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A Bure, cet été, une importante victoire du mouvement antinucléaire

3 Septembre, 2016


La forte mobilisation estivale des opposants au projet de poubelle nucléaire, dit Cigéo, à Bure, dans la Meuse, a permis à leur lutte de sortir de l’ombre. Avec, en point d’orgue, la destruction le 14 août du mur érigé autour du bois Lejuc. Retour sur un événement majeur dans l’histoire du mouvement antinucléaire.
Gaspard d’Allens, collaborateur régulier de Reporterre a choisi de suivre ce mouvement, non en tant que journaliste ayant un regard distancié sur l’événement, mais en tant que personne qui y est engagée.
– Bure (Meuse), témoignage
« Ça y est, le mur de la honte est tombé ! » s’écrie une jeune femme, une lourde masse à la main. Ils en rêvaient, ils l’ont fait. Le 14 août, des centaines d’opposants au projet de poubelle Cigéo ont abattu le mur qui entourait le bois Lejuc, cette forêt qui, depuis le début de l’été, cristallise les tensions entre les antinucléaires et l’Andra, l’Agence nationale pour la de gestion des déchets radioactifs.
« C’est un coup mémorable », « une action inédite et historique » : les opposants ne cachent pas leur joie. Au cours de cette journée, un kilomètre de mur en béton a mordu la poussière sous un soleil de plomb. Irène, militante de longue date, assure : « S’il y avait eu ce type de résistance au début de la lutte, l’Andra n’aurait pas pu s’implanter ici. »


À chaque pan de mur qui s’écroule, une clameur générale retentit. « Et la forêt, elle est à qui ? Elle est à nous ! » Début juillet, l’Andra avait érigé cette ceinture de béton, haute de deux mètres, pour continuer ses travaux de défrichement et de forage tout en évitant une nouvelle occupation. L’agence souhaitait transformer le bois en « une zone des puits », un espace qui servirait à aérer les galeries souterraines où seront stockés les déchets radioactifs. C’était sans compter la fronde populaire qui a mis à terre le projet. Comme un grain de sable dans la mégamachine nucléaire.
« La chute du Bure de Merlin »

L’euphorie règne en ce début d’après-midi d’août. Le cortège de 400 personnes est arrivé sans encombre à la lisière du bois et les forces de l’ordre brillaient par leur absence. Après avoir surveillé les routes du pays pendant un mois, fiché et contrôlé les habitants, l’unité de plus de cent gendarmes mobiles qui gardait la forêt en permanence a disparu. Selon la préfecture, « il fallait éviter les heurts ». La précédente manifestation du 16 juillet s’était conclue avec un nombre important de blessés et une polémique délicate pour les promoteurs du projet de poubelle nucléaire : « On avait constaté une inquiétante complicité entre la répression gouvernementale et des milices privées de l’Andra », rappelle un opposant. Jean Paul Baillet, directeur du site de l’Andra à Bure avait démissionné peu de temps après.
À l’inverse, le 14 août la journée est comme une fête. Un acte de sabotage collectif et joyeux. Trois générations sont présentes, des locaux, des militants historiques, des jeunes, des paysans, certains masqués, d’autres non. « Des cultures politiques différentes se rejoignent dans la magie de l’action commune, témoigne un opposant. Nous sommes tous contre le nucléaire et son monde de barbelés, de vigiles mercenaires, de béton armé, de pots-de-vin, de bureaucrates et d’experts méprisants. »


À l’aide de sangles, de masses et de pioches, ils ont réalisé une véritable performance. Certains morceaux de béton pèsent 2,7 tonnes. Au fil de la journée, la technique s’améliore. « C’est presque devenu industriel », s’amuse une jeune femme qui se fait appeler « Michelle ». Les murs s’écroulent comme des dominos sous les airs de l’accordéon et de la chorale révolutionnaire. Cette dernière reprend des chants catalans, dont l’Estaca, composé lors de la dictature de Franco :
Si nous tirons tous, il va tomber, si je tire fort vers ici, et que tu tires fort par là, il est certain qu’il tombe, tombe, tombe, et nous pourrons nous libérer. »
En miettes, à même le sol, les dalles de béton ressemblent à des tombes. Certains évoquent « le cimetière de l’Andra » tandis que d’autres y écrivent des slogans : « Comme un murmure de révolte » ; « Nous sommes un mouvement de masse(s) » ; « La chute du Bure de Merlin » ; « Casse-toi pov mur ! ». De Gaza à Vintimille, de Calais au Mexique, en passant par Mandres-en-Barrois, des solidarités sont tissées contre tous ces murs qui séparent les peuples : « La prochaine fois, on abattra vos frontières ! » peut-on lire sur une stèle.
« Le mur matérialise l’opacité du nucléaire »

