faveur des forces hitlériennes pendant la guerre n’était pas un secret et, par la suite, ils ne renièrent jamais leurs convictions idéologiques.

En 1965, Vorster a répondu à un député de l’opposition ayant ironisé sur ce sujet : « Je ne renie pas mon passé. Si c’était à refaire dans des conditions analogues, je n’hésiterais pas à agir de même [15].» Ni les dirigeants israéliens ni les Israéliens en général ne pouvaient ignorer ce passé. D’ailleurs, le journal allemand Die Welt avait qualifié les collaborateurs de Vorster de «nazis sud-africains qui sortent de leur trou pour se trouver à des postes clés de l’appareil répressif de l’État [16]».

Quant aux antiracistes occidentaux qui, aux États-Unis, en Angleterre, en France et ailleurs, dénonçaient les méfaits de l’apartheid, ils étaient invités à balayer devant leur propre porte. Sans oublier que, face à l’État d’Israël, aucun Européen n’est historiquement bien placé pour donner des leçons en matière de racisme et de persécutions raciales.

Le négoce était donc rondement mené par les dirigeants israéliens qui, d’un côté, faisaient de jolies affaires avec les anciens nazis sud-africains [16] et, dans le même temps, retiraient les bénéfi­ces financiers et politiques qui leur revenaient, dans le monde occidental, en tant que représentants exclusifs des victimes du génocide. Avec, en prime, le silence bienveillant des médias et le droit de brandir l’accusation d’antisémitisme à l’endroit de quiconque oserait dénoncer leurs compromissions.

C’est ainsi que bien des sionistes, par ailleurs peu ou pas critiques à l’égard de l’apartheid, parlèrent d’antisémitisme aux États-Unis pour mieux discréditer les Noirs qui osaient dévoiler les complicités du sionisme.

« Utilisant la carte de l’Holocauste pour détourner les critiques, les néoconservateurs juifs [des États-Unis] se drapèrent du manteau de l’innocence virginale, et évoquèrent l’antisémitisme noir à chaque occasion», écrit Finkelstein. «D’autre part, d’anciens Juifs de gauche rallièrent le courant politique dominant en exploitant l’Holocauste pour agresser la nouvelle gauche accusée d’antisémitisme [17]. »

Dans ce contexte et à ce propos, la position adoptée par le prix Nobel de la Paix Elie Wiesel est représentative. Il considère les Noirs comme des ingrats : « Bien que les Noirs se soient appropriés, dans le vocabulaire de référence de l’Holocauste, des termes comme “ghetto”, “génocide” et “meurtre de masse”, cependant, ils ne nous remercient pas mais nous attaquent. […] Il est une chose qu’ils ont à apprendre de nous: c’est la gratitude. »

Et encore : « Si, aujourd’hui, vous êtes contre Israël, vous êtes ipso facto antijuif. Et si, Juif, vous êtes contre Israël, vous êtes un renégat. Les gamins juifs de la nouvelle gauche […] doivent être, ouvertement et publiquement, proclamés renégats du peuple juif. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent. Mais ils ne devraient pas faire partie du peuple juif. Ils n’en sont pas [18]. »

Des querelles vite réglées

En 1960, dix-sept anciennes colonies africaines deviennent des États indépendants et adhèrent immédiatement à l’Organisation des Nations unies. Ils comptent s’appuyer sur le principe « un pays, une voix » pour se faire entendre dans ce forum. Bien des Noirs, dont le professeur Richard Stevens, profondément hostiles au régime d’apartheid, ulcérés par la complicité des milieux sionistes, ont dénoncé à maintes reprises les compromissions d’Israël avec les nazis sud-africains.

Les peuples africains ainsi que les descendants d’Africains déportés n’étant pas comptables de la destruction des Juifs d’Europe, ils ne risquaient pas de subir le chantage des dirigeants israéliens, habitués à faire d’Auschwitz un usage constant pour imposer silence à toute voix hostile à leur politique raciste. C’est alors que certains dirigeants israéliens commencèrent à envisager un rapprochement avec ces nouveaux États africains.

Devenu membre des Nations unies en 1950, l’État d’Israël s’est toujours arrangé pour ne pas voter les résolutions défavorables à l’apartheid, ce qui n’empêchait pas ses porte-parole à l’ONU de dénoncer comme « calomnies [19] » les informations concernant les relations entre les deux États. À partir de 1960, avec l’arrivée massive des nouveaux États africains, il fut question de la nature criminelle du régime d’apartheid de plus en plus souvent. Par conséquent, se dérober devint une acrobatie quasiment insoutenable.

En octobre 1961, Israël vote donc la résolution des Nations unies qui condamne l’apartheid comme répréhensible et préjudiciable à la dignité des peuples et des individus. Par la suite, l’État d’Israël participe encore à plusieurs votes hostiles à l’Afrique du Sud.

Sous la pression des pays africains, la lutte contre le crime d’apartheid devint une priorité dans l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’ONU. Bien entendu, cette apparente volte-face israélienne provoque une violente réaction de la part des autorités de Pretoria qui crient à la trahison et annulent, en 1962, l’autorisation spéciale de libre transfert en Israël des fonds recueillis par la fédération sioniste d’Afrique du Sud.

