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La preuve par les archives : la violation constante par Israël des conventions de Genève est depuis des décennies parfaitement consciente et délibérée

22 Septembre 2016

Le respect des “Conventions de Genève” distingue les nations civilisées des autres. Il s’agit de traités internationaux fonda­mentaux dans le domaine du droit international humanitaire, qui définissent des règles de protection des personnes en cas de conflit armé, notamment les soldats, les blessés et prisonniers de guerre, mais aussi les civils et leurs biens. La première “Convention de Genève” date de 1864, mais les textes en vigueur aujourd’hui ont été adoptés après la Seconde Guerre mondiale [1].


“Mobile Medical Clinic” lit-on sur ce véhicule détruit par l’armée israélienne à Gaza.Les témoignages sont nombreux qui attestent que les ambulances sont des cibles privilégiées.
Théoriquement, tous les États du monde se sont engagés à respecter ces conventions, qui marquent la frontière entre la sauvagerie absolue, la barbarie la plus abjecte et ce que devrait être – même en temps de guerre – un comportement d’êtres dignes qu’on les considère comme appartenant à l’humanité. Leur violation systématique, délibérée et constante ne peut donc être regardé qu’avec le dégoût le plus absolu. Or, c’est exactement le comportement d’Israël, depuis des décennies.

Le quotidien Haaretz révèle en effet que « dans deux télégrammes datant de 1967 et 1968, des officiels du Ministère des Affaires étrangères [israélien] admettent la violations des conventions de Genève et donnent des instructions aux diplomates à quant à la manière d’échapper à l’obligation de les respecter en évitant d’utiliser le terme “occupation” ».

Yotam Berger écrit dans Haaretz :

Deux documents classifiés [2] du Ministère des Affaires étrangères, de 1967 et de 1968, révèlent comment le gouvernement a tenté d’éviter l’application des Convention de Genève aux territoires immédiatement après qu’ils aient été conquis, et comment il a tenté d’éviter les critiques inter­na­tionales concernant la violation des conventions.

Ils montrent aussi comment Israël a tenté d’éviter de devoir autoriser le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) à accéder aux territoires, ainsi que les conventions lui en donnent le mandat [3].

Dans ces documents, des hauts fonctionnaires admettent diverses violations des conventions, en ce compris l’usage de la violence contre la population palestinienne. Ils révèlent également comment Israël a cherché à éviter de se définir lui-même comme un occupant dans les territoires, tout en admettant explicitement que cette revendication était avancée pour des raisons stratégiques, afin de se soustraire à la critique, alors même qu’il n’existait aucune justification substantielle à cela.

Un des documents est un câble [un télégramme diplomatique] envoyé en mars 1968 à l’ambassadeur israélien de l’époque à Washington,  Yitzhak Rabin, par Michael Comay et Theodor Meron. Comay, un diplomate de haut rang qui avait occupé notamment le poste d’ambassadeur [d’Israël] auprès des Nations-Unies, était à l’époque ou ce câble fut rédigé conseiller politique du Ministre des Affaires étrangères d’alors, Abba Eban.  Meron était le conseiller juridique du Ministre des Affaires étrangères.

Ce câble, qui était classifié “top secret”, contient des instructions données par Comay et Meron à Rabin, à propos de ce qu’il devait faire pour éviter que les États-Unis forcent Israël à appliquer les Conventions de Genève dans les territoires.

«Notre politique constante a été est reste toujours d’éviter de discuter de la situation dans les territoires administrés avec des parties étrangères sur la base des Conventions de Genève. … Une reconnaissance explicite de notre part de l’applicabilité des Conventions de Genève soulèverait de sérieux problèmes par rapport à la convention en ce qui concerne les démolitions de maisons, les expulsions, les implantations [les colonies] et d’autres – et au surplus nous avons l’obligation de garder toutes les options ouvertes en ce qui concerne le problème des frontières, nous ne devons pas reconnaître que notre statut dans les territoires administrés n’est que celui d’une puissance occupante », lit-on dans ce câble.

« En résumé, notre politique en ce qui concerne les territoires administrés est de tenter d’éviter des violations claires des Conventions de Genève sans entrer dans la question de l’applicabilité des conventions », poursuivait le câble.

Comay et Meron reconnaissaient que le statut de Jérusalem était particulièrement problématique, parce que le gouvernement avait déjà posé des actes qui seraient probablement considérés comme des violations des conventions.

«Le problème le plus sérieux est évidemment Jérusalem-Est, parce qu’ici si le gouvernement observait les Convention de Genève et les Règles de La Haye [4], il ne serait pas en mesure de mener à bien des changements administratifs et juridiques en profondeur, tels que l’expropriation de terres», écrivaient-ils.

