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Le burnout dans l’économie sociale et solidaire, on en parle ?

19 Août 2016

Travailler dans l’économie sociale et solidaire n’est pas un long fleuve tranquille. Les cas de burnout n’y sont pas étrangers. C’est le constat que nous pouvons faire sur le terrain. Les salariés, sans objectifs clairs de leur management, sont entraînés à un travail épuisant au motif de défendre une « juste cause ».

Cassons un préjugé. Travailler pour l’intérêt général ne fait pas le bonheur ou, plus précisément, il n’y suffit pas. La liste des nouveaux déçus grandit chaque année. « Ils auront tenté ». Jeunes diplômés comme cadres expérimentés, ils auront rejoint « un bataillon du bien » avant de rallier les légions de la frustration professionnelle.

L’épanouissement professionnel répond aux mêmes règles dans l’économie sociale et solidaire que dans d’autres secteurs

Au risque de décevoir les plus idéalistes et de lever un tabou, il est temps d’affirmer que l’épanouissement professionnel répond aux mêmes règles dans l’économie sociale et solidaire que dans d’autres secteurs. D’une part, il faut que tous les indicateurs soient au vert : métier exercé, statut social et salaire doivent correspondre aux attentes de chacun, comme partout ailleurs. D’autre part, le management doit fixer des objectifs communs clairs. Et cette dimension, qui peut paraître assez banale, ne l’est pas forcément dans les entreprises et organisations relevant de l’ESS. 

Un flou néfaste pour les salariés

Car le principal risque encouru par les dirigeants de structures de l’ESS, qu’ils soient salariés ou bénévoles, est en effet de mettre au-dessus de tout l’adhésion aux valeurs comme un grand tout non défini.

Le principal risque encouru par les dirigeants de l’ESS est de mettre au-dessus de tout l’adhésion aux valeurs

Cette croyance nettement répandue va parfois même à l’encontre de la conformité avec le droit du travail. Combien d’associations se sont ainsi vues épinglées sur la place publique pour le dépassement des horaires de travail légaux, la non-rémunération des heures supplémentaires ou encore l’absence de mise en place des instances représentatives du personnel ? Plus concrètement combien d’emails demandant de venir tenir un stand le week-end « en tant que militant » ne recense-t-on pas semaine après semaine ?

C’est tout le paradoxe pour des organisations qui portent comme valeur ou même comme objet social et politique la lutte contre le non-respect du droit des personnes exclues, qu’elles le soient par le handicap, la pauvreté, les préjugés, la vieillesse, la maladie… mais qui font fi des droits de leurs propres salariés.

Dépendance émotionnelle

L’une des conséquences de ce flou souvent observé, qui mélange vie professionnelle et vie privée, est l’avènement de situations de communication problématiques entre salariés, tous niveaux confondus. Les interactions deviennent conflictuelles et des jeux d’acteurs se créent. Les salariés peuvent endosser, pour reprendre la terminologie du psychologue américain Karpman, la posture de sauveur, celle de victime ou bien encore celle de persécuteur au gré des évolutions du contexte. Des phénomènes de souffrance au travail naissent alors, et elles répondent à des logiques très spécifiques au secteur de l’économie sociale et sociale.

Le salarié y est en effet attaché affectivement à sa structure, et cette dépendance émotionnelle  est de facto une composante de son identité sociale. Dans sa sphère privée, il est en effet reconnu pour ce choix « louable » et « charitable ». Il est l’ami qui travaille chez « les gentils », parfois moqué, toujours un peu admiré sur le thème « toi, tu n’as pas fait le choix de l’argent ».

Le « salarié-sauveur » nie ses limites pour dépasser son champ d’intervention, persuadé qu’il le fait au nom d’une juste cause

Il est alors d’autant plus difficile pour lui non seulement de quitter son emploi et l’univers de l’ESS, mais plus encore d’accepter  même de se sentir mal professionnellement. Le burnout, présent dans les entreprises où la pression est très forte, a donc sa spécificité dans l’ESS. La pression n’est ici pas d’ordre commercial, ni en lien avec la rentabilité mais vient de la posture du « salarié-sauveur » qui nie ses limites pour dépasser son champ initial d’intervention, persuadé qu’il le fait au nom d’une juste cause.

La nécessité de « quantifier le projet social »

Pour favoriser l’épanouissement professionnel des salariés, l’organisation et l’efficacité doivent être un moyen mis au service du projet associatif. Le projet social doit être quantifié. Les discours qui visent à classer la notion de résultat dans le camp de l’argent ou de l’entreprise ne sont rien d’autres que des cache-misères. Politique comme caritatif, tout projet peut se décliner en objectifs et sous objectifs et être traduit en feuilles de route, et notamment :

▪       par la réalisation de programmes pour les instances de direction. 

▪       par l’évaluation des projets avant d’en débuter de nouveaux pour éviter le syndrome d’épuisement et de perte de vision globale.

▪       par l’adéquation entre les ambitions affichées par le projet social et les ressources allouées (humaines, financières, matérielles…).

▪       par l’attention portée au bien-être des salariés : respect du droit, conception de parcours, convivialité…

L’organisation est le cadre qui crée de la continuité tout en donnant aux salariés une sensation de liberté qui leur permet de cultiver leur créativité et leur autonomie d’action dans leur périmètre de compétence. Les structures de l’ESS ne pourront que mieux promouvoir leur système de valeurs et leur vision sociétale si elles s’assurent que les conditions sont réunies pour l’épanouissement professionnel de leurs salariés.

Les valeurs prônées par les dirigeant(e)s de l’ESS ne les absolvent pas de concevoir et décliner leur projet en fixant des objectifs clairs et partagés aux équipes, qui tracent des limites claires entre ce qui relève des obligations professionnelles et de la liberté personnelle pour les salariés. Au contraire, elles les y obligent.

Juliette Lelay, déléguée générale adjointe d’Emmaüs France

Jean-Philippe Teboul, fondateur de Orientation Durable

Khanh Picard, community manager.