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Un marathonien éthiopien défie le pouvoir sur la ligne d’arrivée olympique

28 Août 2016


Défiant les règles olympiques et malgré le risque de susciter la colère du gouvernement de son pays, le coureur éthiopien Feyisa Lilesa a effectué un geste politique en soutien à l’ethnie Oromo après avoir terminé le marathon des Jeux Olympiques au Brésil, lors du dernier week-end de compétition.

Lilesa [français], médaille d’argent, forma un X de ses bras croisés en franchissant la ligne d’arrivée, et réitéra son geste sur le podium. Ce signe est utilisé par les Oromos et leurs partisans dans les manifestations contre la répression du gouvernement éthiopien.

Le Comité International Olympique interdit pourtant les protestations politiques.Tommie Smith et John Carlos, deux athlètes noirs américains, ont ainsi été exclus après avoir effectué un salut du Black Power lors des Jeux de 1968.

Lilesa, qui a confié aux journalistes qu’il serait probablement tué s’il rentrait en Ethiopie, prévoit de demander l’asile au Brésil, aux Etats-Unis ou au Kenya.

L’ethnie Oromo manifeste depuis novembre 2015. Les rassemblements ont débuté dans la région administrative d’Oroma, l’une des plus grandes d’Ethiopie, lorsque des étudiants demandèrent au gouvernement de renoncer à son plan d’expansion d’Addis Abeba, la capitale, vers les terres agricoles de la région d’Oroma. Les étudiants soutiennent que cette expansion controversée aurait pour but des expulsions massives de fermiers, principalement issus de l’ethnie Oromo.

Le gouvernement affirma pour sa part que ce projet visait seulement à faciliter le développement des infrastructures telles que le transport, les services publics et les centres de loisirs.

Bien que le gouvernement ait abandonné le projet d’expansion d’Addis-Abeba, les manifestants exigent des actions en faveur de leur autonomie, leur liberté et leur identité. Les étudiants veulent notamment que l’Oromo devienne une langue fédérale. Ce dialecte, pratiqué par l’ethnie Oromo, représente la langue la plus parlée en Ethiopie, et le quatrième dialecte le plus utilisé en Afrique.

Les régions d’Oroma et d’Amhara sont confrontées à la domination de l’ethnie Tigré dans la politique éthiopienne. Bien que cette dernière ne représente que 6% de la population, elle possède un pouvoir immense dans le pays. L’ethnie Oromo, dont 34% des habitants sont issus, soit la plus importante ethnie d’Ethiopie, et celle des Amharas, qui représente 27% des citoyens, ne détiennent en comparaison que peu de positions-clés dans le gouvernement.

La dissidence, aussi bien physique que virtuelle, n’est pas tolérée en Ethiopie. Début août, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur les manifestants pour les disperser [français], dans diverses régions administratives dont celles d’Oroma et d’Amhara, tuant 100 contestataires, selon les sites d’information et les comptes rendus sur les réseaux sociaux.

Le 25 avril 2014, neuf blogueurs et journalistes ont été arrêtés [français] en Ethiopie, accusés « d’incitation au trouble à l’ordre public via les réseaux sociaux » et d’avoir « reçu du soutien de la part d’un gouvernement étranger ». Les détenus travaillaient tous pour Zone9, un blog collectif qui promeut le débat politique et la discussion.

Les 8 et 9 juillet 2015, quelques jours avant la visite historique de Barack Obama [français] dans le pays, cinq des neuf  blogueurs ont été libérés [français] de la prison de Kilinto, à Addis-Abeba. Le 16 octobre, les quatre blogueurs restants – Befeqadu Hailu, Natnael Feleke, Atnaf Berhane and Abel Wabela – ont été acquittés des charges de terrorisme [français] retenus contre eux. Trois d’entre eux ont été libérés le 19 octobre, tandis que Befeqadu Hailu a été libéré sous caution le 21 octobre, en attendant le verdict concernant les charges d’incitation à la violence.

Puis en mai 2016, la Haute Cour Fédérale d’Ethiopie a condamné [français] le jeune blogueur et activiste Zelalem Workagegnehu à cinq ans et quatre mois de prison pour « soutien au terrorisme » en raison d’un lien présumé avec le mouvement Ginbot7, un parti politique luttant pour la démocratie et considéré comme une « organisation terroriste » par le gouvernement éthiopien en 2010. Zelalam est un défenseur des droits de l’Homme et un chercheur qui contribuait régulièrement au site de la diaspora DeBirhan.

“Honte à vous, ignoble gouvernement d’Ethiopie !”

Après que Lilesa eut fait les gros titres en raison de son geste, un utilisateur de Facebook a observé que les Jeux Olympiques ont dévoilé deux choses à propos de la situation politique en Ethiopie : la répression et le favoritisme.