«Les Américains ont récemment dit que notre statut à Jérusalem est seulement celui d’un occupant, parce que quoique ici aussi nous essayons d’éviter de poser des actes qui auraient des répercussions internationales, il n’y a aucune possibilité de faire en sorte que toutes nos actions à Jérusalem soient en conformité avec les restrictions qui découlent des Convention de Genève et des Règles de La Haye »

Les diplomates ont par conséquent donné comme instructions à Rabin « de dire aux Américains qu’il y a des aspects uniques au statut des territoires et à notre statut dans les territoires. Avant la “guerre des Six jours”, la Bande de Gaza n’était pas un territoire égyptien, et la Cisjordanie, également, était un territoire qui avait été occupé et annexé par la Jordanie sans reconnaissance internationale. Étant donné cette situation territoriale ambigüe et indéterminée, la question de l’applicabilité des conventions est complexe et non claire jusqu’à un accord de paix qui comprendrait la fixation de frontières sûres et reconnues. »

Le câble ajoutait que « il est inutile d’en débattre publiquement » avec les Américains. « Nous recommandons que vous ne vous engagiez dans aucune discussion ou controverse à propos des problèmes mentionnés ci-dessus, mais que vous vous contentiez d’enregistrer leur réponse et laissiez à l’ambassade le soin d’une clarification, sans une circulaire et sans la participation de membres des Nations-Unies », dit-il encore.

Un autre document, classifié “secret”, avait « été envoyé par Comay au directeur général adjoint du Ministère des Affaires étrangères plusieurs mois auparavant, le 22 mai 1967, soit moins de deux semaines après la fin de la “guerre des Six Jours”. Il conseillait d’éviter d’utiliser le mot “occupation”, de manière à éviter de devoir autoriser le libre accès de la Croix-Rouge à la population civile de la Cisjordanie.

« A la lumière du fait que la Croix-Rouge Internationale tente de faire valoir son droit de regard en ce qui concerne la population civile, en application des Convention de Genève, … il est nécessaire d’être prudents en ce qui concerne l’usage de certains termes figurant dans la convention. Je me réfère principalement aux termes “territoires occupés” et “puissance occupante” », notait Comay. « Notre délégation aux Nations-Unies et nos légations [diplomatiques] doivent savoir qu’ici nous évitons toutes discussion avec les représentants de la Croix Rouge internationale à propos du statut des territoires »

Comay recommandait de remplacer l’expression “territoires occupés” par “territoires sous contrôle israélien” ou “territoires sous gouvernement militaire”.

Ces documents ne sont pas simplement un témoignage historique intéressant sur la manière dont Israël s’est situé initialement par rapport aux Conventions de Genève, pas plus qu’ils ne sont seulement l’aveu de leur violation.  Ils sont également pertinents dans le débat toujours en cours à propos de la légalité de la poursuite de l’occupation.

« Au cours de ces dernières années, certains acteurs politiques ont tenté de faire valoir dans le débat une revendication qui déjà n’était pas sérieuse dès les années 1970, selon laquelle les territoires ne sont pas réellement occupés et que leurs habitants ne sont pas fondés à se prévaloir des droits garantis par les Conventions de Genève », explique Lior Yavne, directeur exécutif de l’Institut de recherche sur le conflit israélo-palestinient Akevot, un organisme marqué à gauche qui travaille pour mettre à jour et publier des archives concernant le conflit.  « Le caractère unique de ces câbles tient à la rare franchise avec laquelle les auteurs expliquent les raisons pour lesquelles le gouvernement refuse d’admettre l’applicabilité des règles des Conventions [de Genève], et aussi en tant qu’étape tactique en vue d’un futur accord diplomatique », ajoute Yavne.
Il est donc une fois de plus avéré que la violation constante, consciente et délibérée des principes essentiels du droit international humanitaire est une composante centrale de la politique de tous les gouvernement israéliens successifs – ce qui revient à dire qu’elle est inséparable de l’État lui-même et ne dépend pas des variations circonstancielles des rapports de force entre les partis au pouvoir.

La publication de ces documents intervient aussi juste après à la révélation (édulcorée par la censure) de l’exécution sommaire par des soldats israéliens de “douzaines de prisonniers de guerre” sans défense, sur ordre d’un officier qui a ensuite bénéficié d’une importante promotion…

Comment dire la profondeur du mépris insondable qu’inspire un État-voyou parfait dont se trace – ou plutôt se confirme – ainsi le portrait ? Une autre démonstration est apportée, à vrai dire superfétatoire, que cet État-voyou jouit en dépit de tout d’une impunité, sur l’origine  et la persistance de laquelle il incombe à chacun de se forger sa conviction.

L.D.                    

L’article de Yotam Berger est paru sous le titre “Secret Documents Reveal How Israel Tried to Evade International Scrutiny of Occupation” le 20 septembre 2016. – Traduit et commenté par Luc Delval

[1] Il s’agit de quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, des deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 et du troisième protocole additionnel de 2005. Les quatre Conventions de Genève ont été mondialement ratifiées, ce qui signifie que chacun des États du monde s’engage à les respecter.
[2] Document classifié : document secret
[3] Le Comité international de la Croix-Rouge est considéré comme le gardien des Conventions de Genève et des autres traités qui constituent le droit international humanitaire. Toutefois, la Croix-Rouge ne peut pas agir en qualité de policier ou de juge. Ces fonctions reviennent aux gouvernements, qui ont ratifié les traités internationaux et qui sont tenus d’empêcher les violations du droit humanitaire. Ils ont en outre l’obligation de punir les auteurs d’actes qualifiés d’« infractions graves » au droit humanitaire ou de crimes de guerre.
[4] Le «droit de Genève » est constitué de l’ensemble des règles protégeant les personnes qui se trouvent au pouvoir de la partie adverse, et le «droit de La Haye », est formé de l’ensemble des règles relatives à la conduite des hostilités.