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Trois mois après ; le Brexit vécu par un Français de Londres

15 Septembre 2016

Le vote « remain » (rester) était destiné à perdre le referendum

Quatre peuples de l’Union européenne ont maintenant voté contre le projet néolibéral imposé par Bruxelles. Ce fut tout d’abord les Français qui, le 29 mai 2005, votèrent à 54,68% contre le traité de Rome 2. Trois jours plus tard, les Hollandais firent de même. Le 5 juillet 2015, c’est au tour des Grecs de voter contre le saccage de leur pays par le gouvernement Merkel et les banques françaises et allemandes. Les derniers en date sont les Britanniques qui, le 23 juin 2016, décident à 51,9% de sortir de l’Union.

Cette décision historique met un terme, non seulement au projet européen tel que nous le connaissions mais aussi au sentiment fataliste que les peuples étaient enchainés aux décisions d’une minorité riche et non élue cachée dans les bureaux de Bruxelles. L’Union Européenne, ce titan, que l’on croyait invincible, qui dominait les peuples et leur imposait sans qu’ils puissent y échapper les forces délétères de l’austérité, s’est avéré être un géant aux pieds d’argile.

Une brèche est ouverte ; la contestation ne peut que s’étendre face à une classe dirigeante européenne qui, quoi qu’il arrive, s’est promise de tenir le cap de la liquidation de l’état providence. S’il faut attendre un changement, il faudra le provoquer car Mme Merkel, M. Hollande, M. Draghi, M. Juncker., etc., font plus que jamais front commun contre leurs peuples d’Europe.


Brexit pour les nuls

La classe politique, la presse et les médias britanniques ont une fois encore montrés qu’il leur était possible de descendre beaucoup plus bas dans la trivialité, l’avilissement et l’extravagance. Comme le fait remarquer Vincenç Navarro[1], les populations ne soupçonnent pas l’importance et la complexité de l’appareil politico-médiatique qui domine les structures du pouvoir européen et des pays qui en font partie.

De part et d’autre, tant à droite qu’à gauche, la peur et le mensonge furent servis en boucle et sans aucune retenue, opposant les pro européens (le camp « remain ») auto proclamés cultivés et intelligents, aux partisans du « Leave », (le retrait), baptisés racistes, péquenauds, ignorants et pauvres. Le climat xénophobe attisé par la droite décomplexée qu’incarnent M. Boris Johnson, l’ex maire de Londres et le leader (maintenant ex-leader) du UKIP (UK Independent Party) M. Nigel Farage, a profondément obscurci les débats de la dernière semaine de campagne et restera un hit dans les annales d’un populisme nationaliste que l’on croyait dépassé.

Le Royaume-Uni connu (à tort) pour sa proverbiale placidité politique et son conservatisme bon teint s’est soudainement retrouvé profondément divisé par ce referendum. A l’intérieur de toutes les familles politiques, de tous les partis, qu’ils soient de gauche ou de droite, le divorce fut consommé et menace aujourd’hui de changer irrémédiablement la politique britannique avachie jusqu’à lors dans le bipartisme. Ainsi, a-t-on retrouvé dans le camp « remain », pêle-mêle, la City de Londres, les grandes banques, une partie du Big Business et le nouveau leader de la gauche travailliste, M. Jeremy Corbyn et dans celui des « leave », les dissidents conservateurs et travaillistes ainsi que la droite réactionnaire type lepéniste. Un casse-tête pour le citoyen lambda ; une évidence pour les laissés-pour-compte convaincus que « se sont tous les mêmes. »

Dans les colonnes du quotidien progressiste The Guardian, on a pu lire que ce qui avait débuté comme une promesse électorale peu sérieuse de la part de M. Cameron ; un canular presque, pour donner le change aux eurosceptiques du parti conservateur ; s’était, de fil en aiguille, transformé en une immense gaffe puis en un raz-de-marée imparable. Une telle lecture n’est pas fausse si l’on précise que cette bourde politique est à mettre seule sur le compte de M. Cameron qui n’a jamais su proprement tenir les « backbenchers[2] » les plus droitiers et réactionnaires de son parti. Il a voulu bluffer et a été pris à son propre jeu. Il a aujourd’hui tout perdu. Il a démissionné au lendemain du referendum et le 13 septembre 2016, a aussi abandonné son siégé de député pour ne pas se retrouver avec… les « backbenchers » et son ancienne ministre de l’Intérieur, maintenant chef du gouvernement, Mme. Teresa May… Une déconfiture historique pour un homme qui désirait « refonder le Royaume-Uni ».


