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En Inde, des enfants des rues réalisent et publient un véritable journal

28 September 2016

Des enfants des rues jouent à Ahmedabad. Image publiée sur Flickr par Sandeep Chetan. CC BY-NC-ND 2.0
Depuis plus de dix ans, un journal basé à New Delhi raconte le quotidien des enfants des rues et la lutte qu’ils mènent pour défendre leurs droits. Sa particularité ? Il est écrit et publié par ces mêmes enfants.

La gazette Balaknama (“la Voix des enfants” en hindi) a acquis avec les années une solide réputation, en grande partie due à la qualité de ses articles, criants de vérité.

En circulation depuis 2003, ce journal de huit pages couvre sept villes indiennes et s’appuie sur un réseau d’environ 10 000 enfants des rues.

“Balaknama : un journal trimestriel [par la suite devenu mensuel, ndlr] de 8 pages PAR les enfants, POUR les enfants qui vivent et travaillent dans la rue”

“Balaknama n’a pas seulement rendu des enfants des rues indépendants et conscients de leurs droits : c’est une gazette dirigée par des enfants des rues.”

En direct de la rue

Si les sujets couverts par Balaknama n’ont rien de nouveau, ils sont traités sous un angle inédit. Les problèmes auxquels sont confrontés les enfants des rues — agressions sexuelles, travail infantile, violences policières — sont abordés du point de vue de leurs victimes directes.

Les reporters en herbe relaient également des histoires positives et porteuses d’espoir sur ce qui se passe dans la rue.

Les enfants qui travaillent pour le journal viennent tous d’horizons différents. Shambhu par exemple, rédacteur en chef actuel de Balaknama du haut de ses 17 ans, lave des voitures pour gagner sa vie.

Pour les jeunes comme lui, Balaknama est une façon d’informer les gens sur les problèmes auxquels ils font face quotidiennement.

Depuis sa création, le journal est édité par des bénévoles de l’ONG Childhood Enhancement through Training and Action (CHETNA, Promotion de l’enfance par la formation et l’action), qui travaille avec les enfants des rues et les enfants forcés de travailler.

CHETNA est un organisme de bienfaisance fondé en 2002, qui a notamment participé à la création d’une fédération d’enfants des rues appelée Badhte Kadam (“Aller de l’avant”).

L’année suivante, CHETNA organisait un atelier destiné aux enfants des rues et aux enfants travailleurs, à l’issue duquel les participants avaient conclu que tous avaient souffert d’abus et de négligences, mais que leurs voix n’avaient jamais été entendues.

C’est ainsi qu’une question a émergé : “Et si nous avions notre propre journal ?”

Le journaliste Bipasha Mukherjea raconte comment Balaknama réussit à unir les enfants des rues lorsqu’ils travaillent ensemble sur des articles :

“Ensemble, ils travaillent sur des histoires que seul un enfant des rues peut dénicher et restituer. Le journal les fédère et les soutient.”

Quasiment tous les enfants qui participent à la parution de Balaknama étudient dans des écoles ouvertes gérées par CHETNA.

“L’équipe de Balaknama en action. Préparation de la prochaine édition du journal.”

Faire entendre sa voix

Selon des estimations du gouvernement indien, plus de 400 000 enfants vivent actuellement dans la rue en Inde, dont 314 700 répartis entre les villes de Bombay, Calcutta, Madras, Kanpur, Bangalore et Hyderabad, et environ 100 000 rien qu’à Delhi.

La plupart des experts considèrent toutefois ces chiffres comme largement sous-estimés.

Une grande partie des enfants dont les articles sont publiés dans Balaknama ne savent eux-mêmes ni lire ni écrire. Ce sont leurs amis et leurs “collègues” qui transcrivent leur récit pour le journal.

L’accès au réseau Internet et au fax étant difficile, la plupart de ces jeunes reporters dictent leur article par téléphone à leurs collègues basés à Delhi.

Deux fois par mois, ils tiennent une conférence de rédaction, lors de laquelle ils discutent des articles à publier.

Arijit Bose fournit plus de détails sur Balaknama sur son blog :


“Chaque exemplaire est vendu au prix symbolique de 2 roupies et plus de 8000 exemplaires, la plupart en hindi, sont publiés chaque mois. Le journal ne réalise aucun profit et est entièrement financé par l’ONG.”

Chandni, ancienne rédactrice en chef de Balaknama, étudiait pour ses examens de Seconde lorsqu’elle a été invitée à prononcer un discours à l’occasion d’un événement TEDx organisé à Bangalore l’an dernier.

Son intervention de 18 minutes sur la façon dont le journalisme a changé sa vie lui a valu une longue ovation du public.


Lors de son discours sur le journalisme non conventionnel au TEDx Bangalore en 2015, Chandni est revenue son histoire, d’enfant travailleur devenue journaliste pour Balaknama (cliquez sur l’image pour accéder à la vidéo)

RegalUnlimited a retranscrit certains passages du discours de Chandni :


“Les médias se soucient-ils de ce que pense un enfant ? Savez-vous ce que nous voulons ? Vous êtes-vous au moins posé la question ? Nous voulons être entendus, et non pas pris en pitié…”

“Voici notre bureau. Notre route n’a pas été simple. Nous avons mis 13 ans à lancer le journal Balaknama”

Une grande partie des enfants qui partagent leur histoire dans les pages de Balaknama vivent de collectes d’ordures ou de petits boulots dans les cafés du bord de route, les gares routières et ferroviaires. Le journal se rend sur leur lieu de travail pour les écouter et recueillir leur témoignage.

Pour ceux qui souhaitent aller plus loin, une vidéo mise en ligne sur YouTube par le journaliste Bipasha Mukherjea relate l’histoire de Balaknama :