La communauté juive sud-africaine, profondément attristée par l’attitude « irresponsable » d’Israël et inquiète des mesures de rétorsion annoncées par le gouvernement sud-africain, « fit savoir qu’elle regrettait que le délégué israélien aux Nations-Unies ne se soit pas contenté de s’abstenir au cours de ce vote comme les autres nations occidentales [20] »

Le refroidissement officiel entre l’État d’Israël et le régime d’apartheid provoque des remous des deux côtés : « Les Juifs d’Afrique du Sud, essayant de réparer ce qui était presque considéré comme une bévue sérieuse d’Israël, cherchèrent à détourner la critique internationale envers l’Afrique du Sud. Ceci se remarqua en particulier à l’ONU où, sur les instances du Conseil des délégués sud-africains et de l’Organisation sioniste, des organismes juifs s’abstinrent officiellement de condamner l’apartheid [21]. »

Ces querelles de famille ne durent pas longtemps puisque, nous l’avons vu, lors de la guerre israélo-arabe de juin 1967, le soutien financier à Israël dépasse le cadre de la communauté juive sud-africaine. Sans compter les dividendes qu’Israël retire de cet incident de parcours. Par exemple, à partir de cette décision « courageuse» d’Israël à l’ONU, de respectables militants antiracistes, favorables à l’État d’Israël, expliquent: «L’État d’Israël n’a pas hésité à sacrifier des sympathies précieuses qu’il avait rencontrées pour sa construction dans le gouvernement sud-africain en prenant vigoureusement parti contre l’apartheid [22]. »

Soumis impitoyablement à l’asservissement anéantissant de l’apartheid, les non-Blancs d’Afrique du Sud, au prix d’une répression très souvent sanglante, se sont opposés à cette politique de destruction, véritable défi à la dignité humaine. Arrogant, le gouvernement sud-africain put mener de front sa politique de destruction à l’endroit des groupes « racialement inférieurs » parce qu’il bénéficiait du soutien global apporté par les anciennes puissances alliées, URSS exceptée.

La société blanche sud-africaine n’eut pas besoin de se déchaîner contre les Noirs, avec des lynchages spectaculaires style populace blanche nord-américaine. Doté d’un appareil juridico-répressif qui aurait fait honneur aux juristes du IIIe Reich, le régime d’apartheid eut les moyens nécessaires pour envoyer à la potence ou garder sous les fers, le plus légale­ment du monde, ceux qui pouvaient gêner son fonctionnement.

La parfaite compatibilité de l’idéologie à l’œuvre au sommet de l’État d’Israël avec l’extrême-droite raciste, fut-elle teintée d’antisémitisme, ne devrait donc être source de surprise pour personne. En 1973 déjà, le Prof. Marcel Liebman (ULB) ne relevait-il pas “au minimum une convergence d’intérêts” entre sionistes et antisémites ? A aucun moment elle ne s’est démentie depuis lors, au contraire.

L.D.               

[1] au cours de son activité journalistique, Verwoerd avait eu l’imprudence d’intenter un procès contre un journal qui avait critiqué son attitude pronazie durant la guerre mondiale, mais le jugement lui fut défavorable et on pouvait y lire que Verwoerd “avait soutenu l’ennemi en toute connaissance de cause”. – NDLR
[2] Abdelkader Benabdallah, Israël et les peuples noirs, Québec 1979 – cité par Rosa Amelia Plumelle-Uribe in “La férocité Blanche” (p. 240), Albin Michel 2001
[3] La Férocité Blanche – Des non-blancs aux non-aryens – Génocides occultés de 1492 à nos jours – Ed. Albin Michel (2001) – ISBN 9782226121875 – 20€
[4] Lire la documentation de l’ONU N°5/77, p. 7 et 14, les dérogations spéciales à la réglementation sur les devises consenties par l’Afrique du Sud au bénéfice de la fédération sioniste d’Afrique du Sud. 
[5] Richard P. Stevens, Sionisme et racisme, Paris, 1976, p. 210; Document de l’ONU, Relaciones entre Israël y Surafrica, Informe del comité especial contra el Apartheid, nr 5/77, p.14; Benabdallah, op. cit. p.97
[6] Benabdallah op. cit., p. 97;Document ONU 5/77, p. 14
[7] Document ONU 5/77, p. 14
[8] Jewish Chronicle, Londres, décembre 1962 cité par le document ONU 5/77, p. 8
[9] Benabdallah op. cit., p. 38;Document ONU 5/77, p. 7
[10] Benabdallah op. cit., p. 73
[11] Tom Segev, Le septième million, Paris 1993, p. 391
[12] Ibid, p. 389
[13]  Cette affirmation, invérifiable par nature, a excessivement peu de chances d’être fondée. En effet, 68 ans après la proclamation de l’indépendance d’Israël, force est de constater que seule une minorité de Juifs y a émigré (et parmi les immigrés venus de l’ex-URSS considérés comme Juifs, un certain nombre ne l’a jamais été mais les dirigeants israéliens de l’époque ont choisi de l’ignorer, leur but étant de contrer la “menace démographique” palestinienne qui est leur obsession constante. Voir à ce propos un article de Pr Marcel Liebman (ULB) ICI
[14] Ibid, p.389
[15] Ibid, p. 391
[16] Afrique-Asia, 10 août 1971, Paris, in Benabdallah, op. cit.; p. 20
[17] et [18] Finkelstein, p. 105
[19] de l’ONU, Comité spécial apartheid A/AC, 115/L285 add 3, 21 mai 1971,  Benabdallah op. cit., p.140
[20] Document ONU N° 5/77, p.8; Benabdallah op. cit., p.145
[21] Richard P. Stevens, op. cit., p. 216
[22] Pierre Paraf, Le racisme dans le monde, Paris, 1981, p. 114