Le sentiment du vote « leave »

Nous l’avons vu, la presse et les partisans du « remain » ont choisi -et persiste encore aujourd’hui- à voir les rebelles du « leave » comme des xénophobes et des ignares. Après le décompte du vote, ils seraient un peu plus de 17 millions aux Royaumne-Uni. Mais si l’on compare ce chiffre au résultat du UKIP aux dernières élections générales de 2015, le nombre de racistes bornés et illettrés aurait presque quintuplé en quelques mois. Cette hypothèse est absurde. Bien qu’une partie de l’électorat « leave » appartiennent à la nébuleuse réactionnaire des Midlands[3] gorgée de rhétorique anti migratoire et ultra nationaliste (disons 12%), les raisons politiques des autres électeurs méritent toute notre attention.

Pour les comprendre, il suffit de se pencher sur les indicateurs économiques du Royaume-Uni. Un niveau d’endettement colossal (près de trois trillions de livres sterling, si l’on additionne à la dette de l’état, celle des ménages et des entreprises), un démantèlement en règle des systèmes de protection et d’aide sociales, un taux de chômage endémique et systémique masqué par la création de petits boulots et l’explosion du nombre des travailleurs pauvres (A Londres, un million d’enfants vivent au-dessous du seuil de pauvreté) ; la création d’une bulle immobilière gigantesque, moteur principal du plan économique de M. Osborne (lui aussi disparu), le ministre de l’économie de M. Cameron, protégeant une classe de rentiers qui, elle, vote religieusement à chaque élection pour le maintien de ses privilèges. L’entretien dispendieux de politiques fiscales favorisant les riches, les banques et les grandes entreprises qui jouissent d’un accès illimité à l’argent, à des taux d’intérêts ridiculement bas. Le prix des locations est tellement onéreux à Londres qu’elles demeurent inabordables pour la grande majorité de la population salariée. Des quartiers entiers sont voués à la spéculation immobilière aux mains des milliardaires chinois, indiens ou en provenance des Emirats. Pour s’en convaincre, il suffit de se promener sur les rives de la Tamise. A cela, il faut ajouter l’explosion du coût de la vie, des transports ; l’endettement des étudiants, qui doivent aujourd’hui payer £9.000 (soit 11.000 euros) par année d’étude ; sans compter les scandales financiers qui étonnent par leur démesure ; le dernier en date est la liquidation de la chaîne de grands magasins BHS (British Home Stores), l’une des plus vieilles marques anglaises, détenue par le milliardaire Sir Philip Green, le patron de Top Shop qui, avant de vendre l’ensemble pour 1 livre sterling à un consortium peu scrupuleux, empocha l’argent (près de 500 millions de livres) destiné aux retraites des 11.000 salariés qui se sont retrouvés à la rue début septembre 2016.

L’homme et la femme de la rue souffrent des politiques d’austérité qui furent imposées pour renflouer les banques anglaises en difficultés. La Royal Bank of Scotland (RBS) et le Lloyds Banking Group (Lloyds), sont nationalisés et, bien que considérés techniquement insolvables, continuent leur Business As Usual, c’est-à-dire, la création de la dette toxique et des dérivatifs qui furent les causes de leurs déboires en 2008 et qui se solda par leur renflouement par le contribuable britannique. Les banquiers de la City opèrent en toute impunité et étendent leurs pratiques frauduleuses avec la bénédiction des classes dirigeantes.

