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Etudiants, retraités et femmes seules avec enfants seraient victimes des « migrants » : les gros mensonges du FN

25 Novembre 2016


Qui sont donc Sandra, Pierre et Julie ? Si l’on en croit les nouvelles affiches signées « Les jeunes avec Marine », ce sont des citoyens français – une mère célibataire sans domicile, un agriculteur à la retraite, et une étudiante – lésés par les migrants, ou par les politiques sociales qui favoriseraient les immigrés aux dépens des Français. Ceux-ci leur prendraient le logement auxquels ils ont droit ou percevraient davantage d’aides sociales, tel est le message distillé. Sauf que les problèmes que ces Français rencontrent n’ont rien à voir avec l’immigration, loin de là. Et les arguments du FN ignorent totalement les véritables solutions pour sortir les jeunes et moins jeunes de la précarité.

Intox n°1- Les migrants prendraient les logements des étudiants



Depuis le 19 octobre dernier, soit quelques jours avant que ne commence le démantèlement de la jungle de Calais, 80 migrants sont logés dans une cité universitaire de la métropole lilloise. Originaires du Soudan, d’Albanie, de Syrie ou d’Irak – où leurs vies étaient menacées – ces personnes, inscrites à l’université, ont emménagé dans des chambres inoccupées situées dans un bâtiment destiné à être démoli.

« Les trois campus de Lille totalisent 60 000 étudiants ; pour 9500 chambres universitaires », informe Dylan Lecocq, de la Fédération des étudiants en résidence universitaire de Lille (ferul). Des milliers de demandes sont en attente. « Si l’on manque de logements étudiants en France, c’est parce que les dotations de l’État accordées aux Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, qui gèrent les restaurants et cités universitaires, ndlr) ne cessent de diminuer », précise Dylan Lecocq. L’année dernière, la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) s’est indignée de la forte diminution des crédits alloués aux Crous dans le projet de loi de Finances pour l’année 2016 : 50 millions d’euros en moins pour la vie étudiante, alors que le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter.

« Ajoutons que, à Lille, 50% du parc est insalubre et en attente de rénovation, glisse Dylan Lecocq. Aux cafards s’ajoutent de solides problèmes d’isolation ou de chauffage, et la vétusté des sanitaires. Certains de ces bâtiments sont exécrables, et destinés à la démolition. » C’est dans l’un de ces bâtiments que sont logés les migrants incriminés par le FN depuis la mi-octobre. « Les Crous font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’ils ont, précise Fabio Cioni, membre du bureau du syndicat étudiant Unef à Lille. L’État n’arrête pas de diminuer les budgets alors qu’il devrait investir massivement dans les Crous, de façon à résoudre cette grave question de la pénurie de logements étudiants. Un étudiant sur dix est logé en cité universitaire, alors qu’un étudiant sur deux travaille. »

Il y a 150 000 chambres universitaires en France pour 1,2 million d’étudiants. La grande majorité doit se loger dans le parc privé. Résultat ? « Les étudiants sont de plus en plus nombreux à être en grande précarité pédagogique du fait du poids du logement sur leur budget : en moyenne 50% », estime Fabio Cioni. Ce qui n’empêche pas des associations d’étudiants d’aider les migrants à passer leurs diplômes en France plutôt que de distiller des mensonges.

Intox n° 2 – Un demandeur d’asile serait mieux aidé qu’un agriculteur retraité



En France, les agriculteurs à la retraite touchent en moyenne 740 euros par mois, largement en dessous du seuil de pauvreté situé à 1 000 euros par mois. S’ils ont plus de 65 ans, les agriculteurs peuvent demander un complément de revenu via l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), qui permet de percevoir jusqu’à 800 euros par mois pour une personne seule et 1 242 euros pour un couple.

Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à être en grandes difficultés : ils étaient 40 000 à toucher le RSA en juin 2015, soit près de 10% de la population agricole (hors salariés) ! En cause : les prix, trop faibles, payés par les industries agro-alimentaires. « Pour que je puisse simplement payer mes emprunts et assurer le coût de fonctionnement de la ferme, sans même me payer, il faudrait que le cochon soit vendu 1,65 euro le kilo. En ce moment, il se vend environ 1,10 euro ! », soulignait un éleveur que Basta ! a rencontré en début d’année (voir l’article ici). Un autre vendait sa tonne de litre de lait 270 euros, au lieu des 388 euros nécessaires pour faire tourner son exploitation.

Les agriculteurs critiquent aussi les banques qui leur accordent souvent des prêts à des taux très élevés. Aux difficultés de trésorerie s’ajoutent l’isolement – les exploitants sont souvent seuls sur d’immenses surfaces agricoles – et un manque de reconnaissance. Le tout avec de rudes journées de travail. Chaque année, près de 500 agriculteurs se suicident et 10 000 cessent leur activité. Les demandeurs d’asile n’y sont évidemment pour rien.

En France, ces derniers ne peuvent pas travailler tant que le statut officiel de réfugié, délivré par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) selon des critères de plus en plus stricts, ne leur a pas été accordé. En attendant, ils reçoivent l’allocation pour demandeur d’asile : de 200 à 340 euros par mois selon qu’ils sont logés, ou non, dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada).