Les Jeux Olympiques de Rio ont révélé deux aspects du brutal gouvernement éthiopien. Cet homme, arrivé 59ème sur 59 participants, a montré à quel point le gouvernement éthiopien était corrompu. Ce perdant a été envoyé aux Jeux grâce son père corrompu. Puis le médaillé d’argent du marathon a reproduit le geste symbole des manifestants Oromos sous les yeux du monde entier, leur dévoilant les protestations sans interruption qui ont lieu en Ethiopie face au brutal gouvernement du pays. Voici un bon mélange de politique et de Jeux Olympiques. Honte à vous, ignoble gouvernement d’Ethiopie !
Robel Kiros Habte, nageur éthiopien en surpoids ayant pris part aux JO, s’est ridiculisé en arrivant dernier lors des séries du 100m nage libre. Quelques-uns de ses compatriotes ont affirmé que le nageur avait intégré l’équipe olympique grâce à sa tribu et son affiliation politique.

Après avoir appris la décision de Lilesa de ne pas rentrer chez lui en raison des craintes pesant sur sa vie, des internautes éthiopiens ont récolté 54.433 dollars en moins de 24 heures afin de l’aider à demander l’asile.

Le gouvernement éthiopien a officiellement annoncé que le coureur ne sera pas poursuivi malgré son geste de protestation, mais qu’il lui « sera réservé un accueil héroïque, ainsi qu’aux membres de l’équipe ».

Endalk, un défenseur éthiopien de la liberté d’expression en exil, et auteur sur Global Voices, a réagi aux déclarations du gouvernement: Le gouvernement éthiopien dit “rentrez à la maison pour que nous puissions vous torturer”, rien d’autre

Et poursuit : Le gouvernement éthiopien affirme que Feyisa Lilesa sera accueilli en héros mais refuse de diffuser les images de sa protestation
Pendant que le porte-parole du gouvernement éthiopien félicitait Lilesa, la télévision d’Etat ne retransmettait pas les images de son passage sur la ligne d’arrivée.

“Une génération muselée qui appelle à la liberté”

Jeffrey Smith, un activiste des droits de l’Homme, a déclaré que le geste antigouvernemental de Lilesa constituait un « moment profondément courageux »: Feyisa Lilesa a mis sa vie en jeu pour mettre en lumière le régime brutal et meurtrier d’Ethiopie. Un moment profondément courageux.

Le journaliste rindépendant Mohammed Ademo a loué Lilesa : Feyisa Lilesa s’est servi du plus grand podium de sa vie pour mettre en avant une génération muselée qui appelle à la liberté. Un message qui se passe de mots.
En réponse à ceux qui affirment qu’il devrait revenir en Ethiopie, Gebreslassie Kiros écrit sur Facebook :

Traduction Citation d’origine
C’est à lui de décider de ce qu’il veut faire. Nous avons des milliers et des milliers de Feyisa qui peuvent apparaître. Par conséquent, le mieux est de permettre à Feyisa de vivre là où il se sent le mieux
Ken Smith a également souligné :

Traduction Citation d’origine
Cette nation a eu sa part de guerres et de génocides… mais ils produisent encore et toujours d’incroyables Olympiens… surtout des marathoniens. Il mérite d’être respecté pour son signe de protestation… l’humanité aurait besoin de plus de ses semblables
Hani Teshe a écrit :

Traduction Citation d’origine
Il y a un génocide actuellement en Ethiopie… le monde doit savoir ce qui se passe en Ethiopie.
Et Nardos Kefle d’observer:

Traduction Citation d’origine
Le meilleur moment des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro. Respect à Feyisa Lilesa, médaillé d’argent du marathon. Si les 42,195 kilomètres n’ont pas tué le gouvernement éthiopien, le Front Populaire de Libération du Tigré ne peut pas vous tuer.
“Pas une scène pour exprimer ses vues personnelles”

Tout le monde ne soutient pas Lilesa. Sur Facebook, Nicola Dotto affirma que les Jeux Olympiques ne sont pas une scène pour exprimer ses vues personnelles :

Tout athlète olympique qui manifeste un signe politique ou religieux de quelque façon que ce soit, devrait être destitué de sa médaille, ce sont des EVENEMENTS SPORTIFS, non une scène pour exprimer ses vues personnelles.
Lina Aya a également soutenu que cet événement n’est pas une « vitrine politique » :

Les Jeux Olympiques ne sont pas une vitrine politique. Si vous voulez provoquer un changement, asseyez-vous dans votre pays et trouvez une solution. Aller aux JO et mentir et demander un visa pour se rendre dans un autre pays est contraire aux règles olympiques
Gebremeskel Tesfay Kidanu, un étudiant éthiopien, souhaiterait que Lilesa revienne en Ethiopie afin de s’excuser :

Son acte était déloyal et coupable. Mais nous espérons encore que vous reviendrez dans votre patrie et présenterez des excuses au peuple éthiopien que vous avez ignoré sans vous en apercevoir.
Il est intéressant de relever que le 7 août dernier, bien avant que Lilesa n’effectue son geste, un utilisateur de Twitter, Ashe, déclarait espérer qu’un athlète accomplirait un geste solidaire envers les manifestations des Oromos : J’espère qu’un éminent sportif olympique choisira d’accomplir un geste en solidarité avec la contestation.