A cela sont venues s’ajouter les mécanismes de « la règle d’or » imposés par l’Union européenne pour limiter les déficits publics. Bien que presque personne ici n’ait jamais entendu parlé de ces mesures venues de Bruxelles, tout le monde voit s’incarner leurs effets dans le démantèlement de l’état providence et de leur précieuse NHS, le service de santé britannique.

La déflation qui s’est emparée de l’économie européenne est très durement sentie par la population anglaise alors que les indicateurs économiques sont maquillés dans l’intérêt du 1% de façon éhontée ; les marchés obligataires, les actions, les produits financiers dérivés, le marché de l’armement, etc., ne se sont jamais si bien portés. En 2016, le Royaume-Uni restera dans le annales comme le deuxième vendeur d’armes de la planète ! Même s’il ne comprend pas en détail le fonctionnement de ces bulles gigantesques, le citoyen anglais voit l’écart se creuser entre lui et ceux qui ont tout.

C’est ici que les médias de marché entrent en jeu. Tout comme en France, ils sont dans les mains de milliardaires très peu portés sur le partage. Dans leur éditoriaux, l’ensemble des problèmes du Royaume-Uni se résument à l’immigration. C’est l’alpha et l’oméga de la pensée journalistique de la BBC à Channel Four. A cette masse d’immigrants qui, soi-disant, menacent le peu d’emplois qui restent au Royaume-Uni, il faut ajouter les normes européennes qui empêcheraient le pays de se défaire de ces indésirables. Voilà. Le tour est joué. Cette vue biaisée de la réalité, une fois passée au tamis de l’idéologie du UKIP, entre facilement dans le discours des mécontents. Ceux qui savent y résister, s’en prennent aux traités européens qui confisquent la démocratie des états nations. Ils incarnent le ras-le-bol des populations européennes.


Le sentiment du vote « remain »

Paradoxalement, le citoyen anglais se portant sur le vote « remain » n’est pas plus rationnel que celui du prétendu ignare du « leave ».

Les seuls qui le soient vraiment sont les conservateurs Tories qui s’étaient groupés derrière M. Cameron. Ils sont en accord avec les politiques d’austérité néolibérale mises en place par l’Union et partagent l’idéologie atlantiste dominante. Leur entente avec Bruxelles n’est pas totale ; on a vu avec quelle prétention ils ont toujours demandé un régime de faveur ; mais cette connivence disputeuse n’a jamais été sécessionniste et a toujours porté ses fruits au sein du parti conservateur. C’est pourquoi nous ne passerons pas plus de temps à les définir.

Le gros des troupes de l’électorat « remain » est formé des classes moyennes citadines et progressistes de la sociale démocratie, dont l’âge moyen ne dépasse pas la cinquantaine. Elles occupent un spectre politique allant du conservateur éclairé, aux sympathisants travaillistes, blairistes et autres en passant par les centristes et les apolitiques de droites. Ces gens-là travaillent, sont portés sur la culture, les langues et les voyages et ont un niveau d’étude assez élevé. L’idée d’une Europe unie et bâtie sur la coopération des peuples les séduit. Ils savent que l’Union européenne n’est pas parfaite mais que faute de mieux, ils doivent s’en contenter. Les plus téméraires avancent qu’il faudrait la changer de l’intérieur (c’est notamment la position du leader du parti travailliste, M. Jeremy Corbyn). Au-delà de ce credo consensuel et volontiers réprobateur des excès de l’Union Européenne (mais sans plus…), il est difficile de leur trouver des arguments élaborés sur les façons de changer « de l’intérieur » cette Union Européenne peu démocratique et autoritaire, qui n’hésite pas à mettre au pas des peuples rebelles (on se souvient des Grecs) au nom d’une idéologie qui méprise les valeurs humaines les plus élémentaires comme la solidarité et le partage.

Plus difficile encore de les interroger sur le souverainisme et/ou le fédéralisme qu’ils seraient censés représenter, défendre ou combattre. Seraient-ils favorables à une renégociation des traités, voire à un moratoire sur toutes les mesures néolibérales ? Rares sont ceux qui ont les idées claires sur le sujet. Leurs arguments se bornent à faire échos au bourrage de crâne médiatique qui sans aucune rationalisation argumentaire annonce froidement la fin du monde.