Plutôt que de stigmatiser les étrangers, de nombreux agriculteurs inventent de véritables solutions face à la crise qui frappe les campagnes. Certains s’organisent en coopérative, comme dans l’Aubrac, pour mieux rémunérer les éleveurs. D’autres choisissent l’élevage bio et non industriel, comme cette famille installée en Auvergne.

Les difficultés qu’ils rencontrent ne les empêchent pas de faire preuve de solidarité. Les agriculteurs membres du réseau Accueil paysan ouvrent leurs fermes aux personnes défavorisées : jeunes maltraités, enfants et adultes handicapés (lire ici). Cédric Herrou, agriculteur à Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes), risque lui la prison pour avoir recueilli bénévolement des migrants, mal équipés pour la marche et le froid, qui tentaient de franchir la frontière escarpée entre la France et l’Italie (lire ici). Des engagements bien plus utiles que les diatribes des « jeunes avec Marine ».

Intox n° 3 – Les immigrés s’accapareraient les logements sociaux



En France, 3,5 millions de personnes sont mal logées. Parmi elles, 900 000 sont privées de logement personnel, selon la Fondation Abbé Pierre [1]. Elles vivent dans des hôtels, des habitations de fortune ou à la rue. Cette précarité frappe d’abord les familles monoparentales, dont un tiers vit en dessous du seuil de pauvreté. Telle la « Sandra » imaginée par le FN, qui « dort dans sa voiture ».

Il est cependant trompeur de sous-entendre qu’il n’existe aucune solution pour les femmes seules avec enfants. Elles peuvent bénéficier des solutions d’urgence : centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou centres d’hébergement d’urgence (CHU). Il y a aussi des dispositifs spécifiques : chaque département doit disposer de structures d’accueil pour les mères isolées accompagnées d’enfants de moins de trois ans. Il existe aussi plus de 1000 centres d’accueil et d’hébergement pour les femmes victimes de violences.

Là encore le problème ne vient pas des immigrés. Les budgets alloués par l’État à l’accueil et à l’hébergement des femmes en difficultés sont trop serrés. Ils sont même parfois en diminution, comme c’est le cas pour de nombreuses autres associations (voir notre enquête ici). Certaines collectivités locales choisissent aussi de tailler dans ces budgets sociaux. Certains centres doivent fermer leurs portes, comme Regain, à Strasbourg, contraint d’éconduire les femmes qu’il accueillait suite à une coupe budgétaire du département, dirigé par Frédéric Bierry (Les républicains), où siègent trois élus FN… Les mères célibataires au chômage, comme « Sandra », feraient mieux de ne pas habiter dans certaines communes gérées par le parti de Marine Le Pen. Joris Hébrard, maire FN du Pontet (Vaucluse) a supprimé, en juin 2014, deux mois à peine après son élection, la gratuité totale de la cantine scolaire, dont bénéficiaient les familles les plus pauvres (lire ici).

Les migrants en situation irrégulière ou en cours de régularisation n’ont pas accès aux logements sociaux. La loi française oblige l’État à loger les demandeurs d’asile, mais les places manquent. En 2014 à peine 40% d’entre eux ont pu être logés dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (cada). Ceux qui accèdent au statut de réfugié peuvent être logés en HLM uniquement dans des zones où ces HLM sont vacants, en général des villes moyennes où la population diminue à cause du chômage. Beaucoup de ces logements doivent subir des travaux ou être démolis. Selon le ministère de l’Intérieur, les ménages immigrés représentent 16,5 % des résidents en logement social, les descendants d’immigrés 8,5 %.

Si les logements sociaux sont saturés – 1,5 million de personnes sont en attente d’un logement à loyer modéré –, c’est qu’il y en a trop peu. « Au lieu des 150 000 logements sociaux attendus, seuls 109 000 ont été financés en 2015, en baisse annuelle de 9 %», déplore la Fondation Abbé Pierre. « Un même bilan décevant concerne la production de logements très sociaux à bas niveau de quittance, à peine plus de 700 ont été programmés alors que 3 000 étaient promis », ajoute la fondation [2].

Les HLM font cruellement défaut en l’île-de-France, aux alentours de Lyon et dans la région Provence Alpes Côte d’azur. Certaines communes refusent de remplir leurs obligations en matière de constructions sociales. Des villes très riches comme Neuilly-sur-Seine en comptent moins de 5% alors qu’elles sont tenues par la loi à un taux de 20%. En PACA, 18 villes ont été mises sous surveillance par le gouvernement pour leur trop faible effort en faveur des HLM. Parmi ces communes qui n’aident pas les ménages en difficulté à se loger : Fréjus – 9,9% de HLM – dirigée depuis 2014 par David Rachline (FN), le directeur de campagne de Marine Le Pen pour la présidentielle 2017. Et si « Sandra » allait frapper à sa porte ?

Nolwenn Weiler

– Lire aussi : Austérité budgétaire, abandon des familles modestes, vision néolibérale du travail : le véritable programme du FN

Notes
[1] Voir leur rapport.