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Tapajós : coup d’arrêt à un nouveau projet de mégabarrage en Amazonie

1 Septembre 2016

À l’occasion des Jeux olympiques, les autorités brésiliennes ont annoncé l’annulation de la licence du barrage Säo Luiz do Tapajós, dans une région encore préservée de l’Amazonie. Ce projet était fortement contesté par les populations indigènes locales, notamment la puissante tribu des Munduruku, ainsi que par les militants écologistes. Comme l’a déjà rapporté l’Observatoire des multinationales, les deux énergéticiens français EDF et Engie sont impliqués dans les projets hydroélectriques du bassin du Tapajós. Le premier possède d’ailleurs un autre barrage, plus petit, en amont de Säo Luiz do Tapajós.

Il y a quelques années, malgré une forte mobilisation locale et malgré une controverse internationale dans laquelle se sont illustrées plusieurs stars hollywoodiennes, le gouvernement brésilien avait choisi de passer en force et d’imposer la construction du mégabarrage de Belo Monte, sur le rio Xingu, en Amazonie. Le chantier de cet énorme ouvrage est aujourd’hui en cours.

Alors que le front de cette bataille s’était déplacé depuis sur un autre affluent de l’Amazone, le rio Tapajós, où le gouvernement et les industriels entendent construire une nouvelle série de grands barrages, il semble que les opposants aient cette fois obtenu gain de cause. L’Ibama, agence gouvernementale en charge de l’approbation des projets de ce type, a en effet décidé de retirer sa licence environnementale au projet de barrage de São Luiz do Tapajós. Cet ouvrage, pièce maîtresse d’un ensemble de barrages prévus sur le rio Tapajós et ses affluents (une quarantaine au total selon Greenpeace), aurait été le sixième plus important au monde. L’ensemble était destiné non seulement à produire de l’électricité, mais aussi à ouvrir le Tapajós à la navigation pour transporter plus aisément le soja et les autres matières premières produites par le Brésil vers les marchés mondiaux. Et, indirectement, ouvrir cette partie de l’Amazonie à l’agrobusiness.

Principale raison l’annulation de la licence : l’absence de prise en compte des droits des populations indigènes de la zone et des impacts directs et indirects sur leurs modes de vie. Les opposants dénoncent également la déforestation et la destruction de la biodiversité qu’auraient occasionnées la construction du barrage. Comme pour Belo Monte, ils ont été soutenus dans leur lutte par de grandes ONG écologistes internationales, en dernier lieu Greenpeace, qui s’est lancée dans la bataille en ciblant les entreprises occidentales susceptibles de s’impliquer dans São Luiz do Tapajós.

Entreprises françaises
Parmi ces entreprises, l’allemand Siemens, GE Renewable Energy (ex Alstom), mais aussi les deux champions français de l’énergie, EDF et Engie, tous deux engagés dans le secteur hydroélectrique au Brésil et en particulier en Amazonie. Tous deux étaient notamment partie prenante du Groupe d’études Tapajós (GET), un groupe d’experts censé étudier la viabilité des projets de barrages et dont les pratiques sur le terrain ont été fortement contestées, au point qu’il a fallu faire appel à l’armée pour les protéger (lire notre article).

Engie, sans doute échaudée par ses déboires avec un autre mégabarrage amazonien, celui de Jirau, et la pluie de critiques qu’il lui a attirée (lire notre enquête), avait fini par s’engager officieusement auprès de Greenpeace à ne pas s’impliquer dans le projet São Luiz do Tapajós. Aucun engagement de ce type de la part d’EDF, qui a d’ailleurs fait l’acquisition d’un barrage plus petit sur un affluent du Tapajós, celui de Sinop (lequel pourrait perdre un partie de son sens économique avec un abandon de São Luiz do Tapajós).

Menaces futures
L’annonce de l’annulation de la licence de São Luiz do Tapajós, au moment des Jeux Olympiques de Rio, a un caractère éminemment diplomatique. Il soulève également beaucoup de questions dans le contexte de la crise politique que traverse actuellement le Brésil, car la coalition d’hommes politiques conservateurs qui a chassé la présidente Dilma Roussef du pouvoir apparaît encore moins bien disposée qu’elle à l’égard des populations indigènes et de l’environnement. Les dirigeants brésiliens semblent divisés sur la marche à suivre : tandis que le ministre de l’Environnement a déclaré que le barrage de São Luiz do Tapajós n’était pas indispensable, l’agence de planification énergétique brésilienne a annoncé quant à elle qu’elle réviserait son étude d’impact environnemental pour déposer une nouvelle demande.

La seule garantie pour les Munduruku et les autres populations autochtones de la région serait que leurs territoires soient enfin officiellement reconnus comme terres indigènes – un processus bloqué depuis des décennies. Or le nouveau ministre de l’Agriculture, Blairo Maggi, « roi du soja » et représentant des intérêts des grands propriétaires agricoles, est un ennemi déclaré des droits des indigènes et un champion de la déforestation de l’Amazonie. Et le même ministre de l’Environnement qui a pris ses distances avec São Luiz do Tapajós a annoncé qu’à l’avenir, les agences officielles comme la Funai, en charge de la protection des indigènes, joueraient un rôle moindre dans les procédures d’autorisation des grands projets. Quelle sera la position des grands groupes français dans les affrontements qui se dessinent ?

Olivier Petitjean