Jeremy Corbyn et le Brexit

Le leader du parti travailliste s’est montré très discret sur le sujet pendant les mois qui ont précédé la campagne du Brexit. Par calcul politique, il a préféré laisser les leaders conservateurs se déchirer dans les médias et devant le parlement. Son opinion, dit-on, a d’ailleurs considérablement évoluée. Supporter du Brexit, il a lentement changé de cap pour s’aligner avec M. Cameron, le Big Business et la City londonienne dans la dernière ligne droite de la campagne. Manœuvre politique là encore ? Nous sommes portés à le croire si l’on décortique le programme politique et économique qu’il mettrait en œuvre le jour où il deviendrait premier ministre. Ce programme serait tout bonnement impossible à appliquer dans un Royaume-Uni inféodé aux traités européens. C’est d’ailleurs ce qui lui vaut d’être accusé de « saboteur » par le journal The Economist (10 juin 2016) ou de « marxiste abruti » par le Sun (30 août 2016). En effet, les traités ont verrouillé les sorties anti austéritaires et ont été jusqu’à transformer profondément les constitutions des pays souverains pour les empêcher de faire marche arrière sur les politiques budgétaires et monétaires. C’est là le cœur du problème. Libérer les peuples européens de l’étau austéritaire ne pourra se faire sans l’annulation des traités. Tout discours faisant impasse sur ce point est oiseux. Ce revirement de Corbyn pourrait avoir répondu à une volonté contradictoire des forces en place au sein du parti travailliste en mutation.

Jeremy Corbyn, est un politique extrêmement fin et courageux. Depuis son élection à la tête du parti travailliste, le 12 septembre 2015, il a été la victime d’une campagne de dénigrement infâmante, partagée aussi par la presse dite de gauche, comme The Guardian. En juillet 2016, la London School of Economics, a analysé la teneur de 815 articles publiées sur sa personne entre le 1 septembre et le 1er novembre 2015 par les grands quotidiens nationaux. La conclusion ne laisse aucun doute sur l’état de délabrement de la liberté d’opinion au Royaume-Uni au sein duquel il existe « un processus de dénigrement qui outrepasse largement les limites normales du débat démocratique […] M. Corbyn a été systématiquement traité avec mépris et ridiculisé comme aucun autre chef politique ». Le quotidien The Guardian, censé défendre des idéaux progressistes, a travesti les propos de M. Corbyn dans 63% des cas. Les tabloïds Daily Mail et Daily Express, eux ne font pas dans la nuance puisque 100% de leurs articles déforment les points de vue de M. Corbyn. [4] La télévision est aussi peu impartiale que la presse, la BBC en tête. Comme le rappellent les enquêteurs de la London School of Economics, « M. Corbyn a été élu sur une plateforme d’opposition de principe à l’austérité, aux privatisations et à la guerre en Irak, qui à en croire les sondages, recueille un large soutien auprès du public. En aucun cas, ces positions ne devraient être situées ou associées par les journalistes aux extrémités du spectre politique ».

Quoi qu’il en soit, M. Corbyn est maintenant débarrassé de l’Europe des traités ; le voilà les mains libres pour proposer des mesures de changement qui seront possibles à réaliser le jour où il entrera au 10 Downing Street. Les prochaines élections générales au Royaume-Uni pourraient laisser une chance à l’alternance. A partir de ce point, tout pourrait devenir possible pour le pays et la gauche européenne. Mais ne brûlons pas les étapes. Il reste encore trois ans de pouvoir aux Conservateurs.