À travers cette action de sabotage, c’est un symbole que les opposants ont voulu viser. « Un mur est avant tout un aveu d’échec, un refus du dialogue, constate Charlotte Mijeon, du Réseau sortir du nucléaire. L’Andra a tenté de museler la contestation en construisant une forteresse dérisoire. Le mur matérialise l’opacité du nucléaire, son imposition par la force, sa violence. » Pour John, un habitant de la maison de la Résistance, « cela fait 20 ans que l’on fait des pétitions et des manifestations sans être entendus. Notre action aujourd’hui c’est un droit de réponse, une saine et légitime défense face au rouleau compresseur de l’Andra ».
Les opposants se sentent renforcés par leur première victoire juridique. Le 1er août, le tribunal de grande instance de Bar-le-Duc a rendu un jugement historique. Il a condamné les défrichements illégaux de l’Andra et a enjoint l’agence à réhabiliter la forêt dans un délai de six mois si elle ne recevait pas d’ici là une autorisation préfectorale. Régine Milarakis, de l’association environnementale Mirabel, présente lors de la manifestation, esquisse un sourire : « En plantant aujourd’hui des arbrisseaux, on aide l’Andra à remettre en état la forêt et à tenir ses engagements. »


Les opposants ont néanmoins conscience que « l’acte politique fort » qu’ils ont porté le 14 août risque d’avoir des conséquences judiciaires. Dans un communiqué de presse, l’Andra affirme avoir « porté plainte pour dégradations et occupation illégale d’un terrain dont elle est propriétaire ». La dégradation doit se chiffrer en millions d’euros. La préfecture a également lancé une enquête sur des tirs de fusées contre un hélicoptère de la gendarmerie. Un fait que démentent les opposants.
« Bure cul nu ou Burkini, tous et toutes libres sur les plages ! »

Depuis le 14 août, la forêt est de nouveau libérée et les travaux de la poubelle nucléaire, gelés. Des promenades sont organisées à l’ombre des charmes et le dimanche, des habitants se baladent avec leurs enfants.
Le lendemain de la manifestation, les opposants antinucléaires ont rebaptisé le chantier « Bure-les-Bains ». Les murs tombés sont reconvertis en transat. Une piscine a même été installée. Sous les gravats, la plage. En cagoule, les fesses à l’air, les militants commentent l’actualité stérile de l’été : « Bure cul nu ou Burkini, toutes et tous libres sur les plages ! » « On nous empoisonne la vie avec de faux enjeux. À quand un débat sur le nucléaire ? » Au-delà du geste festif, les opposants y voient aussi une stratégie de résistance. « Émeutier un jour, citoyen légaliste qui demande des comptes le lendemain, danseur fou le surlendemain, nous devons être multiples et casser les étiquettes. »


L’action du 14 août s’inscrit dans ce que les militants ont appelé « l’été d’urgence », trois mois intenses de mobilisation qui ont permis à la lutte contre la poubelle nucléaire de sortir de l’ombre. Tout au long de la période estivale, des centaines de personnes ont convergé vers Bure. La maison de la Résistance a connu de nombreux passages, un fort brassage. La médiatisation a été importante. Désormais, tous les journalistes savent situer sur une carte ce village perdu aux confins de la Meuse.
Cet été, en mêlant occupation physique du territoire, sabotage et recours juridiques, les opposants ont dessiné les contours possibles d’un grand mouvement de résistance et gagné leur première bataille face au « croque-mort du nucléaire »