La démission de M. David Cameron (26 juin 2016) laissait présager la nomination d’un successeur idéologiquement plus à droite que son prédécesseur. Ce fut en effet, l’ancienne ministre de l’Intérieur (2010-2016), Mme Teresa May. La gauche radicale anglaise la considère tout aussi coupable -entendez : extrémiste- que son ancien patron : « Teresa May a été au centre de son gouvernement. Elle a souscrit à tout ce que celui-ci a mis en œuvre. Le démantèlement de l’État providence, la privatisation du Service National de Santé (N.H.S), et ainsi de suite… déclarait le réalisateur de film Ken Loach dans une interview à la chaîne de television Russia Today (RT) Donc, je ne vois pas en quoi, il y aurait le moindre changement. C’était une des plus ferventes. Ce qui est intéressant est qu’elle enveloppe son idéologie dans la rhétorique de la compassion ; c’est bizarre venant de quelqu’un qui a imposé les mesures les plus draconiennes jamais décidées contre les personnes les plus vulnérables de notre société. »

La compassion est une expression du populisme déboutonné de la droite britannique. Elle s’est déjà montrée très douée sur le sujet. Dixit le projet de « Big Society » de M. Cameron ; mesure phare de sa première campagne électorale. Une fois élu, celui-ci l’a vite remballé. En effet, imaginez le monstre néolibéral se métamorphosant en chantre de la solidarité et renonçant du même coup à son essence : « capitalisme pour les pauvres et communisme pour les riches. » Le projet est passé aux oubliettes de l’histoire de la démagogie et rappelle par son inanité tous les excès de la campagne des Brexiteurs de droite. A la différence près que le premier projet (Big society) donna le pouvoir à M. Cameron et que le second (le Referendum du Brexit) le lui reprit.

Jeremy Corbyn, secrétaire général du parti travailliste britannique, un socialiste dans l’esprit du gouvernement social-démocrate anglais de 1945 [5], est un anti blairiste, eurosceptique de gauche et défenseur à outrance de l’état providence. C’est un pur qui, loin de se situer très à gauche sur le spectre politique britannique, incarne le socialisme de grand-papa rebaptisé radical et anti patriote par l’Establishment, l’éditocratie et le New Labour.

M. Corbyn (Old Labour) entend nettoyer le parti travailliste anglais de la crasse blairiste et droitisante voire réactionnaire qui s’y est installée au point de le gripper ; il a engagé une lutte à mort contre les éléments de « l’extrême centre » qui prospèrent au sein de l’appareil.

Cette aile droite du parti travailliste a profité du Brexit pour paralyser le Labour (Entendons, le Old Labour) et remettre en question le résultat des élections qui virent Jeremy prendre le pouvoir en 2015. Une campagne de dénigrement sans précédent, nous l’avons vu plus haut, orchestrée et financée par ces éléments droitiers a battu les unes de la presse et des JT depuis septembre 2015 et redouble d’intensité depuis le vote du Brexit (Juin 2016). Les travaillistes sont maintenant extrêmement divisés ; d’un côté, les blairistes (New Labour) et autres éléments de droites dont la garde prétorienne se trouve au parlement ; 171 députés élus avant l’avènement de M. Corbyn et restés fidèles aux politiques d’austérité, aux guerres impérialistes, à une Grande Bretagne super nucléarisée et à une collaboration décomplexée avec le patronat. Cette faction défendue et consacrée par le tandem Blair/Brown, a désavoué le nouveau leader du parti après un vote de confiance historique (28 juin 2016). Seuls 40 députés sont restés fidèles à M. Corbyn. Le groupe des renégats, appelons-le « l’appareil », s’oppose de toutes ses forces à « la base » qui, elle, a voté massivement pour le changement et le nouveau leader.

Le coup de boutoir des 171 renégats eut pour conséquence de resserrer les rangs des corbynistes à l’intérieur du parti et d’augmenter de plus de 183.000 [6] les nombres des adhérents favorables au Old Labour de Corbyn. Le candidat des 171 députés sécessionnistes, un certain Owen Smith, inconnu au bataillon il y a encore quelques semaines, n’a évidemment aucune chance d’être élu par cette base plus décidée que jamais à éjecter les apparatchiks blairistes. Elle parle aujourd’hui ouvertement de faire « des-élire » les députés renégats lors des prochaines élections générales de 2019.

Cette inscription en masse a tellement troublé la droite du parti qu’elle a passé le montant de la cotisation au Labour de 3 à 25 livres pour décourager les plus pauvres. Voyant que cela ne diminuait pas le rythme des inscriptions, elle a poussé des cris d’orfraie contre l’entrisme des trotskystes et de la gauche extrême dans les rangs de nouveaux adhérents ; et, victimes de sa propre propagande, elle a même été jusqu’à rejeter tous ces nouveaux venus sous prétexte que nombres de Tories avaient pris leur carte du Labour pour voter Corbyn qui, selon eux, n’aurait aucune chance de remporter les prochaines élections générales. Du grand guignol parano ! La droite du parti, plus grotesque que jamais, s’est alors attaquée à ces dizaines de milliers de nouveaux encartés, en demandant au National Executive Comity du Labour (NEC) de les priver du droit de vote lors des prochaines élections générales du parti qui se dérouleront en septembre 2016. Et ils y sont parvenus ! Des milliers de nouveaux encartés se sont vus interdits de vote aux prochaines élections. On comprend que ces gens-là n’oublieront pas un tel manquement aux règles de la démocratie à l’intérieur du parti. L’hystérie fut à son comble lorsque, à court de stratégies, les blairistes demandèrent aux membres du NEC d’empêcher M. Corbyn de se présenter, vu qu’il lui était impossible de trouver le support d’au moins 51 députés comme le prévoit le règlement intérieur du parti. L’affaire a été portée devant les tribunaux et ceux-ci ont tranché le 28 juillet 2016. Le juge Foskett a déclaré licite la candidature de M. Corbyn. Celui-ci n’a pas manqué de faire entendre que dans un parti démocratique, le leader sortant peut se présenter à des élections anticipées provoquées par ses ennemis politiques. Les blairistes sont aujourd’hui au abois. Ils ont perdu toutes les batailles -ou presque- et se retrouvent au pied du mur : la scission ou rentrer dans le rang. Le 31 juillet, M. Corbyn a déclaré que les rebelles ne pourraient en aucun cas prendre le nom Labour au cas où leur candidat, M. Owen Smith, serait battu en septembre et que, dans la foulée, ils se décidaient en faveur de la séparation pure et simple.


Le vote « leave » a gagné faute d’opposants motivés et préparés

Les défenseurs du vote « Remain » ont perdu le referendum parce qu’ils n’ont pas assez préparé leur campagne. Ils se sont laissés influencer par l’énormité et le grotesque du discours des eurosceptiques (M. Johnson) et des xénophobes ultra nationalistes (M Farage). Leur niveau de méconnaissance des affaires et des enjeux européens face à la misère des peuples ont fait le reste. Ils n’ont pas su convaincre car ils manquaient d’arguments pour justifier devant les classes appauvries les politiques austéritaires imposées par Bruxelles. Ils n’ont pas écouté le peuple auquel ils ont tourné le dos.

Nous savons d’ores et déjà que les forces du « remain » accuseront les tenants du Brexit de toutes les calamités qui vont fondre sur le Royaume-Uni dans les mois qui viennent. En particulier, ils les rendront responsables de la prochaine crise financière qui, selon toute vraisemblance, devrait éclater avant la fin de cette législature et qui sera infiniment plus dévastatrice que celle de 2008.


[1] Professeur de science politique à l’université de Barcelone

[2] Députés qui ne possèdent pas de poste gouvernemental et qui, au parlement, s’assoient derrière les « front benches », (les premiers bancs).

[3] Regions du nord de l’Angleterre dont les villes les plus importantes sont Birmingham, Volverhampton, Dudley, etc.

[4] Consultez l’article de Pierre Rimbert, « Faites qu’il s’en aille », dans le Monde Diplomatique de septembre 2016.

[5] Cf. le documentaire de Ken Loach sur la création de l’état providence en Europe et en Grande-Bretagne après la seconde guerre mondiale : « The spirit of 45 » (2013)

[6] Chiffres du 21 juillet 2016, Cf. www.conservativehome.com